Par Ridwan Sheick – Le 8-10 may 2015 – Source CounterPunch
La finance, une route vers la ruine
S’excuser et continuer, telle est la ruse utilisée par les sociétés trichant sur leurs impôts. Les banques ne font pas exception. Le scandale HSBC de 2007 où 106 000 clients de plus de 200 pays ont planqué des centaines de millions d’impôts n’a entraîné la condamnation que d’une seule personne. Quand si peu est fait, est ce que cela vient d’une faiblesse des autorités face à des lois financières inextricables ou bien nous cache-t-on quelque chose ?
Le lanceur d’alerte Hervé Falciani a redéfini la compréhension britannique des forces en jeu. Qu’une banque puisse aider un client à frauder en lui proposant un compte secret en Suisse était, à l’époque, inconcevable. Mais cela allait plus loin. Falciani a aussi révélé que beaucoup d’autres banques proposaient les mêmes techniques de fraude.
C’est quelque chose de familier aux États-Unis. En 2012, la Bank Of America s’assurait que ses clients échappent aux taxes sur les profits boursiers tirés des fonds spéculatifs en utilisant une filiale de la banque en Europe, tout cela avec le soutien gouvernemental.
Ainsi, la Bank Of America a caché $17,2 Mds sur des comptes offshore. Entraînant environ $4,3 Mds d’évasion fiscale. Juste avant 2012, le géant bancaire venait de recevoir une subvention ahurissante de $1.3 Mds de la part de la Réserve fédérale et du Département du Trésor
Même histoire pour Citygroup. Plaçant $42,6 Mds sur des comptes offshore, provoquant des pertes fiscales de $11,5 Mds, alors qu’elle venait de percevoir $2,5 Mds de subventions de l’État.
Cela reflète l’intime complicité de la relation de l’État avec les banques. Cela ne date pas d’aujourd’hui, mais le rapport de force tourne en défaveur de l’État.
L’industrie bancaire américaine a démarré à la suite d’un événement connu sous le nom de la Panique de 1907. Les initiateurs de cette panique bancaire furent quatre banquiers privés, J.D Rockefeller, J.P Morgan, Paul Warburg et le baron Rothschild qui ont entraîné la chute des principales banques et trusts.
Ces banquiers décidèrent de rassembler leurs fortunes pour établir une banque privée, à 100%. Cette banque créerait l’argent et le prêterait au gouvernement, à ses conditions.
Le Sénat s’est fermement opposé à cette idée mais, en 1910, les quatre banquiers ont écrit le Federal Reserve Act en secret et cette proposition de loi fut poussée au Congrès par leurs alliés. En 1913, grâce à un effort considérable de lobbying politique et financier auprès du président Woodrow Wilson, la loi fut votée et la Réserve fédérale créée.
Pour bien comprendre les manipulations bancaires, il faut comprendre comment l’argent est fabriqué.
Un bon exemple est le compte rendu légal d’un procès dans le Minnesota en 1969. Dans ce cas, opposant la First National Bank of Montgomery au défendant Jerome Daly, celui-ci, un avocat se représentant lui-même, s’est opposé à la saisie de sa maison hypothéquée selon le principe que la banque n’avait pas utilisé de l’argent réel pour son prêt. Quand le président de la banque, M.Morgan, prit la parole, il admit, à l’étonnement général, que la banque avait créé de l’argent à partir de rien pour le prêter mais que c’était une pratique bancaire normale.
Finalement, la cour rejeta la demande de saisie et le défendant put garder sa maison. Mais cette décision ne fut pas suffisante pour réformer cette pratique bancaire. Elle resta donc monnaie courante et l’on continue encore à se demander comment ce traitement privilégié est possible.
Au Royaume Uni, la Bank of England confirma la mainmise des banques privées sur l’économie, sans contrôle. Dans son analyse de 2014 intitulée La création d’argent dans l’économie moderne, elle confirme que la manière dont on enseigne la création de monnaie en économie est biaisée. C’est lorsque les banques prêtent qu’elle créent de la monnaie..
Cela est expliqué par Richard Werner, un économiste et professeur, dans son livre La création monétaire dans l’économie moderne. Il écrit :
«L’extension du crédit par les banques n’enlève aucun pouvoir d’achat ni ne ponctionne sur les ressources de qui que ce soit dans l’économie. Strictement parlant cela ne peut pas être décrit comme un prêt. Les banques ne prêtent pas l’argent qu’elles ont dans leurs coffres, elles le créent.»
L’organisation Citizens for tax justice a remarqué que 15 des 500 plus grandes sociétés n’ont payé aucun impôt sur leurs profits de $23 Mds pour 2014 seulement, et n’ont payé quasiment aucune taxe sur leurs bénéfices de $107 Mds les cinq années précédentes. Parmi ces grands bénéficiaires fiscaux on trouve General Electric, le fabricant de jouets Mattel et les géants médiatiques Time Warner et CBS.
C’est en utilisant des failles légales que ces compagnies ne payent que 0 à 15% d’impôts au lieu du taux normal de 35%. Le Financial Acountability & Corporate Transparency a estimé les pertes fiscales à $150 Mds par an, soit $1.500 Mds sur dix ans.
L’influence des lobbies sape aussi la bonne gouvernance. Wells Fargo, par exemple, a investi des millions de dollars en lobbying pour influencer les lois en 2009 et 2012, au moment où les législateurs pensaient mettre en place des mesures sur les saisies immobilières et la réforme des impôts sur la propriété.
Une étude datant de 2014, de Martin Gilens, un professeur à l’université de Princeton, intitulée Analyse des théories de la politique américaine, conclut ains : les élites, les groupes d’intérêt et le citoyen moyen sont les facteurs d’influence de la réglementation publique.
A partir de données récoltées de 1981 à 2002, le rapport étudie le système politique américain selon trois points de vue. Celui des citoyens moyens, celui de l’élite économique et celui des groupes de pression organisés, qu’ils soient basés sur l’économie ou sur le social.
A la suite de l’étude de 1800 décisions politiques au cours de cette période, en fonction de chacun des groupes, la conclusion fut que la politique américaine est dominée par son élite économique.
Les chercheurs concluent : «Le point central qui émerge de notre recherche est que les élites économiques et les groupes organisés représentant des intérêts commerciaux ont un impact important sur la politique gouvernementale alors que les groupes organisés basés sur le social ou les citoyens moyens n’ont que très peu ou pas du tout d’influence.»
Les chercheurs en déduisent que les décisions gouvernementales rencontrent rarement les préférences de la majorité de la population et expriment par contre, et de manière très forte, les intérêts particuliers des groupes économiques : «Quand une majorité de citoyens est en désaccord avec les élites économiques ou les groupes d’intérêt, en général, ils perdent. Et même, à cause du fort statu quo qui existe dans le système politique, lorsqu’une large majorité d’américains est en faveur d’un changement de politique, elle ne l’obtient pas.»
L’ère Reagan des années 1980 fut perçue comme celle de l’âge d’or de la libre entreprise capitaliste. En réalité, cette ère dure encore. Les banques débordent de leur sphère d’activité en saisissant des biens publics pendant que le gouvernement ferme les yeux.
Morgan Stanley a importé 4 millions de barils de pétrole, rien qu’en juin 2012. Goldman Sachs a entreposé de l’aluminium dans des entrepôts de Détroit, continue à posséder et à gérer des aéroports dans de nombreux pays et à faire de vastes profits sur les routes à péage aux États-Unis, à Puerto Rico, en Inde et en Australie.
L’exemple de l’autoroute du Colorado est typique. Le contrat portant sur 50 ans, couvrant 18 miles (29 km), fut approuvé par le Sénat du Colorado le 20 février 2014. Selon les termes du contrat les sénateurs et représentants du Colorado n’étaient pas autorisés à lire le contrat avant de le signer, ni à l’amender ni à le voter. Goldman Sachs ne mettra pas un rond dans cet investissement de $552 millions qui seront pris sur l’argent du contribuable alors que cette banque tirera tous les profits des droits de péage.
Les défis sont monumentaux mais vains, tant qu’il n’y aura pas de volonté politique pour empêcher ces multinationales d’échapper à la loi. Seulement alors pourrons-nous redonner un peu de crédibilité au mot démocratie, mot qui vient du grec et veut dire dirigé par le peuple.
Ridwan Sheikh
Note du Saker Francophone
Même s’il a été écrit pour un public américain ce texte résonne autant auprès d’un public européen ou le système soi-disant démocratique est de plus en plus visible pour ce qu’il est : un système ploutocratique ou la loi est faite exclusivement par et pour les puissances économiques. Le fait que ces puissances financières utilisent aussi le secret pour faire passer leurs lois scélérates, du Colorado au TPPI, montrent qu’elles sont conscientes de leurs forfaitures. Mais leur manque de vision sociopolitique profonde, du à leur obsession du profit à court terme, les empêche de comprendre que cette politique de la terre brulée les mène droit à leur perte, perte financière mais aussi perte de dignité humaine. Après-demain, tous ces soi-disant responsables politico-économiques seront considérés par nos petits enfants comme nous considérons les nazis et leurs collabos de nos jours. La lie de l’humanité.
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone