L’éviction du gouvernement populiste-nationaliste en Pologne aura des conséquences


Par M.K. Bhadrakumar – Le 18 octobre 2023 – Source Indian Punchline

Il ne fait aucun doute que le vote surprenant de dimanche en Pologne sera l’élection la plus importante de l’année en Europe. Il change la donne pour la démocratie polonaise et constitue un point de basculement géopolitique pour l’Union européenne, la guerre en Ukraine et la Russie.

L’éviction du PiS, le parti au pouvoir, après huit ans de mandat signifie la fin de l’adhésion de la Pologne au conservatisme social et catholique, au nationalisme qui vire au chauvinisme et au clientélisme d’État. L’angoisse suscitée par la perception d’une menace existentielle pour le tissu démocratique polonais de l’après-guerre froide se dissipe.

La Pologne peut sembler, à certains égards, similaire à l’Inde et à la Turquie, où, là aussi, la politique est bruyante et s’impose assez facilement, mais perd de son attrait si les gens se sentent incités à faire des choix sérieux et rationnels. Mais la Pologne se distingue par le fait que, bien que dirigée par des populistes de la droite politique à des niveaux de décibels élevés, elle est loin d’être une autocratie. Certes, le PiS a utilisé les médias et les caisses de l’État pour influencer les électeurs et a exploité les avantages habituels du pouvoir en place, mais la démocratie a tout de même fonctionné.

La hausse de l’inflation, le ralentissement de la croissance et les scandales de corruption – ainsi que le contrecoup d’une étrange décision du gouvernement d’imposer des restrictions draconiennes à l’avortement qui a aliéné les électeurs jeunes et féminins – ont constitué un mélange combustible qui a joué en défaveur du PiS. L’alliance des trois partis d’opposition a rassemblé 54 % des voix (contre 35 % pour le PiS).

L’élément décisif a sans doute été le retour de l’homme politique talentueux à la tête de l’alliance de l’opposition, Donald Tusk, un ancien premier ministre qui s’est retiré de la politique active pour occuper un poste de premier plan à Bruxelles, au sein de l’Union européenne, en 2015, en tant que président du Conseil européen, et qui est revenu à Varsovie pour reprendre son rôle de leader – un bon communicateur qui communique avec ses électeurs et qui sait comment naviguer dans les médias de la politique moderne.

Les huit années turbulentes de Jaroslaw Kaczynski au pouvoir ont été marquées par d’importants changements dans l’État de droit, la liberté des médias, les politiques d’immigration et les droits des personnes LGBTQ+. Les partis d’opposition ont juré d’annuler ces réformes, qu’ils considèrent comme une menace pour la démocratie.

Toutefois, ce n’est pas seulement en Pologne que l’impact du changement de gouvernement se fera sentir. Ce changement a des conséquences importantes pour l’Europe dans son ensemble. Tout d’abord, la rhétorique anti-européenne en provenance de Varsovie va cesser, de même que la tirade ininterrompue contre l’Allemagne, ce qui, en soi, modifiera la dynamique du processus décisionnel de l’UE au sens large, en renforçant le poids du bloc le plus libéral au sein de l’UE.

Cela se traduira par une volonté d’avoir des discussions sérieuses sur une politique européenne en matière d’immigration et une approche plus humaine, sans diabolisation des migrants. Là encore, la Pologne restera un soutien fort et constant de l’Ukraine.

Ensuite, il y aura un effet de ricochet sur d’autres pays européens à mesure que la Pologne s’éloignera du populisme de droite et de la remise en cause des institutions démocratiques et de l’État de droit. Le retour de la Pologne aux valeurs de l’UE sous un gouvernement Tusk pourrait avoir un effet d’entraînement positif sur les pays d’Europe de l’Est, car la Pologne est une source d’inspiration pour de nombreux pays de la région.

Il est clair que la Hongrie et le Royaume-Uni perdront un ami. Le Royaume-Uni a cherché à utiliser la Pologne comme contrepoids aux institutions européennes lorsqu’elle était encore membre de l’UE, mais d’un autre côté, un prochain gouvernement travailliste, s’il cherche à reconstruire une relation plus étroite avec l’UE, aurait un ami en la personne de M. Tusk.

Il est fort possible qu’en matière de sécurité européenne, l’axe brisé Paris-Berlin-Varsovie soit réparé avec l’accession de Tusk au poste de premier ministre, car il est certain de reconstruire les liens avec l’Allemagne. Le président français Emmanuel Macron et Tusk entretiennent également une relation décente. Ainsi, la troïka qui représente le meilleur espoir pour l’Europe de prendre au sérieux la question de la sécurité sera sur pied. Cela sera important si le soutien américain à l’OTAN et à l’Ukraine s’affaiblit et que l’Europe est appelée à prendre le relais.

Il est évident que la tournure que prend la politique polonaise pourrait contribuer à isoler la sécurité européenne et l’OTAN des deux courants tumultueux qui soufflent actuellement – les vents changeants de la politique américaine et un conflit majeur qui se prépare au Proche-Orient. Il est certain que la Russie ne peut s’en réjouir, surtout si Tusk trouve un langage commun avec l’Allemand Olaf Scholz.

Tusk était connu comme un “faucon russe” pendant ses années à Bruxelles, qui a essayé de convaincre son amie à Berlin, la chancelière de l’époque Angela Merkel, de durcir le ton vis-à-vis de Moscou après l’annexion de la Crimée en 2014. En d’autres termes, Kiev n’a pas eu d’allié plus proche dans le monde que Varsovie, où les Polonais voient le conflit avec la Russie en termes existentiels presque aussi crûment que les Ukrainiens.

Toutefois, l’essentiel demeure : il convient d’ajouter une réserve, à savoir qu’un transfert ordonné du pouvoir puisse avoir lieu à Varsovie. Cela n’est pas acquis, car le PiS a déjà violé à plusieurs reprises la constitution polonaise par le passé. Le tribalisme politique est naturel pour le PiS, et il y aura forcément de l’amertume à l’idée qu’il a remporté le plus grand nombre de sièges, mais qu’il risque de perdre le pouvoir, uniquement parce qu’il n’a pas réussi à mettre sur pied un gouvernement majoritaire.

D’ailleurs, le président du pays est également un candidat du PiS. La société polonaise est aujourd’hui profondément divisée et la polarisation a atteint un point tel que les deux camps politiques sont retranchés et qu’aucun dialogue n’est possible. En fait, un haut conseiller du président sortant Andrzej Duda a laissé entendre que, par tradition, le PiS se verrait offrir la première opportunité de former un nouveau gouvernement, étant donné qu’il est le parti qui a obtenu la plus grande part des voix.

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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