Par Vladimir Odintsov – Le 9 septembre 2021 – Source New Eastern Outlook
Ces derniers temps, on entend de plus en plus souvent dans l’Union européenne le fait que les Européens ont besoin d’une force armée commune. Le nombre de ces déclarations a sensiblement augmenté, surtout dans le contexte de l’échec des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan.
« L’Amérique quitte l’Afghanistan non seulement vaincue mais humiliée », écrit le quotidien français Le Figaro. La chute de Kaboul a ébranlé le monde qui s’était rassemblé autour de l’Amérique. Le retrait américain d’Afghanistan, et la manière dont il s’est produit, prive les États-Unis de leur capital confiance et enterre l’idée de garanties de sécurité de leur part, souligne le journal. Dans le même temps, les États-Unis sont aujourd’hui en position de faiblesse, sans unité au sein du pays. Le Figaro suggère donc à l’Europe de créer une nouvelle alliance qui contribuerait à défendre la sécurité et les frontières du continent, sans reposer sur les épaules des États-Unis.
Malgré toutes les déclarations du président américain Joe Biden, l’OTAN reste pour l’instant une alliance divisée, selon le Wall Street Journal. En effet, les membres du bloc ne parviennent toujours pas à s’entendre sur des questions telles que les menaces communes et le réarmement de l’Europe. Et comme l’alliance ne parvient jamais à s’entendre sur des objectifs géostratégiques communs, elle reste une coquille vide. Alors que Washington considère la Chine comme un problème militaire et économique personnel, injectant de la sinophobie dans la politique de l’OTAN, l’Europe la considère comme une opportunité économique, percevant au plus l’Empire céleste comme un défi stratégique. Le marché asiatique est considéré comme trop important pour la prospérité de l’Europe, elle ne veut donc pas provoquer le mécontentement de Pékin.
Tandis que la Pologne, la Roumanie et les États baltes considèrent la Russie comme une menace et cherchent délibérément à créer la tension, L’Europe occidentale, très prudente, craint ouvertement de risquer sa croissance économique, la faisant passer avant le bien-être de ses voisins, sur lesquels l’URSS dominait autrefois. Quant à Berlin, elle entend travailler avec la Russie et non s’y opposer avec une approche intégrée de mesures politiques et économiques, souligne le journal. Quant à la France, ses priorités sécuritaires se concentrent sur le sud, vers la Méditerranée et l’Afrique, plutôt que vers l’est. Ces intérêts européens disparates empêchent un consensus à l’échelle de l’OTAN sur les menaces effectives.
Il n’est donc pas surprenant qu’après le retrait d’Afghanistan, les ministres des affaires étrangères et de la défense de l’UE aient commencé à discuter à Brdo, en Slovénie, le 2 septembre, de la meilleure façon d’assurer la sécurité européenne à l’avenir, sans continuer à dépendre des États-Unis. L’Afghanistan a montré que l’Europe était trop dépendante des États-Unis, a noté la chaîne de télévision allemande Das Erste, de sorte que des propositions d’unités européennes communes de réaction rapide placées sous un commandement conjoint sont maintenant examinées. Et pour que l’Europe devienne plus indépendante des États-Unis, Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, exige la création de troupes similaires. Mais aucune date n’a encore été fixée. Nous parlons d’un nombre de militaires allant de 5 000 à 50 000, mais dans tous les cas, il s’agit d’un commandement global. Dans le même temps, il convient de rappeler que l’UE dispose déjà de ce que l’on appelle des « groupes de combat » qui ont été formés à cette fin. Ils sont en état d’alerte depuis 2007. Cependant, ils n’ont jamais été utilisés jusqu’à présent. En partie parce qu’une telle décision ne peut être prise qu’à l’unanimité, et bien sûr, parce qu’ils n’ont pas les mêmes capacités que, par exemple, l’armée américaine.
