Par Dmitry Orlov – Le 5 octobre 2021 – Source Club Orlov
« Dans la cosmologie chinoise, l’univers se crée à partir d’un chaos primaire d’énergie matérielle, organisé selon les cycles du Yin et du Yang et formé en objets et en vies. Le Yin est le principe réceptif et le Yang le principe actif, vu dans toutes les formes de changement et de différence, comme le cycle annuel (hiver et été), le paysage (ombre orientée vers le nord et luminosité orientée vers le sud), l’accouplement sexuel (féminin et masculin), la formation des personnages, hommes et femmes, et l’histoire sociopolitique (désordre et ordre). » [Feuchtwang, Stephan (2016). Les religions dans le monde moderne : Traditions et transformations].
Les dualités Yin-yang sont nombreuses, mais l’une des plus facilement observables est la distinction féminin-masculin : le dimorphisme sexuel essentiel de l’Homo Sapiens. Les membres de notre espèce sont incapables de fonctionner – que ce soit en tant que bandes, tribus, nations ou civilisations – sans maintenir des rôles de genre distincts et un équilibre dynamique entre les manières d’être masculines et féminines. L’histoire des cultures et des civilisations effondrées, qui traversent souvent une période de déviance et de décadence sexuelles à l’approche de leur fin, offre un flot ininterrompu de leçons d’objets sur la validité de ce modèle cosmologique. Toutes les cultures antérieures qui ont nié le dimorphisme sexuel humain, y compris l’actuelle crise de dysphorie sexuelle qui frappe l’Occident, sont les signes révélateurs d’une culture défaillante et on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle s’éteigne biologiquement dans un avenir proche.
Il s’agit de la mythologie dualiste la plus importante et la plus répandue au monde, à l’exception du culte de Jésus et Marie, dont nous parlerons plus loin. Il s’agit d’une cosmologie très nuancée qui surpasse les mythologies religieuses de type NUL, 0 et 1 car, d’une part, elle rassemble l’ensemble de l’univers et, d’autre part, elle se fonde sur des distinctions spécifiques et observables, liant le tout en un seul ensemble sacré. Elle ne cherche pas à exclure ou à concurrencer les dieux, les divinités et les choses divines, mais les relègue à leur juste place en tant qu’artefacts culturels, éléments de la tradition et exutoires de la nature superstitieuse des gens. Plus important encore, il introduit la notion d’équilibre dynamique de principes complémentaires plutôt qu’opposés, embrassant le concept de changement sans fin comme central à l’ensemble de la cosmologie – non pas comme un progrès mais comme une oscillation et un flux. Ainsi, l’expression pseudo-arithmétique de cette notion est 1+1=1 : de la dualité naît l’unité.
Cette mythologie constitue une barrière aux efforts de domination et de contrôle de la technosphère car, dans cette vision du monde, trop de technologie (qui, dans ses fonctions de contrôle, est inévitablement l’élément actif) est simplement trop yang et devient un déséquilibre à corriger. Elle peut dominer pendant un certain temps, mais au bout de ce temps, une réaction est certaine, et plus longtemps elle domine, plus forte sera la réaction. C’est pourquoi la technosphère a fait tous les efforts possibles pour supprimer ce système de pensée mythologique, mais elle a échoué, et maintenant le parti communiste chinois permet tranquillement sa renaissance (tout en prenant soin de s’assurer que des forces politiquement perturbatrices ne naviguent pas sous son apparence).
Il reste à voir si la Chine sera capable de rétablir l’équilibre après sa récente phase de développement économique fébrile. Les techniques excessivement lourdes utilisées par les autorités chinoises dans la lutte contre le coronavirus ont constitué un tour de force pour la technosphère : tout le monde en Chine est soigneusement surveillé et contrôlé. La technosphère a utilisé la peur du coronavirus comme couverture pour faire avancer son programme de contrôle total. L’élément le plus révélateur est le remplacement de l’immunité naturelle par la promesse, jusqu’à présent non tenue, d’une immunité artificielle, induite par la technologie. Étant donné que cet effort échouera très probablement – comme cela a été le cas pour tous les autres virus de la grippe – la technosphère pourrait également être anéantie, ou du moins subir un revers majeur. Comme l’État chinois a mis sa réputation en jeu pour réaliser ce rêve irréaliste de contrôle total de la nature, l’échec de cet effort pourrait porter un coup à son autorité et l’obliger à un rééquilibrage indispensable.
Bien que le monde soit actuellement très déséquilibré, un rééquilibrage final semble inévitable. Ce qui rend le système mythologique dualiste particulièrement durable, et intraitable du point de vue de la technosphère, c’est que les jugements qu’il porte ne sont pas nécessairement fondés sur des considérations rationnelles (qui sont tout ce que la technosphère est capable de faire) mais sont fortement influencés par l’intuition humaine, la nuance poétique, le sens esthétique raffiné, la perception synesthésique et d’autres éléments de l’incarnation humaine qu’aucune organisation bureaucratique et aucun mécanisme, aussi complexe ou artificiellement intelligent soit-il, ne pourra jamais espérer simuler ou déplacer. C’est un résultat merveilleux qui donne beaucoup d’espoir au monde.
Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateurs de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.
Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone