Par Andrew Korybko – Le 11 février 2023
Le président brésilien, Luiz Inácio Lula da Silva, qui vient d’être réélu pour un troisième mandat non consécutif et est populairement connu sous le nom de Lula, a fait ce qui était auparavant impensable pour un homme qui était considéré comme un géant du mouvement multipolaire mondial. Après avoir rencontré Biden, qui était pourtant vice-président lorsque les États-Unis ont orchestré «l’opération Car Wash» contre lui et son successeur Dilma Rousseff, Lula a publié une déclaration commune dans laquelle il condamnait farouchement la Russie.
Selon le site officiel de la Maison Blanche, « ils ont déploré la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine par la Russie et l’annexion de parties de son territoire comme des violations flagrantes du droit international et ont appelé à une paix juste et durable« . Aucun dirigeant des autres partenaires BRICS de la Russie n’avait jamais exprimé de tels sentiments, pas même l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, ce qui prouve que Lula a en effet recalibré sa vision du monde dans une direction plus pro-américaine depuis son emprisonnement.
Cette évolution n’est pas une surprise puisque Lula avait auparavant condamné la Russie en comparant son opération spéciale en Ukraine à la guerre hybride des États-Unis contre le Venezuela. Dans le même temps, il a présenté une proposition de paix de type G20 qui n’a pas seulement été ignorée par la Russie, mais même indirectement critiquée par elle, un coup de publicité peu réussi qui allait en réalité à l’encontre des intérêts de Moscou. Les lecteurs curieux peuvent en savoir plus sur le premier incident ici et le second ici, car ils dépassent le cadre du présent article.
Néanmoins, en condamnant farouchement la Russie lors de sa rencontre avec Biden à DC, il devrait être évident pour tous que Lula a conclu un pacte avec le diable. Avec le recul, il apparaît de manière convaincante que les informations qui ont été divulguées, prouvant le parti pris politique des tribunaux à son encontre et qui ont finalement annulé leur décision précédente (ce qui lui a donc permis de se représenter aux élections) étaient probablement le résultat d’un Opération de renseignement américaine visant à manipuler une fois de plus le processus politique brésilien.
Tout au long de ses deux premiers mandats et de celui inachevé de son successeur, les États-Unis considéraient Lula comme un pièce maitresse du mouvement multipolaire mondial dont la politique étrangère constituait une menace pour son hégémonie hémisphérique. Pour cette raison, ils ont divulgué des documents détaillés impliquant Lula, Rousseff et d’autres membres du Parti des travailleurs dans un scandale de corruption massif qui servit à discréditer leur régime, à l’emprisonner et à ouvrir la voie à l’installation d’un dirigeant beaucoup plus souple.
La guerre hybride des États-Unis contre le Brésil avait atteint ses trois objectifs initiaux, mais le dernier d’entre eux s’est avéré raté après que Bolsonaro a refusé de sanctionner Huawei en échange d’un partenariat officiel avec l’OTAN et a ensuite défié les demandes de sanctions contre la Russie montrant, dans un virage surprenant, son indépendance. Non seulement cela, mais sa vision du monde conservatrice-souveraine qui a été diffamée en étant présentée comme étant soi-disant «d’extrême droite» est à l’opposé polaire de la vision libérale-mondialiste des Démocrates américains au pouvoir.
Alors que cette séquence d’événements qui a inversé le principal résultat de «l’opération Car Wash» a commencé sous l’administration Trump, les observateurs objectifs savent déjà que ses bureaucraties militaires, de renseignement et diplomatiques («État profond») travaillaient contre lui et sa vision du monde tout au long de cette période. Cela a été prouvé par leur complicité dans la théorie du complot du Russiagate, parmi de nombreux autres exemples, leurs efforts préventifs pour manipuler les élections brésiliennes de 2022 en étant un autre exemple.
L’« État profond » des États-Unis a donc pensé que les intérêts de leur pays seraient mieux servis en remplaçant Bolsonaro, de plus en plus indépendant, par un Lula géopolitiquement repentant, c’est pourquoi ils ont travaillé si dur pour inverser le résultat qu’ils avaient eux-mêmes provoqué. Ils ont conclu qu’il n’était plus le géant multipolaire qu’ils pensaient être auparavant, mais qu’il ressemblait davantage à un gauchiste à la Bernie Sanders, ce qui le rend ainsi susceptible d’être manipulé dans la poursuite de leurs objectifs de politique étrangère.
Tout comme Sanders et ses semblables ont farouchement condamné la Russie, Lula l’a fait aussi, ce qui était tout à fait prévisible une fois que l’on se rend compte que ce dirigeant brésilien est devenu un « compagnon de route » de la gauche américaine. Le Parti des travailleurs a été progressivement infiltré par des libéraux-mondialistes pro-américains qui donnent la priorité à la promotion d’une politique centrée sur l’identité soi-disant « éveillée » chez eux plutôt qu’à des améliorations tangibles dans la réduction de la pauvreté, les droits des travailleurs et l’accélération de la transition systémique mondiale vers une multipolarité complexe.
