Par Daniel Vanhove – Le 23 mars 2019
« Très vite en quittant Jérusalem vers Jéricho, le dénivelé du paysage se transforme en décor desséché, poussiéreux et se résume à d’immenses étendues de sable et de rocaille. Le climat est tropical. La Mer Morte ( – 400 m. sous le niveau de la mer) est à deux pas. La ville, véritable oasis en zone aride, est la plus basse du monde à – 350 m. et pourrait bien être la plus vieille aussi. Des vestiges d’enceinte de la première cité ont été datés à environ 8.000 ans avant notre ère. Il n’en reste pas grand-chose suite aux tremblements de terre, aux guerres multiples, et à l’érosion du temps. Des villages ont été retrouvés par des archéologues, construits les uns sur les autres. Ramassée sur elle-même, entourée d’un écrin de verdure, nous la contournons et dès qu’on s’en éloigne, l’aridité redevient omniprésente. C’est à la sortie Nord de Jéricho que se situe le désert où Jésus se serait retiré pour son jeûne. La région est célèbre aussi pour ses Manuscrits de la Mer Morte. Il semble que peu d’entre eux aient révélé leurs secrets, et que beaucoup de grottes de la région n’ont pas encore été fouillées à fond.
Jéricho est l’une des villes les plus calmes de Palestine. Il est rare d’y entendre des informations relatant d’affrontements entre Palestiniens et Israéliens. La ville semble endormie sous l’intense chaleur qui minéralise tout. Certains disent qu’à part le soleil et les moustiques, il n’y a rien à Jéricho. À tel point que peu semblent exprimer le désir de s’y installer. Nous apercevons au loin, le Pont Alembi, l’un des seuls points de passages entre la Jordanie et la Palestine.
Des colons se sont installés tout au long de cette vallée du Jourdain, fermiers pour la plupart. Il faut dire que sous cet aspect désertique se trouvent les nappes phréatiques les plus importantes du pays et qu’avec les moyens modernes, l’irrigation permet l’entretien des cultures. Les paysages se succèdent et ne varient guère au fil des kilomètres. De rares villages sont séparés les uns des autres par les cultures entrecoupées de zones désertiques. De temps à autre, nous apercevons quelques bédouins et leurs troupeaux de chèvres et de dromadaires à la recherche d’une verdure bien pauvre. Les check-points sont rares et les contrôles s’y déroulent sans problème. Nous remontons lentement vers le lac de Tibériade situé à – 210 m. Soudain, Maher bifurque pour nous faire découvrir « un panorama exceptionnel ». De façon subite, les pentes deviennent abruptes. La végétation se densifie. Il n’y a aucune circulation. Au fil d’une pénible ascension, nous découvrons les paysages de la vallée d’une beauté grandiose et saisissante. En contre-bas, le lac se détache au centre de cet écrin comme un joyau aux reflets de saphir. On y aperçoit de loin, minuscules, quelques rares vacanciers qui goûtent aux plaisirs de l’eau. La nature semble préservée. Pourtant, au sommet, une aire de repos rudimentaire est aménagée. Le point de vue est époustouflant de beauté.
Après une demi-heure d’arrêt, nous redescendons dans la vallée pour continuer toujours plus au Nord, vers les hauteurs du Golan. Le paysage est moins aride. Nous roulons dans ce qui était la Syrie avant qu’Israël ne l’envahisse. De temps à autre, la route traverse un hameau en ruines, criblés d’impacts de tirs qui attestent de la violence des combats. Décidément, du Nord au Sud et d’Est en Ouest cette terre est un champ de batailles. Les constructions sont un peu différentes des maisons palestiniennes, mais le résultat est le même…
La frontière du Sud Liban n’est pas loin. Ici et là, nous découvrons le long de la route, des pièces d’artillerie abandonnées, canons pointés vers la plaine en contre-bas. La vue est magnifique. Les lacets, les collines et les vallées sont magiques ! Maher, imperturbable et souriant, pousse son mini-bus toujours plus loin sur ces routes superbes. Tout est calme et seul le bruit de notre véhicule vient troubler la paix environnante.
Enfin, nous atteignons les contreforts de Majdal Shams [Point vert en haut à droite du Golan sur la carte, NdT]. Les rues sont très raides. Le village est accroché aux flancs du Golan. Maher le traverse par ses ruelles escarpées et s’arrête à la sortie. Il pointe du doigt le passage avec la Syrie : à environ 300 m. dans la montagne, un poste de contrôle désert. À l’occasion, les familles situées de ce côté de la frontière vont à la rencontre des leurs, vivant de l’autre côté, pour se crier les nouvelles comme ça, de loin…
Ensuite, Maher nous emmène au centre hospitalier du village. Nous y sommes reçus par son directeur, le Docteur Taiseer Maray. Nous nous serrons dans son petit bureau, où il nous donne des explications précieuses sur cette partie du territoire dont peu de médias se font l’écho :
…depuis 1948 les Israéliens n’ont eu de cesse d’étendre leur domination sur la région. Ils ont envahi de plus en plus de territoires. À ce jour, ils occupent 1.200 km² de terres syriennes. Sur la route, vous avez vu quelques vestiges des villages conquis. Il y en avait plus de 130 dans le Golan. En 1967, les forces israéliennes les ont détruits pour la plupart. Aujourd’hui, il n’en reste que 6 ! La technique est décrite par Moshe Dayan lui-même : les chars avançaient en territoire syrien pour y provoquer une réaction. Dès que les coups de feu de la résistance commençaient, les chars chassaient les habitants des villages, et le terrain conquis le restait…
À entendre la description de cette technique, rien n’a changé : les colons continuent à faire de même. Ils provoquent les Palestiniens jusqu’au moment où ceux-ci réagissent, et ensuite, appellent l’armée en renfort pour être « protégés » de l’agression de ces terroristes arabes.
Taiseer continue :
…à l’époque, il y avait à peu près 130.000 habitants dans les villages. Après le coup de force de l’armée israélienne, il n’en est resté qu’environ 6.000, les autres ayant fui vers Damas. Depuis, ils sont environ 18.000 dans ces six villages, et plus de 30 colonies israéliennes se sont installées dans les places laissées vides, peuplées d’environ 18.000 colons…
Au-delà de sa fonction de médecin, Taiseer Maray s’occupe de différents projets de développement dans les secteurs de l’agriculture et de l’éducation. Par ce biais, il est en contact régulier avec les Palestiniens et les soutient par différents canaux. Il nous informe de la problématique de l’eau, enjeu majeur pour la contrée :
…les fleuves Tigre et Euphrate qui prennent leurs sources en Turquie, sont de véritables réservoirs pour la région. De même, on peut dire que le Golan est considéré comme un château d’eau. Depuis toujours, il y a des pénuries à certaines périodes de l’année. Tous les ans, les hauteurs du Golan sont enneigées. Les habitants de la région qui connaissaient ce phénomène avaient construit d’énormes réservoirs qui captaient les eaux de pluie et de ruissellement, pour les périodes de sécheresse prolongée. Mais une loi de la Knesset les a interdits. Il faut dorénavant une kyrielle d’autorisations et de documents administratifs pour pouvoir en construire de nouveaux. Le comble étant les taxes prohibitives qui grèvent ces citernes, vu que l’eau tombe du ciel sur la terre… d’Israël ! Partout, son captage est l’objet de tension entre parties. Environ un tiers de la consommation d’eau en Israël provient du Golan. Israël, conscient des enjeux, a la main mise sur sa gestion et sa distribution. Toute la politique d’occupation en est imprégnée. Ils en contrôlent environ 90% que ce soit ici, dans la Bande de Gaza ou en Cisjordanie. Il semble même que des travaux de pompage très sophistiqués leur permettent de capter l’eau de nappes phréatiques situées en territoire jordanien…
Précieux compléments d’informations ! Taiseer illustre ses propos à l’aide de graphiques et de chiffres tirés de son ordinateur. Puis, il aborde d’autres aspects de la colonisation :
…depuis plus de 20 ans, Israël s’est efforcé de convaincre les populations du Golan d’accepter la citoyenneté israélienne. Les soldats faisaient du porte à porte pour en persuader les habitants. À l’époque, ils avaient imposé un couvre-feu de 6 mois, et arrivaient avec des documents préparés où il suffisait d’apposer sa signature pour devenir citoyen israélien. Peu de Syriens acceptèrent, et ils furent pris en grippe par les autres qui avaient résisté. Aujourd’hui, ils sont plusieurs centaines à redemander leur citoyenneté syrienne… Par ailleurs, Israël nous a imposé son système, dès 67. Nos élèves sont obligés d’apprendre l’hébreu, la religion juive, la géographie et l’histoire d’Israël. Nos propres enseignants ne peuvent donner de cours universitaires, de peur « d’inoculer » les valeurs syriennes dans la tête des étudiants. Ce sont des professeurs israéliens qui sont en charge…
Cela balance le refrain des représentants israéliens qui assènent à longueur d’ondes, que l’enseignement palestinien est tendancieux. Si c’est le cas, il n’est pas le seul semble-t-il :
…tout cela nous conduit à dire qu’Israël n’est pas tellement soucieux de la paix. Ce que veut Israël, c’est une domination sur les territoires conquis. C’est une paix qui ne serait qu’un calme pour mieux contrôler ce qu’ils ont volé à d’autres. Il faut ajouter que, tant qu’Israël voudra faire de son pays un État religieux, ce sera incompatible avec un État démocratique. Si le but ultime est de créer un État juif, les problèmes se succéderont les uns aux autres… À terme, une guerre avec la Syrie semble inévitable…
Incontournable, à ce stade de son intervention, Taiseer nous dit :
… les Américains qui veulent à tout prix s’ériger en gendarme du monde, sous prétexte d’imposer « leur » démocratie partout, sont surtout intéressés au maintien de leur domination par la force militaire, thèse intégrée par Israël. Il faut bien se rendre compte que ce ne sont pas les pays riches qui aident les pays pauvres, mais que ce sont ces derniers qui fournissent l’essentiel de leur bien-être aux premiers… Enfin, si l’Histoire nous démontre que tôt ou tard, toute occupation militaire se termine, Israël devrait profiter de sa supériorité militaire pour conclure un processus de paix, tant qu’il est dans une position de force. Car l’Histoire nous apprend aussi que, toute puissance est renversée un jour…
Nous en resterons-là avec Taiseer Maray. Son exposé nous a donné un autre angle de vue de la situation dans le pays. Il nous a parlé de manière raisonnée, s’excusant de ne pas nous offrir un meilleur confort pour l’écouter. Au moment de se quitter, il nous dit, l’air entendu :
…ce sont les ténèbres maintenant, ce qui veut dire que l’aube approche… »
Daniel Vanhove
Source : « Si vous détruisez nos maisons, vous ne détruirez pas nos âmes » – 2004 – Ed. M. Pietteur – Extrait
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