Qui crée les « escadrons de la mort » en Ukraine
Par Andreï Vesselov – Le 27 juin 2018 – Source Sputnik News
À sa sortie de l’hôpital, Sergueï s’est engagé dans le bataillon Azov, dont le noyau sera constitué par la suite de nationalistes radicaux et de néonazis. Sergueï est loin de l’idéologie de droite (il situe ses opinions entre le libéralisme et le socialisme), mais il est expérimenté. Dans les rangs d’Azov il commande d’abord un groupe commando, puis occupe le poste de chef adjoint du camp de formation et d’entraînement du bataillon.
À une autre réunion avec Sanovski, Lissogor a fait venir Alexandre Poklad, commandant du département de contrespionnage.
En juin 2017, Lissogor invite Sanovski dans un café oriental du quartier résidentiel Tchaïka de Kiev. Il raconte que sur ordre direct de Petrov un réseau de groupes illégaux a été créé « pour organiser des activités sur le territoire ukrainien », y compris « l’élimination de personnes en désaccord avec la ligne politique actuelle ».
« Il disait beaucoup apprécier mon expérience et la spécificité de l’accomplissement des missions par l’unité que je commandais. Et il m’a proposé de réunir un groupe de combat de 6-8 hommes parmi mes anciens collègues », explique Sergueï Sanovski.
Lissogor a dévoilé les noms des exécutants : l’ex-combattant d’Azov Sergueï Korovine (surnommé Khorst) et un autre membre d’Azov surnommé Poloubotok. Cet assassinat était dû au conflit entre Babitch et Roman Zvaritch, chef de l’association Corps civil et ex-ministre de la Justice. L’épouse de Babitch ne croyait pas au suicide depuis le début.
Le second décès dû aux groupes en question est celui de Viatcheslav Galva, colonel à la retraite de la Direction générale du renseignement de l’armée ukrainienne. Il aurait accidentellement explosé en inspectant des munitions en automne 2014. En réalité, l’explosion « accidentelle » a été organisée par un groupe illégal du SBU. La raison : son refus de coopérer et ses déclarations critiques visant le gouvernement.
D’après Sergueï, ces groupes sont derrière les nombreuses attaques rapportées contre les politiciens, les journalistes et les activistes publics. Parfois, les personnes visées étaient simplement intimidées, allaient elles-mêmes à la police ou au SBU pour demander une protection. Au final, elles se retrouvaient « sous couverture ». Lissogor affirmait qu’au total plusieurs dizaines d’actions ont été organisées. « Si j’ai bien compris, ces groupes ne devaient pas seulement intimider et éliminer les opposants politiques, mais également ceux qui doutaient et ne coopéraient pas. De plus, ils étaient utilisés dans les querelles économiques », déclare Sanovski.
Lissogor soulignait constamment que l’activité de ces groupes avait été approuvée par Piotr Porochenko et que Petrov était directement soumis au président ukrainien en contournant le directeur du SBU.
Sergueï a brusquement rejeté la proposition de Lissogor.
« Le 10 juillet 2017, la porte de mon appartement a été fracturée. Des hommes en uniforme ont crié ‘SBU !’. Aucun mandat, aucun document ! Je n’ai pas opposé de résistance mais j’ai été violemment battu. L’un d’eux sautait sur mon dos », se souvient Sanovski. À ce moment, dans l’appartement, se trouvait l’épouse de Sergueï, Tatiana, qui portait leur enfant.
Sergueï a été conduit dans le bâtiment du SBU où il a d’abord été interrogé par l’enquêteur, puis les agents du contrespionnage. « On cherchait à me faire avouer des choses absurdes : que je planifiais un coup d’État, que je planifiais l’assassinat du Président et des ministres. C’est absurde ! Mais ils exigeaient ces aveux et ont tout enregistré par caméra. Surtout, ils exigeaient que j’accepte de coopérer », raconte Sergueï.
L’un des agents était le fameux Alexandre Poklad, qui avait été présenté à Sergueï par Lissogor. C’est lui qui a commencé à le torturer, essentiellement par strangulation. « C’est très effrayant pour un homme de se retrouver sans oxygène. Chez nous, on étouffe essentiellement. Cela fonctionne », déclare Sanovski. Ensuite, ils ont enfilé sur sa tête un masque à gaz pour envoyer du gaz poivre par le tuyau. On lui envoyait également des décharges de taser et on lui tordait la colonne vertébrale. Sergueï a accepté de tout signer et, après 12 heures de tortures, il a été relâché.
« Ils pensaient m’avoir, mais je suis passé à l’attaque », dit Sanovski. Il a fait constater les lésions corporelles dans plusieurs cliniques médicales et a écrit une requête concernant les enlèvements et les tortures au Bureau national anticorruption ukrainien (NABU). Ce dernier a refusé de donner suite à l’affaire. C’est alors que l’avocat de Sanovski, Sergueï Titorenko de l’association Fortetsia, a déposé une plainte. Au final, une enquête a été ouverte et l’affaire a été transmise au NABU et au parquet militaire.
« Un jour, Poklad m’a téléphoné sur WhatsApp. Il a dit qu’il savait où j’étais et qu’il était également à Chisinau. Il a dit qu’il fallait qu’on se voie. Que je devais collaborer, sinon cela se passerait très mal. Visiblement, l’enquête ouverte par le parquet était devenue une véritable menace pour eux et il voulait que je retire la plainte. J’ai fait semblant d’accepter et nous avons reporté la rencontre au lendemain, à midi. Au cas où, j’ai enregistré un message vidéo et je suis parti avec ma femme en Bulgarie », se souvient Sergueï.
Sergueï décide de se réfugier en Birmanie et reçoit un visa électronique. Mais quitter la Bulgarie ne fut pas simple. Il a été interpellé avec son épouse à l’aéroport pendant le contrôle des passeports. Un officier de police a expliqué qu’il faisait l’objet d’une « demande d’Interpol ». Mais il n’a répondu à aucune autre question. C’est alors que Sanovski a déclaré qu’il demanderait un asile politique.
« Ses yeux sont devenus tout ronds. Ils m’ont immédiatement laissé passer et conduit dans l’avion. Ils n’avaient pas besoin d’un scandale. Manifestement, ils nous avaient arrêtés à cause d’une entente informelle avec le SBU. Ils étaient censés nous retenir pour nous transférer en Ukraine. Des gens ont été transportés de Bulgarie en Ukraine dans des coffres », dit Sergueï.
Aujourd’hui, Sergueï et sa femme ont demandé l’asile politique en Suède et sont placés sous protection policière.