Netanyahou est comme un albatros autour du cou de l’Inde


Par M.K. Bhadrakumar – Le 14 octobre 2023 – Source Indian Punchline

Une semaine s’est écoulée depuis qu’une situation explosive a éclaté au Proche Orient autour d’Israël. Le célèbre ministre indien des affaires extérieures, S. Jaishankar, qui a la langue bien pendue, garde un silence assourdissant. Cela ne sied pas au Vishwaguru (maître du monde).   

Jusqu’à présent, hormis un tweet émouvant du Premier ministre Narendra Modi et un compte rendu de sa conversation téléphonique avec le Premier ministre israélien Netanyahu, où les sentiments de solidarité avec Israël ont été réitérés sur un ton plus calme, il n’y a pas eu de déclaration “autonome” de la part du ministère des affaires étrangères.

La brève interjection que les journalistes ont littéralement arrachée jeudi à un porte-parole officiel réticent n’a même pas fait référence aux crimes de guerre flagrants commis par Israël. Se peut-il que le ministère ait été ordonné de rester silencieux ?

Il n’est certainement pas possible que les diplomates arabisants de premier ordre du ministère des affaires étrangères gardent leur ministre dans l’ignorance de la situation explosive qui se déroule au Proche Orient. Moralement, politiquement et diplomatiquement, le silence assourdissant du ministère est consternant. Il réduit en miettes les prétentions de l’Inde à être une puissance régionale. Et il n’y a pas d’explication plausible.

Non seulement le silence de l’Inde sur le massacre de Gaza est moralement répugnant, mais il va être intenable en termes stratégiques, car ce qui est apparu aux dirigeants indiens comme des “actes terroristes en Israël” se transforme dramatiquement en une guerre sauvage dans une région où des millions d’Indiens vivent, gagnent leur vie et contribuent à l’économie de l’Inde. Considérons ce qui suit :

  • Dans une démarche sans précédent, les États-Unis ont déployé deux porte-avions avec une armada de navires de guerre et d’avions de chasse au large des côtes israéliennes. Le commandement central américain et les infrastructures de renseignement de la région aident Israël dans la planification et la logistique des opérations à Gaza. Les États-Unis fournissent des armes de pointe en grandes quantités aux Israéliens. Les forces spéciales telles que les équipes SEAL / Delta Force dans les pays européens voisins sont placées en état d’alerte.
  • Le Royaume-Uni, éternel allié des Américains dans toute “coalition de volontaires” sur les théâtres de guerre, a annoncé l’envoi de deux navires de la Royal Navy et d’avions de surveillance en Méditerranée orientale afin de “renforcer la sécurité“. Des marins de la Royal Navy sont également envoyés sur place. Les avions britanniques ont commencé à patrouiller au large de Gaza pour “repérer les menaces qui pèsent sur la stabilité régionale, telles que le transfert d’armes à des groupes terroristes“. Le ministre britannique de la défense, Grant Shapps, a déclaré que ce déploiement visait à “dissuader les autres de s’impliquer dans la région” et à “dénigrer l’influence extérieure“.
  • Israël a mobilisé 400 000 réservistes pour passer à l’offensive, imposer un blocus total à Gaza et couper l’électricité, l’eau et l’approvisionnement quotidien.

Il est évident qu’Israël se prépare activement, sur le plan militaire, à une guerre régionale avec le soutien des États-Unis et du Royaume-Uni. Un alibi pour une guerre régionale peut toujours être généré en créant de nouveaux faits sur le terrain. Une attaque israélienne contre le Liban est peut-être dans les cartons.

Les remarques du ministre iranien des affaires étrangères Amir-Abdollahian, en visite hier à Beyrouth (où il a rencontré le chef du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah), indiquent qu’il est fort probable que les groupes de résistance réagissent à l’agression et aux crimes de guerre israéliens :

  • Certains responsables européens m’ont demandé (Amir-Abdollahian) s’il y avait des chances que de nouveaux fronts s’ouvrent contre le régime sioniste. Je leur ai répondu que si les sionistes poursuivent leurs crimes de guerre, il y a toutes les chances que d’autres mouvements de résistance [entrent en guerre]… La poursuite de ces crimes de guerre sera suivie d’autres réactions sur d’autres axes…“.
  • La résistance palestinienne est puissante et dispose de grandes capacités, et si les crimes d’Israël se poursuivent, la résistance palestinienne utilisera ses autres capacités…
  • (Les Américains) appellent les autres pays de la région à faire preuve de retenue d’une part et soutiennent pleinement le régime israélien usurpateur dans la poursuite de ses crimes de guerre d’autre part, ce qui constitue un comportement contradictoire qui va à l’encontre de l’affirmation selon laquelle ils ne veulent pas étendre la portée de la guerre et du conflit.
  • Nous pensons que les crimes de guerre contre le peuple palestinien doivent cesser immédiatement et que le siège humanitaire, qui prive la population de Gaza d’eau, d’électricité et de médicaments, doit être levé… L’Iran continuera à soutenir fermement la résistance. La résistance est le droit absolu des Palestiniens face à l’occupation israélienne…

À la suite d’une réunion à huis clos du Conseil de sécurité des Nations unies sur l’escalade actuelle, le représentant permanent de la Russie auprès des Nations unies, Vasily Nebenzya, a lancé un avertissement : “La région est au bord d’une guerre totale et d’une catastrophe humanitaire sans précédent.”

Il est certain que les dimensions géopolitiques de la guerre qui s’annonce font également surface. Nebenzya a ajouté : “Soyons clairs : la responsabilité de la guerre imminente au Moyen-Orient incombe, dans une large mesure, aux États-Unis. C’est Washington qui, de manière imprudente et égoïste, a bloqué le travail du Quartet des médiateurs internationaux au Moyen-Orient dans le but de monopoliser le processus de paix et de le limiter à l’imposition, aux Palestiniens et aux autres pays arabes, d’une paix économique avec Israël, sans résoudre la question palestinienne“.

La Russie a présenté au Conseil de sécurité un projet de résolution appelant à un cessez-le-feu immédiat et à long terme que toutes les parties respecteraient, à la libération immédiate des otages et à “la fourniture et la distribution sans entrave de l’aide humanitaire, y compris la nourriture, le carburant et les traitements médicaux, ainsi qu’à la création de conditions permettant l’évacuation en toute sécurité des civils qui en ont besoin“.

Mais l’initiative russe ne passe pas. Le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a annoncé dans une allocution télévisée : “Nous répondons à nos ennemis avec une grande force, une force sans précédent. Je voudrais souligner que ce n’est que le début. Nos ennemis commencent à peine à payer. Je n’entrerai pas dans les détails de ce qui va suivre, mais je dirai que ce n’est qu’un début“.

Moscou peut donc envisager d’autres options. Une initiative des BRICS est une possibilité. Le Brésil et la Chine sont en consultation. Il en va de même pour la Chine et l’Arabie saoudite. Le président Poutine rencontrera probablement Xi Jinping à Pékin.

Ce qui est vraiment intriguant, c’est qu’Israël disposait d’un grand nombre de renseignements sur la forte possibilité d’une opération du Hamas samedi dernier. L’Égypte a confirmé avoir transmis des renseignements à Israël.

CNN a depuis rapporté que les agences de renseignement américaines avaient elles aussi mis en garde contre une escalade potentielle du conflit israélo-palestinien peu avant l’attaque du Hamas du 7 octobre. Les extraits suivants du rapport de CNN sont pour le moins stupéfiants :

“Une mise à jour (américaine) du 28 septembre a averti, sur la base de multiples flux de renseignements, que […] le Hamas était prêt à intensifier ses attaques de roquettes de l’autre côté de la frontière. Le 5 octobre, une dépêche de la CIA mettait en garde contre la possibilité croissante de violences de la part du Hamas. Puis, le 6 octobre, la veille de l’attaque, des responsables américains ont diffusé des rapports d’Israël faisant état d’une activité inhabituelle du Hamas – des indications qui sont désormais claires : une attaque était imminente”. (C’est nous qui soulignons.)

Pourtant, Netanyahou n’a pas agi ! Il est fort possible que ce gorille de 800 livres dans la jungle politique israélienne ait calculé qu’un Holocauste n’était peut-être pas une mauvaise idée si cela l’aidait à survivre à la crise existentielle de sa carrière politique – les accusations judiciaires et la possibilité d’une peine de prison couplées à une relation troublée avec l’administration Biden.

Curieusement, la situation géopolitique émergente engendre une convergence d’intérêts entre Netanyahu et Biden. Biden est également confronté à un défi existentiel du fait de la défaite inévitable de l’OTAN dans la guerre d’Ukraine et il n’y a pas de meilleur moyen de contenir les retombées nuisant à sa position lors des élections de 2024 que de se découpler et de s’orienter vers la défense de la sécurité d’Israël, ce qui ralliera le puissant lobby juif et séduira l’opinion publique.

La grande question demeure : Netanyahou nous a-t-il mené en bateau en mélangeant islamophobie et terrorisme dans un cocktail enivrant, séduisant en cette période extraordinaire de la vie politique indienne ?

Une bromance avec Netanyahou n’a jamais eu de fin heureuse. Trump vient de révéler comment Netanyahou s’est retiré à la dernière minute du complot conjoint américano-israélien visant à assassiner le charismatique général iranien Qassem Soleimani – et s’est ensuite précipité pour s’en attribuer le mérite.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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