Cette observation explique pourquoi l’un des trois plus gros paragraphes de la déclaration conjointe de Lula et Biden comprenait un engagement à lutter contre le racisme et à soutenir les personnes LGBTQI+. Il ne s’agit pas de nier l’existence du racisme dans l’un ou l’autre de leurs pays, mais simplement de souligner que le dirigeant brésilien croit apparemment qu’il ne peut le contrer efficacement qu’avec l’aide des États-Unis, ce qui est un report tacite de l’ancienneté de facto des États-Unis dans leur partenariat relancé et confirme ainsi par défaut la position de son pays comme son « partenaire junior ».
Une autre preuve de la réaffirmation réussie de l’hégémonie des États-Unis sur le Brésil à la suite des élections de l’année dernière, qui ont été manipulées par ses services de renseignement comme cela a été expliqué précédemment, peut être vue par le fait que Lula accepte de « renforcer les institutions démocratiques » avec Biden. Cela représente l’une des humiliations auto-infligées les plus loufoques qu’un dirigeant mondial ait jamais commises car c’est pendant le mandat de Biden en tant que vice-président que « l’opération Car Wash« , qui n’est absolument pas démocratique, a été orchestrée contre Lula et son parti.
Il le sait évidemment, mais il a décidé de « baiser la bague » et de réviser radicalement l’histoire en contrepartie des services de renseignement américains manipulant une fois de plus les processus nationaux du Brésil, mais cette fois pour le libérer de son emprisonnement injuste. Lula est allé encore plus loin avec son rituel d’humiliation auto-infligé en acceptant également dans leur déclaration de « construire une résilience sociétale à la désinformation » avec les États-Unis, bien que ces derniers soient la plus grande usine d’infox au monde, infox qu’ils avaient auparavant militarisées contre lui.
Un autre aspect du révisionnisme historique est mis en évidence par les propos qui ont précédé leur rencontre. La Maison Blanche a rapporté que Lula avait affirmé que le Brésil « s’était isolé pendant quatre ans » sous Bolsonaro, qui, selon lui, « n’aimait pas entretenir des relations internationales avec un pays ». C’est factuellement faux puisque le commerce avec la Chine a bondi malgré la rhétorique sinophobe de cet ancien dirigeant pendant la campagne électorale et il a même rendu visite au président Poutine à Moscou juste avant le début de l’opération spéciale malgré la pression américaine.
Ces faits objectivement existants et facilement vérifiables prouvent que Lula ment sournoisement, ce qu’il croit pouvoir faire en toute impunité puisqu’il a aujourd’hui le soutien des États-Unis, contrairement à ses deux premiers mandats. Il est pleinement convaincu que personne dans les médias grand public (MSM) dirigés par les États-Unis ne le contredira, car ils partagent également son opposition idéologique à la vision du monde conservatrice-souveraine que Bolsonaro incarnait imparfaitement. Il est donc dans leur intérêt à tous de revoir aussi radicalement l’histoire.
La nouvelle croisade commune entre le Brésil et les États-Unis contre « l’extrémisme et la violence en politique », qui a également été dévoilée dans leur déclaration, implique fortement que Washington aidera Lula à réprimer son opposition à la suite de l’événement du 8 janvier dans son pays. À ce sujet, les États-Unis ont sans doute également joué un rôle dans l’orchestration de cette insurrection afin de créer le prétexte pour que Lula consolide son pouvoir, ce qui est particulièrement important pour eux puisqu’il partage leur vision du monde libérale-mondialiste au sens national.
Ce que tout cela montre, c’est que Lula a effectivement conclu un accord avec le diable, c’est à dire ses ennemis américains qui étaient responsables de son emprisonnement, afin d’être sorti de prison et d’avoir ensuite une chance de retourner au pouvoir. Ce faisant, ce dirigeant géopolitiquement repentant dont la vision du monde multipolaire a été sensiblement recalibrée derrière les barreaux a fait exactement ce que les États-Unis attendaient de lui, à savoir condamner la Russie comme tous les gauchistes à la Sanders l’ont fait, puis se précipiter vers Biden pour « baiser la bague ».
Lula a ensuite radicalement révisé l’histoire aux côtés de son homologue afin de corriger publiquement leurs différences bien connues provoquées par la guerre hybride des États-Unis contre son pays, qui a été partiellement supervisée par nul autre que Biden lui-même et a finalement abouti à l’emprisonnement du dirigeant brésilien. Ce rituel d’humiliation auto-infligé est le prix que Lula a du payer, ce qui comprenait la condamnation de la Russie et donc son discrédit au sein de la communauté multipolaire, mais il avait l’air plus heureux que jamais en le faisant.
Andrew Korybko
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
Ping : Lula a conclu un accord avec le diable en condamnant la Russie lors de sa rencontre avec Biden