L’instrumentalisation des réfugiés : une pagaille de plus dans le grand jeu géopolitique


Par Piotr Iskenderov – Le 25 août 2015 – Source Strategic Culture

Des centaines de milliers de réfugiés et de migrants ont pris récemment le chemin de l’Europe, mais seul un observateur superficiel n’y verrait qu’un effet du hasard. En réalité, ce à quoi nous assistons est un phénomène provoqué artificiellement.

Ceux qui l’ont déclenché poursuivent deux buts. Premièrement, ils veulent utiliser le mécontentement croissant des Européens à l’égard des élites locales, pro-américaines, ainsi qu’à l’égard de la bureaucratie bruxelloise servilement dévouée à l’atlantisme et rediriger cette colère contre les nouveaux arrivants. Deuxièmement, cette vague de migration est utilisée pour faire pression sur ces élites et obtenir un moyen de contrôle supplémentaire sur elles, au cas où elles pourraient tenter de se distancier de la ligne anti-russe des États-Unis et de l’Union européenne sur des questions relatives au commerce et à l’énergie.

Après tout, les célèbres quotas de l’UE sur les réfugiés et les migrants illégaux que Bruxelles établit pour chaque pays d’accueil peuvent être manipulés en permanence (aussi longtemps qu’il y a une Union européenne, du moins) – comme peut l’être la façon dont les fonds sont attribués – ou non – pour les infrastructures d’accueil de ces migrants.

Il n’y a aucune logique financière ni aucun bon sens à trouver ici, seulement des calculs géopolitiques : ces hôtes qui ne sont pas bienvenus en Europe occidentale seront déplacés vers l’Est, vers les pays connus comme la nouvelle Europe. On peut voir un exemple révélateur dans la façon dont la question des migrants a été traitée en Autriche. Des manifestations massives ont eu lieu à Bratislava et dans d’autres capitales européennes contre l’utilisation des quotas pour résoudre le problème des migrants illégaux, et donc le gouvernement autrichien et la direction de l’UE ont répondu en acheminant le premier afflux de réfugiés en Slovaquie. Le ministre autrichien de l’Intérieur a décrit ce mouvement comme un projet pilote et a déclaré que le programme de deux ans pourrait être étendu. Cinq cents migrants actuellement hébergés dans le centre d’enregistrement de Traiskirchen doivent être transférés en Slovaquie. Le processus devrait être achevé en septembre.

La ministre autrichienne de l’Intérieur Johanna Mikl-Leitner appelle cela un petit pas et un signal de solidarité. Mais il ne faut voir aucune solidarité ici. La ministre de l’Intérieur autrichienne reconnaît qu’on n’a pas déterminé exactement qui va payer les frais de déplacement et d’hébergement des migrants. Connaissant les manières de la bureaucratie européenne et la complexité des procédures pour puiser dans les fonds de l’UE, on peut présumer que le fardeau sera imposé au gouvernement slovaque. L’Autriche, pays plus riche, pourra éviter ces dépenses, dont Bruxelles a décidé qu’elles seraient assumées par les Slovaques. Mais nous ne savons pas encore si ces derniers sont prêts à accepter ces coûts.

La Serbie offre un autre exemple. Les autorités serbes ont promis de développer un Plan opérationnel d’ici la fin août pour résoudre le problème des migrants qui affluent continuellement dans le pays, en provenance d’Afghanistan, du Pakistan, de la Syrie, de la Somalie et d’autres pays. Selon les chiffres officiels du gouvernement, près de 2 000 personnes arrivent quotidiennement en Serbie, dont la moitié demandent l’asile. Le même nombre, approximativement, tente de disparaître une fois dans le pays ou d’autres s’en vont pour rejoindre d’autres pays européens – principalement à travers la frontière serbo-hongroise. Depuis le début de l’année, quelque 80 000 personnes ont officiellement demandé l’asile en Serbie. Beaucoup y séjournent illégalement, et nombre d’entre elles s’y sont tranquillement installées sans aucune intention de partir.

Il est clair, cependant, qu’aucun des plans du gouvernement serbe ne sera utile ici. Les flots de migrants qui inondent actuellement l’Europe ont été générés par les tentatives – menées à l’instigation des États-Unis et de leurs alliés – de redessiner le vaste paysage géopolitique de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, ce qui a eu ensuite un impact direct sur les pays de l’ancienne Union soviétique.

On pourrait légitimement interroger la rationalité qui préside au déplacement de ces personnes. Et cela ne concerne pas seulement les réfugiés de Libye et de Tunisie qui ont été miraculeusement sauvés après la destruction de leurs embarcations, mais aussi ces migrants qui ont déjà réussi à obtenir un toit au cœur de l’Europe. Doivent-ils être instantanément évacués dans un pays voisin? Probablement. Après tout, les défenseurs de l’intégration européenne considèrent aussi la frontière entre la nouvelle et la vieille Europe comme une frontière entre les Européens de première et de deuxième classe. Et cela sans compter des pays comme l’Ukraine ou la Moldavie, qui vivotent tout juste grâce à leurs accords d’association avec l’UE (une sorte d’ersatz d’adhésion à l’Union européenne) –, ils sont définitivement considérés comme de troisième classe.

Encore une autre chose à propos de l’Ukraine. Le pays devra payer une facture spéciale pour le choix de l’Europe fait par le nouveau gouvernement européen. Et la Commission européenne a déjà un plan. Dimitris Avramopoulos, commissaire aux Migrations, aux Affaires intérieures et à la Citoyenneté, a dit que même l’Ukraine devra accueillir des réfugiés, et pas seulement une poignée de personnes déplacées comme le fait la petite Slovaquie. En fait, le nombre de réfugiés envoyés en Ukraine sera proportionnel à sa taille géographique. «Notre centre d’analyse a calculé que l’Ukraine est capable d’accepter 100 000 migrants, ou même plus, puisqu’elle est un grand pays et qu’elle possède des terres fertiles où des Africains peuvent non seulement créer leurs propres infrastructures, mais qu’ils peuvent aussi cultiver et devenir auto-suffisants. En plus, cela peut être un grand stimulant pour le développement de l’économie ukrainienne parce que la plupart des migrants sont extrêmement travailleurs», a annoncé le commissaire.

Ici, nous pouvons voir le système de contrôle externe en action. Le président Poutine a déclaré récemment que c’était «humiliant pour le peuple ukrainien». C’est un grand jeu dans lequel d’énormes masses de réfugiés jouent seulement le rôle de pions.

Traduit par Diane, relu par jj pour le Saker francophone

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