Le président en exercice a remporté la victoire contre le conservateur Raisi, avec un taux élevé de participation qui garantit la poursuite de l’ouverture du pays au monde.
Par Pepe Escobar – Le 20 mai 2017 – Source Asia Times via entelekheia.fr
Dans la bataille électorale récurrente entre les principlists (conservateurs) et les réformistes, les réformistes iraniens ont encore remporté une franche victoire.
Le président de l’Iran, Hassan Rohani, a été plébiscité samedi – avec au moins 56.88% des votes selon le dernier décompte au moment de la publication de cet article, et une part des votes estimée à 20 millions de voix (il en avait obtenu 18,6 millions en 2013).
A la fin, comme prévu, tout s’est joué sur le taux de participation ; plus de 70% dans les villes principales, avec un pic de 78% à Qom – le cœur religieux du chiisme. Un faible taux de participation aurait bénéficié aux intégristes, qui peuvent compter sur une base électorale de « vrais croyants » d’à peu près 20% de voix. Vingt-neuf pourcents de l’électorat iranien se compose de jeunes adultes (18-29 ans) très mobilisés par les élections.
L’histoire retiendra aussi que l’Iran – un mélange complexe de théocratie et de démocratie – est allé aux urnes et, cette fois encore, a choisi un réformiste ouvert sur le monde, exactement au moment où le président Trump a entamé son premier voyage à l’étranger, dans le monde musulman, par la visite d’une théocratie totalitaire, l’Arabie saoudite, qui est obsédée par l’idée de fomenter des divisions entre sunnites et chiites.
Suivez le guide
Le recteur du sanctuaire du huitième imam chiite Reza à Mashhad, le conservateur Hojatoleslam Ebrahim Raisi – un candidat possible à la succession de l’Ayatollah Khamenei en tant que Guide suprême – n’était tout simplement pas à la hauteur contre Rohani.
Les volontés du Guide suprême lui-même sont restées un mystère tout au long de la campagne. Khamenei n’a pas explicitement soutenu Raisi en public. Mais il a attaqué l’équipe de Rohani à plusieurs reprises.
Raisi est un partisan de la ligne dure qui a été soigneusement préparé par les Gardiens de la révolution (CGRI) au poste de futur Guide suprême. Cette défaite majeure dans la course présidentielle n’ajoute pas grand-chose à son CV, c’est le moins qu’on puisse dire.
Rohani, pour sa part, n’a jamais reculé. Au cours de la campagne, il s’est attaqué non seulement aux Gardiens de la révolution, mais aussi aux qualifications de Raisi.
Quand Rohani a été élu pour la première fois en 2013, la crise économique du pays – causée en grande partie par les sanctions des USA et de l’ONU – était grave, et il n’y avait pas d’accord sur le nucléaire en vue. Rohani et son équipe – menée par son très compétent ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif – ont signé l’accord en juillet 2015 à Vienne, malgré les avertissements répétés de Khamenei sur l’impossibilité de se fier aux promesses des Américains.
L’équipe de Rohani a été incapable d’améliorer l’économie – après tout, les bénéfices post-accord, en termes de commerce et d’investissements mondiaux, mettront un certain temps à se manifester.
Son administration restera dépendante d’au moins 140 milliards de dollars prévisionnels en investissements étrangers pour moderniser les industries de l’énergie, des transports et des télécommunications. La plus grande partie de ces investissements viendra d’Asie. Selon la Chambre de commerce iranienne, seuls 13 milliards se sont matérialisés en 2016.
L’Iran est, de fait, revenu à des relations commerciales avec l’Occident, mais il reste sous la menace des sanctions américaines ciblées sur son système bancaire et financier, qui bloquent des investissements étrangers nécessaires à la stimulation d’une activité économique suffisante pour absorber les quelques 700 000 jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi chaque année. Et la rhétorique anti-Iran de Trump ne fait rien pour arranger les choses.
Tout n’est pas totalement négatif, malgré tout. Le chômage, qui était à 12,1% en 2012, est resté stable à 12,45% l’année dernière (bien que le chômage des jeunes continue à culminer à 30%). Et l’inflation – à 27,3% en 2012 – a été ramenée à 8,5% en 2016.
La réforme, pas la révolution
Il est toujours éclairant de se remémorer Michel Foucault en visite en Iran à la fin de 1978, quand le chah était en mauvaise posture, et qu’il vantait la montée de la « politique spirituelle ». La politique iranienne est un théâtre d’ombres. Rien n’y est ce qu’il semble.
Des analystes occidentaux mal informés tendent à dépeindre la bataille entre Rohani et Raisi comme une sorte de référendum entre un autoritarisme autarcique « à la russe » et un libéralisme économique « à la chinoise », sans se poser la question du régime lui-même.
La réalité est bien plus complexe. En résumé, le programme des “principlists” était fondé sur « la résistance économique », l’égalitarisme nominal, des variations sur le thème « mort aux USA », une promesse de cinq millions d’emplois et un déluge d’aides sociales. Les électeurs n’y ont pas cru.
Rohani, pour sa part, promet que l’Iran bénéficiera un jour des fruits de la « mondialisation inclusive » (copyright Xi Jinping). Le développement du commerce et des investissements prend du temps, ainsi que celui d’une classe moyenne dans un contexte égalitaire. Cela implique des réformes-clés du système – dont il préfère garder les détails secrets pour le moment (« J’ai besoin de plus de 50% des voix pour procéder aux changements que j’ai à l’esprit »). Et cela implique de remettre en question certains fondamentaux du système.
Les électeurs iraniens forment une population assez sophistiquée. Les élites politiques doivent tenir leurs promesses, sinon ils sont renvoyés à l’anonymat. C’est un équilibre délicat : même une importante majorité veut des réformes sérieuses, graduelles, et elle ne veut pas de soulèvements supplémentaires. Pas après avoir enduré la Révolution islamique et les turbulences de son sillage ; l’épouvantable guerre de 8 ans Iran-Irak ; les années d’acrobaties d’Ahmadinejad; sans oublier le régime de sanctions le plus draconien de toute l’histoire de l’humanité, imposé par l’Occident.
L’équipe Rohani, et ses alliés réformistes de l’Assemblée des experts, auront dorénavant une forte influence sur la nomination du prochain Guide suprême si Khamenei, qui a 77 ans, décède au cours de ce mandat présidentiel.
Cela, en soi, signalerait un changement transcendantal. Pour le moment, la tâche consiste à remanier le système lentement mais sûrement, et de développer l’Iran en tant que plateforme-clé de la nouvelle intégration eurasienne via la Nouvelle Route de la Soie.
Pepe Escobar
Traduction entelekheia.fr