La Nouvelle-Orléans dix ans après l’ouragan Katrina
«…Nous n’aurions pas pu le faire par nous-même mais Dieu l’a fait.» Un député américain
Par Stephen Lendman – le 29 août 2015 – Source Stephen Lendman Blog
Ce 29 août est le dixième anniversaire de l’ouragan Katrina.
Note personnelle de l'auteur
La dévastation de La Nouvelle-Orléans et ses suites scandaleuses ont inspiré au retraité de 70 ans que j'étais à l’époque l'idée d’écrire bénévolement pour des médias des chroniques sur les enjeux mondiaux et nationaux.
C’est dur de devoir répéter différentes choses que nous avions dites dans notre premier article : Katrina n’est pas seulement une catastrophe naturelle, c’est aussi pour beaucoup une conspiration de l’État fédéral, de l’État de Louisiane et de la municipalité de La Nouvelle-Orléans, avec la complicité des milieux d’affaires, contre les habitants les plus vulnérables de la région – essentiellement les Noirs pauvres.
Plus d’un million de personnes ont été déplacées. Plus de mille sont mortes. Mais d’autres ont tiré profit du désastre. L’ancien député républicain et actuel lobbyiste Richard Baker a déclaré à l’époque : «Nous avons finalement nettoyé les logements sociaux à La Nouvelle-Orléans. Nous n’aurions pas pu le faire par nous-même mais Dieu l’a fait.»
Le promoteur Joseph Canizaro a ajouté : «Je pense que nous avons fait table rase pour redémarrer et saisir de belles opportunités.»
Le plan de ces profiteurs : éliminer les communautés pauvres, les remplacer par du haut de gamme. Les côtes saccagées du Golfe du Mexique sont devenues alors un champ d’expérimentation pour le capitalisme du désastre, déjà exploré en Irak.
On retrouve d’ailleurs les mêmes noms : Halliburton, Bechtel et d’autres profiteurs attirés à l’idée de faire de gros profits. Les plans étaient déjà prêts. La réalisation a suivi Katrina dans la foulée.
On a d’abord suspendu la loi Davis-Bacon qui garantissait des salaires décents pour tous les contrats de construction financés ou aidés au niveau fédéral – les entreprises ont donc pu employer des sans-papiers sous-payés et sans aucun avantage social.
Blackwater USA et d’autres paramilitaires se sont déployés aussitôt – en tenue de combat complète, patrouillant dans les rues en 4×4 ou en voitures sans insigne et sans immatriculation.
Des troupes opérationnelles de l’US Army, la Garde nationale, les gardes-frontières et la police d’autres États ont suivi. Ville déjà dévastée, La Nouvelle-Orléans est devenue un champ de bataille.
En août 2013, Bill Quigley, professeur de droit à l’Université Loyola à La Nouvelle-Orléans, expliqua la situation de La Nouvelle-Orléans huit ans après Katrina.
Près de 100 000 personnes (des Noirs en majorité) «ne sont jamais revenus», écrit-il. « La ville est restée incroyablement pauvre, les emplois et les revenus changent du tout au tout selon l’origine ethnique, les loyers ont monté, les transports publics sont à l’abandon, les logements sociaux traditionnels n’existent plus, les conditions de vie diffèrent considérablement selon la couleur de peau et l’endroit, et la plupart des écoles publiques sont devenues des établissements privés.»
Quigley a expliqué que la population de la ville est tombée de 455 000 habitants, avant Katrina, à 369 000 en 2013. Pas loin de la moitié des Noirs en âge de travailler étaient au chômage.
Les salaires dans les quartiers afro-américains sont moitié moindres que dans les quartiers blancs. Les emplois continuent de migrer vers les zones urbaines. Il n’y a plus de logements publics à La Nouvelle-Orléans. La pauvreté est deux fois plus importante que la moyenne nationale.
Les transports publics font pitié. L’éducation a dramatiquement changé – jusqu’à 80% d’écoles privées, une étape vers la privatisation totale.
Le taux d’emprisonnement est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. Quigley appelait la perte de près de 2500 km2 de milieux humides littoraux de 1932 à 2010, «le plus grand de tous les crimes».
Le 27 août, il a participé à une interview sur La Nouvelle-Orléans, 10 ans après Katrina. Il a rappelé que des dizaines de milliers d’habitants «les plus malades, les plus âgés, les plus pauvres, les plus jeunes, handicapés et défavorisés» ont été abandonnés.
Il y a eu des plans pour chasser tous les habitants indésirables. «Mais vous ne pouvez pas partir si vous êtes à l’hôpital. Vous ne pouvez pas partir si vous êtes infirmière.»
«Vous ne pouvez pas partir si vous êtes hospitalisé. Vous ne pouvez pas partir si vous êtes en maison de retraite. Vous ne pouvez pas partir si vous n’avez pas de voiture. Toutes sortes d’obstacles.»
«Ils ont simplement oublié… de planifier cela. Et donc, quelque part dans le voisinage, je pense, il reste encore 100 000 personnes indésirables dans la zone métropolitaine de La Nouvelle-Orléans. »
Quand Katrina s’est abattu sur la ville, il a provoqué de nombreux morts dans les maisons de retraite et les hôpitaux, explique Quigley. «La prison était pleine, il y avait 7 000 prisonniers environ privés d’électricité, d’eau, de tout… Il y avait plein de gens coincés sur le toit de leur maison…»
Les autorités ont ordonné d’évacuer, mais il n’y avait pas de bus, ni de trains. Sans moyen de transport, personne ne pouvait partir.
Bien sûr, les quartiers touristiques, les quartiers d’affaires et d’autres quartiers importants se sont bien rétablis – «100 000 de nos sœurs et de nos frères de la communauté afro-américaine ne sont jamais revenus, jamais», rappelle Quigley.
Et ceux qui sont revenus sont encore plus mal lotis qu’avant. «La reconstruction relève d’Un conte des deux cités.» [Le roman de Charles Dickens, qui évoque le Londres royal et le Paris révolutionnaire, est souvent cité, en Amérique, pour illustrer deux situations divergentes, NdT] On s’est parfaitement bien occupé des résidents privilégiés. Les Noirs, les vieux, les handicapés et autres laissés-pour-compte ont été oubliés.
Ni l’administration Bush, ni l’administration Obama n’ont levé le petit doigt pour aider – elles ont servi exclusivement les riches et les intérêts des puissants, ignorant ceux qui avaient le plus besoin d’aide.
Le 27 août, Obama est venu visiter La Nouvelle-Orléans pour la première fois depuis qu’il est président, ignorant comme toujours les besoins des plus démunis tout au long de son mandat.
Il a menti, affirmant : «mon administration va s’occuper de vous et mettre tout en œuvre, à vos côtés, jusqu’à ce que le travail soit terminé, jusqu’à ce que la ville retrouve son état d’avant. Nous allons vous aider jusqu’au bout».
Il a systématiquement abandonné les promesses qu’il a faites tout au long de son mandat. Les plus défavorisés des Américains, que ce soit à La Nouvelle-Orléans ou dans le reste du pays, n’ont jamais été aussi peu aidés par tous les niveaux de l’administration d’État et fédérale, depuis la Grande Dépression. Et rien ne laisse entrevoir un quelconque changement.
La Nouvelle-Orléans reste une fenêtre ouverte sur l’avenir de l’Amérique. De plus en plus, la survie dépend de l’argent. Et ceux qui n’en ont pas sont négligés, abandonnés, ignorés et oubliés.
Traduit par Ludovic, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone