Par Moon of Alabama – Le 6 juillet 2019
Boeing espère que le 737 MAX sera de retour dans les airs d’ici décembre. Mais une liste de cinq exigences majeures publiée par l’AESA, l’autorité européenne de régulation de l’aviation, laisse planer le doute quant à la possibilité de respecter ce délai.
La liste de contrôle de l'AESA comprend un certain nombre de problèmes qui ont été révélés : la difficulté potentielle des pilotes à tourner le volant de compensation manuelle de l’avion, le manque de fiabilité des capteurs d'angle de vol du Max, les procédures de formation inadéquates et un problème logiciel signalé la semaine dernière par la FAA concernant un microprocesseur trop lent. Mais l'agence a également fait part d'un problème qui n'avait pas été signalé auparavant : le pilote automatique qui ne se désactive pas dans certaines situations d'urgence.
Nous discuterons de ces cinq points ci-dessous.
On ne sait pas encore si l’AESA insistera pour que tous ces problèmes soient réglés :
"L'un ou l'autre de ces éléments pourrait avoir une incidence importante sur la remise en service, mais nous ne savons pas s'ils vont réellement exiger de régler ces problèmes ou s'il s'agit simplement d’en discuter", a déclaré John Cox, un ancien pilote du 737 qui est président de la société de conseil en aéronautique Safety Operating Systems.
Comme d’habitude, les régulateurs ne diront pas à Boeing comment résoudre ces problèmes. Quelle que soit la solution proposée par Boeing, le résultat doit simplement être conforme aux exigences générales de la réglementation.
Certains des éléments listés semblent nécessiter des modifications matérielles qui devront être appliquées à l’ensemble des 737 MAX en service et peut-être même aux anciens 737 NG.
La compensation manuelle
Nous avons déjà discuté du sujet des volants de compensation en mai dernier :
L'incident du 737 MAX a également révélé un problème avec les anciennes générations d'avions de type 737, problème qui ne fait que commencer à apparaître. Des expériences en simulateur (vidéo) ont montré que la procédure de rétablissement prévue par Boeing en cas d'anomalie grave du comportement de l'avion n'est pas suffisante pour ramener l'avion sous contrôle. Ce n'est pas le 737 MAX, mais son prédécesseur, le Boeing 737 Next Generation ou NG, qui est à l'origine de cet inconvénient. ... Les volants de compensation manuelle du 737 NG étant plus petits, cela rend plus difficile de manœuvrer le stabilisateur pour le remettre en une position régulière. La surface agrandie du stabilisateur rend plus difficile de le manœuvrer en utilisant la gouverne de profondeur car celle-ci a gardé la même taille. Les pilotes de 737 NG n'apprennent plus la manœuvre dite des montagnes russes qui est pourtant la seule façon de se remettre d'un grave défaut de vol.
Le fait que l’AESA ait parlé du problème des volants de compensation est la première reconnaissance officielle de ce problème.
L’équilibrage manuel par l’intermédiaire des volants de compensation est une sauvegarde nécessaire pour le système d’équilibrage électrique qui ne repose que sur un seul moteur. Si l’assiette manuelle ne peut pas être utilisée pour certains angles de vol autorisés, Boeing a un grave problème à résoudre.
Une analyse de sécurité faite par l’AESA en 2015, dont il a déjà été question ici, n’a validé le 737 MAX que parce que Boeing a déclaré que le volant de compensation manuelle était opérationnel même à des vitesses élevées, lorsque le compensateur électrique s’arrêtait. Il avait également promis que son matériel de formation couvrirait ce sujet.
On sait maintenant que le compensateur manuel, surtout à des vitesses élevées, peut exiger plus de force qu’un pilote moyen ne peut en appliquer. Ce problème n’est toujours pas mentionné dans le matériel de formation actuel de Boeing.
Le problème du volant de compensation semble être un point sur lequel la FAA et l’EASA ne sont pas d’accord :
La FAA a également nié précédemment que le volant de compensation, qui sert à relever ou à abaisser le nez d'un avion en cas d'urgence, puisse causer des problèmes.
Il est difficile de voir comment un système de compensation manuel qui, comme Boeing l’a dit à l’AESA, devrait être utilisé quand le système électrique atteint ses limites, peut être acceptable sans changement, alors qu’il doit être utilisé surtout dans les cas à problème.
Les capteurs d’angle de vol
Le deuxième point de la liste de l’AESA est, comme le décrit Bloomberg, « le manque de fiabilité des capteurs d’angle de vol du Max ».
Les deux capteurs d’angle de vol des MAX ne manquent pas de fiabilité en eux-mêmes. Mais ce sont des capteurs externes qui sont susceptibles d’être endommagés. Le système original d’Augmentation des Caractéristiques de Manœuvre (MCAS) qui a mené à l’écrasement de deux avions ne reposait que sur l’un des deux capteurs. Lorsque ce capteur a été endommagé, probablement par un impact d’oiseau, le MCAS a orienté le nez de l’avion vers le sol. Boeing va maintenant utiliser les deux capteurs pour contrôler le système MCAS. Cela peut toutefois ne pas suffire.
Pendant le décollage et l’atterrissage, les avions peuvent entrer en collision avec une envolée d’oiseaux. Dans ce cas, les deux capteurs peuvent facilement être endommagés. Beaucoup se souviendront que le vol 1549 d’US Airways a atterri dans la rivière Hudson parce que des oiseaux avaient endommagé ses deux moteurs en même temps.
Les avions plus modernes que le Boeing 737 ont 3 ou 4 capteurs d’angle d’attaque. Certains autres types d’avions de Boeing ont des systèmes similaires à ceux du MCAS. En plus des capteurs d’angle de vol, ils utilisent un système inertiel, un capteur d’accélération et un capteur de position absolue pour déterminer si leur système de type MCAS doit réagir.
Il est fort possible que les régulateurs exigent maintenant qu’un troisième capteur soit utilisé pour contrôler le MCAS du 737 MAX. Si tel est le cas, Boeing préférera probablement ajouter un boîtier de capteur interne supplémentaire à l’avion plutôt qu’un troisième capteur externe.
La formation
Boeing n’a fourni que quelques pages pour le matériel de formation des pilotes passant de l’ancien 737 NG au 737 MAX. Il a omis de mentionner le MCAS. Le syndicat des pilotes d’American Airlines s’est dit préoccupé par le nouveau matériel de formation et les conseils que Boeing prévoit de fournir :
"Cependant, à l'APA, nous nous demandons toujours si le nouveau protocole de formation, le nouveau matériel et la nouvelle méthode d'instruction suggérés par Boeing sont adéquats pour s'assurer que les pilotes du monde entier qui pilotent la flotte MAX puissent le faire en toute sécurité ", a déclaré [le président de l'Allied Pilots Association] dans son communiqué.
Lors d’une audition au Congrès, le capitaine Sully Sullenberger, qui a sauvé le vol 1549, a demandé une formation supplémentaire sur simulateur pour les nouveaux pilotes de 737 MAX :
«Ils doivent développer une "mémoire corporelle" de leurs expériences afin qu'elle leur soit immédiatement disponible à l'avenir lorsqu'ils seront confrontés à une telle crise," a déclaré M. Sullenberger.
La British Civil Aviation Authority a également demandé plus de formation. Elle a publié une notice de sécurité (pdf) sur la formation des équipages de vol qui porte sur les incidents de MCAS qui ont provoqué le crash des deux avions 737 MAX :
Au cours des cinq dernières années, il y a eu un certain nombre d'accidents et d'incidents mettant en cause de gros avions de transport aérien commercial qui ont été attribués à un manque de conscience de l’angle de vol de l'avion. Les facteurs qui ont contribué à la perte de maîtrise en vol étaient des sollicitations inappropriées du compensateur ou des mauvais fonctionnements automatiques du compensateur, surtout à haute vitesse ou à basse altitude, ce qui a entraîné des poussées excessives sur la gouverne de profondeur ou les stabilisateurs.
On y énumère un certain nombre de situations pour lesquelles les pilotes devraient recevoir une formation supplémentaire :
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Les défaillances du compensateur automatique, les mesures devant en conséquence être prises par l'équipage, les conséquences d'une intervention manuelle et la méconnaissance de l’angle de vol de l'avion. Cela devrait comprendre des stratégies de sortie de décrochage après une panne de l'automatisme et diverses situations à différentes altitudes.
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La difficulté d'une compensation manuelle à des charges aérodynamiques élevées avec les aéronefs de transport aérien commercial applicables, en particulier à basse altitude et en tenant compte des difficultés/techniques de coordination de l'équipage.
L’avis de la Sécurité Britannique est une indication indirecte mais forte lancée à la FAA pour qu’elle exige une formation supplémentaire en simulateur avant de piloter un 737 MAX.
Boeing a toutefois signé unes promesse de vente de 737 MAX avec Southwest Airlines — et peut-être aussi avec d’autres clients — qui exige que la société rembourse 1 000 000 $ par avion si les nouveaux pilotes des 737 MAX ont besoin de formation supplémentaire en simulateur. Southwest a commandé un total de 292 exemplaires du 737 MAX. 31 ont été livrés à ce jour.
L’ordinateur de vol
Nous avons discuté en détail du problème du « microprocesseur trop lent » il y a une dizaine de jours.