Il convient également de noter que l’idée de forces armées européennes communes est apparue dans le Vieux Continent il y a plus de 70 ans – depuis la création de l’Union de l’Europe occidentale en 1948, une union qui s’occupait de l’organisation de la défense collective européenne. Cependant, cette idée n’a pas été reconnue car les États-Unis, qui n’ont jamais voulu une Europe trop unie, encore moins militairement, ont imposé une alliance nord-atlantique qui leur a permis de dominer le continent. Et la Grande-Bretagne a toujours été opposée à l’émergence d’une armée européenne qui, selon Londres, aurait un impact négatif sur le rôle des États-Unis dans les affaires européennes.
Les discussions sur une politique européenne commune de sécurité et de défense ont repris après l’effondrement de l’Union soviétique, les capitales européennes estimant qu’avec la disparition de l’Union soviétique, le danger d’une confrontation militaire sur le continent avait disparu. De plus, l’Union européenne s’était déjà renforcée politiquement et économiquement. Par conséquent, sa propre force militaire pouvait assumer la responsabilité de l’état des affaires dans le monde avec l’Amérique. Le Brexit a ramené les politiciens européens à réfléchir sur cette idée, puisque l’Angleterre n’était plus un obstacle sur le chemin pour étendre et approfondir la coopération dans la sphère militaire.
Si nous parlons d’aujourd’hui, il est impossible de ne pas mentionner que l’Allemagne a initié l’actualisation de ce processus, ayant fait l’expérience de la pression américaine en premier. Il n’est donc pas surprenant qu’au forum de Davos, Angela Merkel ait sévèrement critiqué les actions américaines contre l’Europe et appelé l’Union européenne à prendre son destin en main. Dans le même temps, elle a souligné l’importance de la création d’un fonds de défense européen, l’Europe ayant pris la mauvaise habitude de « s’en remettre aux États-Unis ».
Le vieux projet de Bruxelles de créer une armée européenne a pris forme en 2017. En décembre 2017, les dirigeants européens ont officiellement lancé le programme de coopération structurée permanente (PESCO) pour la sécurité et la défense. De nombreux experts ne doutent pas qu’Angela Merkel et Jean-Claude Juncker soient les véritables auteurs du projet d’armée européenne et du pacte de défense européen. Il convient également de rappeler à cet égard que Juncker est un ancien partisan de l’idée des « États-Unis d’Europe ». Et une telle structure devrait, bien entendu, être en mesure d’assurer sa propre sécurité en toute indépendance. Avec l’avènement de la PESCO, une image complètement différente est apparue. Selon les experts occidentaux : L’UE, en dépensant de l’argent dans le domaine militaire, peut développer ses propres forces armées et produire ses propres armes.
Quant à l’idée de créer un corps de réaction rapide paneuropéen, ce n’est pas nouveau non plus. Au printemps dernier, 14 nations, dont l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne, ont proposé, sur la base d’un rapport de menace classifié, de créer une unité militaire commune qui serait utilisée dans des « scénarios nécessitant une intervention immédiate ». Selon les plans alors annoncés par les politiciens, à l’avenir, en plus de la force de réaction rapide, une division de l’armée de l’air et un groupe de troupes de soutien au combat devaient faire partie de l’armée paneuropéenne. Toutefois, en raison des désaccords existants au sein de l’UE, la mise en œuvre de cette stratégie a été suspendue au stade des discussions.
De manière générale, la volonté de l’Europe de se protéger sans les États-Unis se heurte depuis longtemps à l’opposition active de Washington. Par exemple, en 2009-2010, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas ont tenté de faire retirer les armes nucléaires américaines de leurs territoires. Mais Washington, avec l’aide de la Pologne et des États baltes, a réussi à faire adopter un nouveau concept stratégique de l’alliance, lors du sommet de l’OTAN à Lisbonne, qui met l’accent sur la nécessité de localiser les armes nucléaires américaines sur le continent européen.
C’est pourquoi on peut être sûr que dès que les États-Unis sentiront, ne serait-ce qu’un instant, que l’unification militaire de l’Europe menace leurs positions dans l’Ancien Monde, ils feront tout pour l’empêcher. L’idée de certains pays européens de ne plus dépendre des États-Unis en créant leur propre armée semble donc encore difficile à mettre en œuvre.
Vladimir Odintsov
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone