On peut redresser la situation financière de l’industrie du pétrole de schiste en difficulté


C’est Chevron et Exxon qui le disent


Par Justin Mikulka – Le 18 avril 2019 – Source DeSmog

Gas station sign reading 'Exxon' and 'On the Run'

Photo originale Gas Price – 18 juillet 2005 par Philip Shoffner sous licence CC BY 2.0 adapté par Justin Mikulka, CC BY 2.0

Après une décennie au cours de laquelle l’industrie américaine de la fracturation a brûlé des centaines de milliards de dollars de plus qu’elle n’en a gagné, cette industrie auparavant dominée par des spécialistes du forage du schiste argileux entre dans une nouvelle phase. Les grandes compagnies pétrolières – un groupe de multinationales qui ont généralement des divisions spécialisées tout au long de la chaîne d’approvisionnement pétrolier – investissent maintenant massivement dans des opérations pétrolières et gazières liées à la fracturation.

Le dernier développement en date est l’acquisition par Chevron de la société pétrolière et gazière de schistes Anadarko pour 33 milliards de dollars. L’une des publicités actuelles de Chevron sur « l’énergie humaine » utilise la phrase-clé « C’est une tâche difficile ». Ce qui est plutôt réaliste pour Chevron si le grand pétrolier espère profiter de cet investissement, car il s’est avéré très difficile pour les joueurs actuels de faire de l’argent sur le pétrole de schiste des États-Unis.

Chez Chevron, nous savons que rien d’extraordinaire n’a jamais été facile. Tout ce qui est audacieux ou monumental est toujours difficile. La facilité ne nous rend pas meilleurs en quoi que ce soit. Difficile est une invitation à être grand, et nous le sommes.

Pourquoi les grandes pétrolières choisiraient-elles d’investir dans une industrie qui n’a pas réussi à faire des profits au cours de la dernière décennie ? Pour comprendre, il faut examiner l’état de l’ensemble de l’industrie pétrolière et gazière.

Les producteurs de pétrole qui travaillent dans les sables bitumineux canadiens perdent de l’argent depuis des années, une tendance qui se poursuit. L’industrie du gaz naturel au Canada est encore plus mal en point.

Aux États-Unis, les prix du gaz naturel sont si bas que dans les régions où il est abondant comme dans le permien au Texas, le gaz se vend à un prix négatif, ce qui signifie que les producteurs de gaz doivent payer quelqu’un pour le prendre. Le fonds d’investissement appartenant à l’État norvégien – un poids lourd international qui gère environ 1000 milliards de dollars – a récemment annoncé son désinvestissement dans des sociétés pétrolières américaines de schiste bitumineux et canadiennes de sables bitumineux.

Mike Wirth, PDG de Chevron, a récemment informé les investisseurs de la décision concernant le schiste argileux : « Il n’y a rien dans quoi nous pouvons investir qui offre des taux de rendement plus élevés ».

Pour mettre cela en perspective, a récemment conclu Reuters, « les producteurs américains de schistes ont de nouveau dépensé l’an dernier plus d’argent qu’ils n’en ont gagné ». Selon le haut dirigeant de Chevron, la meilleure option de placement est un modèle d’entreprise qui a toujours produit des rendements négatifs.

Pour ne pas être en reste, ExxonMobil fait également un grand pas vers le schiste américain, avec des plans axés sur le bassin Permien au Texas et au Nouveau Mexique. Comme l’a rapporté Desmog, Exxon vend l’idée qu’un partenariat avec Microsoft et l’utilisation du cloud computing l’aideront à percer le secret des profits dans le Permien. Reuters a rapporté que le PDG d’Exxon, Darren Woods, a déclaré le 6 mars qu’Exxon allait changer « la donne » dans le schiste.

La façon dont le jeu se joue aujourd’hui consiste à dépenser plus d’argent pour produire du pétrole de schiste que les entreprises n’en ont gagné en vendant ce pétrole.

Sans aucun doute, le schiste permien produit beaucoup de pétrole par forage horizontal et fracturation hydraulique. Et les compagnies pétrolières sont dans le business de produire du pétrole, même si cela signifie perdre de l’argent en le faisant. Cette activité n’a pas de garantie de rentabilité mais dispose de preuves très solides que le pétrole est présent dans les bassins de schiste et qu’il peut être produit par fracturation hydraulique. Toutefois, la forte baisse des taux de production des puits de pétrole fracturés soulève la question de savoir combien de temps les bassins de schiste argileux américains continueront à produire des quantités records de pétrole.

Le PDG de Chevron affirme que la fracturation est actuellement la meilleure option pour obtenir des taux de rendement plus élevés. Chevron a également déclaré qu’elle ne s’attend pas à faire de l’argent sur la production de schiste bitumineux en 2019, mais cela devrait changer en 2020. Le refrain « nous ferons de l’argent l’année prochaine » est une constante dans l’industrie du schiste bitumineux.

Parier si grand, c’est mieux

Cette semaine, la région du Permien a accueilli une conférence annuelle où l’industrie pétrolière et gazière non conventionnelle se réunit pour parler boutique. (Le forage et la fracturation horizontaux pour le pétrole et le gaz sont considérés comme « non conventionnels » selon les normes traditionnelles d’accès à ces combustibles fossiles). Et le message issu de la conférence soutient la dernière approche adoptée par les majors du pétrole : les facteurs d’échelle.

Échelle, échelle, échelle est le nouveau mantra de l’industrie pétrolière. La consolidation est là et se poursuivra, disent les panélistes. #DUGPermian

La promesse faite aux investisseurs est que les majors pétrolières utiliseront les économies d’échelle ainsi que des technologies comme l’intelligence artificielle et l’informatique dans le cloud pour finalement réaliser un profit – à un certain moment dans le futur. Il y a quelques défauts évidents dans l’idée que plus c’est gros, mieux c’est dans le schiste bitumineux.

La première est une offre limitée de ce que l’industrie appelle les « sweet spots », ou « bonnes zones », c’est-à-dire les zones où les puits sont très productifs et même rentables. Les majors pétrolières ont acquis les droits sur de grandes étendues de terres dans des bassins de schiste argileux pour les fracturer, mais quelle proportion de cette région se trouve dans ces bonnes zones ? L’histoire montre que la réponse à cette question se fait au cas par cas et qu’une entreprise ne peut en être certaine tant qu’elle n’a pas fait des tests.

Scott Sheffield a une longue histoire dans l’industrie du schiste bitumineux et a été le fondateur de Pioneer Resources – une entreprise qui travaille dans le Permien depuis des décennies. Sheffield est récemment sorti de sa retraite pour reprendre la barre de Pioneer.

L’agence Reuters a récemment rapporté que, selon Sheffield, les majors « vont finir par manquer d’inventaire ». Acheter plus d’inventaire pourrait être une option, mais quelle est la qualité de cet inventaire, de ces zones ? De nombreux signes indiquent que l’industrie du schiste argileux a déjà exploité bon nombre des bonnes zones connues dans les zones de schiste argileux comme l’Eagle Ford et le Bakken.

Cette semaine, la publication de l’industrie Natural Gas Intelligence a fait état d’une nouvelle analyse de la firme de services financiers Raymond James & Associates Inc. qui a averti que non seulement la montée en puissance rapide de la production de schiste bitumineux aux États-Unis pourrait ralentir, mais qu’elle pourrait prendre fin :

Il est important de noter qu’il y a une très forte probabilité que la productivité des puits devienne négative au cours des prochaines années, car les problèmes parent-enfant et de superficie de base dépassent la capacité de l’industrie de terminer des puits latéraux plus longs avec plus de sable.

DeSmog a abordé la question des puits parents-enfants en août 2018 (un « puits parent » est le premier puits d’essai et des « puits enfants » sont forés autour). Nous avons également noté que l’industrie du schiste argileux se heurte aux limites de la technologie de fracturation et de forage horizontal et à la façon dont ces problèmes contribuent aux pertes de l’industrie.

Cependant, cette dernière prédiction de Raymond James & Associates est une première. L’industrie de la fracturation a prouvé qu’elle peut produire de grandes quantités de pétrole et de gaz mais, dans l’ensemble, elle a perdu de l’argent en le faisant. Cette nouvelle mise en garde remet en question la capacité de l’industrie à produire de plus en plus de pétrole à partir du schiste argileux.

Raymond James a résumé la question en ces termes : « Pour simplifier, au fur et à mesure que l’on forera la zone productive de chaque zone ou bassin, il est raisonnable de supposer que la productivité des puits sera éventuellement entravée par le passage à une superficie de niveau 2 ».

L’auteure Bethany McLean a parlé d’un sentiment similaire dans son livre Saudi America au sujet de l’échec des finances de l’industrie en faillite.

Dans le livre, McLean cite un investisseur de l’industrie, dont les mots annonçaient l’avertissement de Raymond James.

« Nous estimons qu’il ne reste que cinq ans de stocks de forage dans le tube », a déclaré un investisseur de premier plan à McLean, dont le livre a été publié en septembre 2018. Si j’étais l’OPEP, je me moquerais des schistes. Dans cinq ans, qui s’en souciera ?

Les grandes compagnies pétrolières font de grandes prévisions quant à la quantité de pétrole qu’elles produiront dans cinq ans, même si, à l’heure actuelle, Chevron admet qu’elle ne fera pas d’argent sur le schiste cette année.

Le mantra de l’industrie du schiste pour les investisseurs a été de demander de la patience parce que les bénéfices vont venir. Mais après une décennie, les bénéfices n’ont pas encore été obtenus. Aujourd’hui, les grandes compagnies pétrolières font la même affirmation.

Will Hickey, co-PDG de Colgate Energy LLC, producteur de pétrole de Permian, a expliqué cette semaine à Reuters la réalité de la production de schiste bitumineux : « Vous êtes à la merci de ce que votre terrain peut produire. »

Les majors pétrolières possèdent-elles suffisamment de bonnes zones et ces zones produiront-elles de manière prolifique au cours des cinq à dix prochaines années ? Peu probable, d’après l’histoire, mais comme l’a expliqué le PDG de Chevron, c’est leur meilleure chance.

Alta Mesa : Une mise en garde

Anadarko n’est pas seulement dans les news cette semaine à cause de l’affaire Chevron. Une autre raison est une mise en garde à l’intention de l’industrie.

Jim Hackett était le PDG d’Anadarko avant de prendre sa retraite en 2013. Cependant, en 2017, il a été attiré de nouveau sur les champs de schistes avec un milliard de dollars d’argent des investisseurs, qu’il a utilisé pour former la société Alta Mesa Resources. Qui mieux qu’un ancien PDG d’une société de schiste bitumineux pour lancer une nouvelle entreprise d’extraction de pétrole ?

Hackett a dépensé le milliard de dollars, mais ce n’était pas dans des « bonnes zones ». Son geste a conduit le Wall Street Journal à appeler cela désormais « l’un des échecs les plus spectaculaires rencontrés à la poursuite du prochain grand boom américain du schiste argileux ».

En 2017, Alta Mesa a déclaré aux investisseurs que « son puits moyen produirait près de 250 000 barils de pétrole sur sa durée de vie ». En 2018, le nouveau chiffre était de 120 000 barils, et maintenant Alta Mesa est en plein milieu de procès avec ses investisseurs, de mises à pied et de problèmes de rapports financiers. En environ deux ans, un milliard de dollars a disparu et Hackett emprunte davantage pour tenter de maintenir l’entreprise à flot.

« Ne manquez jamais d’argent. Ce n’est pas amusant », dit Armstrong. Il se peut que vous manquiez certaines occasions, mais vous pouvez alors planifier à long terme. #DUGPermian « Il faut construire un coussin pour permettre des échecs sans tomber d’une falaise. »

Le Wall Street Journal appelle cela « une mise en garde à l’intention des investisseurs à la recherche de la richesse pendant le boom énergétique américain », mais ce n’est là qu’un exemple très médiatisé de la façon dont le pétrole de schiste est une machine à détruire le capital et dont les points faibles peuvent rendre une entreprise rentable ou non.

Cependant, Chevron, Exxon et d’autres majors du pétrole ignorent ces mises en garde et croient que cette fois-ci, avec eux, ce sera différent parce que, comme le dit Chevron, « Nous sommes durs au mal ».

C’est peut-être vrai, mais jusqu’à présent, essayer de faire de l’argent dans la production de pétrole de schiste suggère d’exiger « de faire l’impossible. »

Justin Mikulka

Note du Saker Francophone

Cet article est tiré d'une série : L’industrie du schiste argileux creuse plus de dettes que de bénéfices

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

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