Chacun des deux ordinateurs de commandes de vol (FCC) possède deux microprocesseurs. Si un processeur tombe en panne, l’autre est censé prendre le relais. Mais les deux processeurs partagent déjà une partie du travail. Lorsque les pilotes d’essai de la FAA ont désactivé l’un d’entre eux, l’autre avait trop à faire et a réagi trop lentement aux commandes du pilote. Le vol d’essai en simulateur s’est terminé de façon « catastrophique ». Boeing a dit qu’il pouvait faire des changements de logiciel pour éviter la surcharge des processeurs. Je doute qu’un correctif logiciel soit une solution solide sans effets secondaires supplémentaires.
Le débrayage du pilote automatique
Le dernier point sur la liste de l’AESA est « le pilote automatique qui ne se désactive pas dans certaines situations d’urgence ». Ce problème n’était pas complètement inconnu. Il est probablement lié au microprocesseur trop lent.
En général, le pilote automatique, qui se compose d’un certain nombre de programmes fonctionnant sur le calculateur de commandes de vol, doit se désactiver immédiatement lorsque le pilote tente de prendre le contrôle de l’avion. Lorsque le pilote utilise les commutateurs de compensation électriques de sa colonne de direction, à cause d’un « stabilisateur emballé » ou d’une autre condition de compensation non désirée, le signal du pilote doit avoir priorité sur tous les autres processus. Mais cela ne fonctionne pas lorsque l’ordinateur de vol est trop occupé.
Un diagramme du fonctionnement du système de compensation électrique montre que le dispositif de verrouillage du compensateur principal, qui est un autre programme fonctionnant sur l’ordinateur de vol, doit fermer le relais du compensateur principal pour permettre le passage de l’électricité du commutateur du manche du pilote au moteur du stabilisateur. L’ordinateur peut effectivement bloquer la prise en main du pilote, même en cas d’urgence
Le système de compensation d’un stabilisateur horizontal
Lorsque l’ordinateur de vol est surchargé, il n’arrête pas immédiatement le programme du pilote automatique et ne déclenche pas le processus de verrouillage du compensateur principal. Le relais du compensateur principal reste ouvert et le circuit électrique entre le commutateur de la colonne de pilotage et le moteur du stabilisateur ne se ferme jamais.
Cela fonctionne, comme pour le MCAS, « tel que conçu » mais c’est loin d’être une solution optimale. Il est essentiel que l’ordinateur soit pleinement fonctionnel, sans aucun retard. Dans un avion aussi ancien que le 737, qui n’est pas construit de A à Z pour les commandes de vol électriques, l’entrée du pilote doit avoir la priorité absolue sur tout automatisme. Le circuit électrique du système de compensation du stabilisateur doit être conçu de manière à donner la priorité absolue à l’entrée du pilote.
Le crash des deux avions 737 MAX a révélé plusieurs problèmes, essentiellement causés par la cupidité, tant avec l’avion qu’avec Boeing. La société n’a pas voulu construire un nouvel avion pour contrer l’Airbus 320 NEO annoncé. Elle a simplement remodelé le 737 NG et a utilisé son ancienne certification pour éviter des coûts plus élevés. Le MCAS n’était qu’un pansement pour un problème qui exigeait une solution aérodynamique solide. Les ingénieurs et les pilotes d’essai ont été poussés à approuver des décisions de gestion bâclées. La FAA n’en a pas été informée ou elle dormait au volant. Le développement et le lancement du MAX n’ont coûté à Boeing qu’environ 2 milliards de dollars. La construction d’un nouvel avion de la classe 737 aurait probablement coûté quelque 10 milliards de dollars. Le temps supplémentaire nécessaire aurait probablement coûté à Boeing une part de marché mais, avec un avion moderne, elle aurait eu de bonnes chances de rattraper ce retard.
Je doute que toutes ces questions puissent être résolues d’ici la fin de l’année. Quelque 340 avions 737 MAX ont été cloués au sol en mars. Depuis, Boeing en construit 42 de plus chaque mois. La société devra probablement réduire à nouveau le taux de construction par manque de capacité de stockage. Cela nuira non seulement à Boeing, mais aussi à tous ses fournisseurs. Ces centaines d’avions au sol coûtent très cher. Le coût de location moyen d’un tel avion peut atteindre 10 000 $ par jour.
Le coût total pour Boeing des accidents du 737 MAX et de l’immobilisation au sol due au pansement qu’est le MCAS est maintenant estimé à plus de 10 milliards de dollars. La valeur des actions en circulation de Boeing a chuté, passant de 242 à 200 milliards de dollars. Beaucoup de mauvaise presse est encore à venir à cause des nombreuses poursuites judiciaires et enquêtes légales. La part de marché de Boeing sur le segment 737/320 va probablement diminuer, car certains passagers éviteront maintenant cet avion.
La transformation du 737 NG en 737 MAX ne fut pas une bonne décision. Il aurait été moins coûteux de développer un nouvel avion.
Comme l’a dit le capitaine Sullenburger dans une récente interview : « Rien ne coûte aussi cher qu’un accident. »
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone
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