Pepe Escobar – Le 22 septembre 2016 – Source Strategic Culture
Le sommet des pays non alignés (PNA) s’est réuni à Isla Margarita, au Venezuela, sans la moindre référence dans les médias grand public occidentaux.
De nos jours, les PNA regroupent tous les pays africains sauf le Sud-Soudan, la majorité de l’Amérique latine sauf le Brésil, l’Argentine et le Mexique (qui y sont membres observateurs) et la plupart de l’Asie et du Moyen-Orient (la Chine est un observateur).
Qu’est il sorti de ce formidable rassemblement de nations globalement représentatives ? Apparemment pas grand-chose, sauf un long document que peu de gens liront, rappelant les thèmes habituels de non-ingérence et plaidant pour une paix et une coopération mondiale.
Après que l’Iran a passé le témoin au Venezuela qui dirige les PNA pour les trois prochaines années – années qui seront secouées par des turbulences socio-économico-politiques (voici un bon résumé de là où nous en sommes) – le président Maduro n’a pas hésité à dénoncer l’offensive de Washington contre l’Amérique latine et son administration en particulier, offensive centrée sur des changements de régime par le biais d’une guerre économique. Son diagnostic est globalement exact.
Et cela amplifie les problèmes si vous êtes un non-aligné dans une époque de modernité liquide, digitale. Géopolitiquement et géo-économiquement, vous êtes alors une proie facile pour toutes sortes de manipulations algorithmiques.
La guerre du pétrole, conduite surtout par l’Arabie saoudite et qui repose sur la spéculation électronique, a dévasté l’économie vénézuélienne dont le budget dépend à 96% du pétrole. Le manque de nourriture et de médicaments atteint des niveaux alarmants, tout comme le taux d’inflation, un des plus fort au monde actuellement.
Au cours de réunions parallèles, Caracas a désespérément cherché un consensus pour geler la production de pétrole avant la prochaine réunion cruciale de l’OPEC d’Alger, à la fin du mois. Le gouvernement vénézuélien a correctement analysé que l’OPEC a été politisée pour faire chuter le prix du pétrole pour cette guerre économique saoudienne, dans le but de frapper l’Iran, la Russie et le Venezuela. Maduro demande maintenant que l’OPEC arrête d’opérer sur le marché libre, à cause de cette surproduction.
Mais c’est la manipulation électronique qui décide. Même si la politique, bien sûr, joue encore un rôle : dans les discussions sur le prix du pétrole, mais aussi dans la récente décision du Mercosur d’empêcher le Venezuela d’exercer la présidence temporaire du bloc commercial sud-américain.
Alors, Maduro a, durant ce sommet des PNA, cherché un soutien auprès de ses quelques alliés restants, comme Rafael Correa d’Équateur, Evo Morales de Bolivie et Hassan Rouhani d’Iran. Pourtant, aucun d’eux n’a la possibilité d’influencer le jeu de l’Arabie saoudite et de son maître.
Mais il n’y a pas eu que le Venezuela. D’autres nations ont, pendant ce sommet, accusé les exceptionnalistes d’interférence. C’est la Corée du Nord qui a chopé le pompon, en menaçant de tout faire péter sans prévenir.
Où est le nouveau Sukarno ?
Le début des années 1960 fut l’époque des Nehru, Sukarno, Nasser et Tito. Sans oublier l’événement fondateur du mouvement des PNA, la conférence de Bandung de 1955, hébergée par l’Indonésie de Sukarno. Ce fut là que le gratin de l’ancien Tiers Monde, devenu maintenant le Sud global, Sukarno, Nasser, Nehru, Tito, Ho Chi Minh, Zhou Enlai, Sihanouk, U Thant et Indira Gandhi, adoptèrent une «déclaration pour la promotion de la paix et coopération mondiale» en demandant collectivement de pouvoir rester neutres dans la Guerre froide de l’époque.
L’esprit de Bandung est encore vivant, car les PNA restent engagés contre l’impérialisme, le colonialisme, le néocolonialisme, le racisme, l’interférence et l’agression étrangère, l’occupation et l’hégémonie. On pourrait appeler cela les PNA contre l’Empire. Pourtant, l’empire postmoderne est beaucoup plus subtil dans ses mécanismes d’interférence, utilisant les myriades de déclinaisons de la guerre hybride, des révolutions de couleur aux guerres économique, jusqu’à la dernière farce institutionnelle/parlementaire/judiciaire/médiatique/changement de régime brésilienne.
La Guerre froide continue, ré-étiquetée Guerre Froide 2.0, mettant surtout l’OTAN face à la Russie, en parallèle à l’endiguement de la Chine grâce au Pivot vers l’Asie. La Russie et la Chine sont les deux menaces annoncées ouvertement par le Pentagone, ces deux pays devraient donc, dans un but pragmatique, aligner leur propre partenariat stratégique avec celui des PNA.
L’esprit des PNA les empêche de s’aligner avec une structure géopolitique militaire ; alors que le projet chinois Une Ceinture, une Route (OBOR) progresse, les nouvelles Routes de la soie vont finalement se joindre à l’Union économique eurasienne (UEE) conduite par la Russie ; tout cela est un progrès conforme aux intérêts des PNA.
Ces projets sont les seuls projets d’intégration mondiale dans un futur prévisible, centrés bien sûr sur l’Eurasie, mais avec de multiples ramifications à travers l’Asie, l’Afrique et même l’Amérique latine. Le projet chinois de ligne de chemin de fer reliant le Pérou sur la côte Pacifique, au Brésil sur la côte Atlantique, par exemple, peut être perçu comme une ramification sud-américaine des Routes de la soie.
La sainte trinité des PNA, le multilatéralisme, l’égalité et la non-agression est aussi reprise par les BRICS, dont le sommet du mois prochain à Goa devrait faire avancer le développement pratique de mécanismes tels que la Nouvelle banque de développement (NBD) qui, pour des raisons bien pratiques, devrait aussi progresser dans l’intérêt du Sud global.
L’un des chemins de sortie pour le Venezuela est de renforcer ses alliances avec les groupes d’intégration latino-américains, côte à côte avec les PNA et en connexion avec les BRICS et le G20, tous recherchant un monde multipolaire, loin du pathétique genre de punition médiévale incarnée par les sanctions du Pays exceptionnel.
Un sujet non ordinaire fut discuté pendant ce sommet. Un processus de réorganisation, comme l’a nommé Maduro, du système des Nations unies, en particulier le Conseil de sécurité. En realpolitik, cela n’arrivera pas, car la Russie est actuellement le seul membre ouvert à ce genre de discussion.
La realpolitik va aussi faire que les nations des PNA continueront à être marginalisées, et rudement exploitées, par des mécanismes néocoloniaux sophistiqués, engrainés dans la logique unipolaire. C’est donc les PNA contre le Pays exceptionnel. Les PNA contre la globalisation néolibérale et ses torrents d’inégalités. Les PNA contre l’économie casino.
La route sera longue et sinueuse. Les PNA n’ont pas grand-chose, à part un Centre pour la coopération Sud-Sud basé à Jakarta et un certain nombre de comités conjoints entre ce groupe de 77 nations en développement. Mais le moral reste bon dans ce combat pour un monde plus égalitaire, équilibré et décent.
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.
Article original publié dans Strategic Culture.
Traduit par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone.