Les universitaires à Beijing prévoient le découplage du commerce avec les États-Unis et de travailler étroitement avec l’UE et l’ASEAN.
Par Pepe Escobar − Le 17 juillet 2019 − Source Asia Times
Les économistes et les intellectuels occidentaux, obsédés par leur mission de diabolisation de la Chine, ne sont pas avares de simplifications qui révèlent au grand jour leur ignorance. Leur dernière crise délirante en date postule que « nous », à savoir les intellectuels occidentaux, sommes la version moderne du Frankenstein de Mary Shelley, car nous avons donné un électrochoc à un cadavre, la Chine, pour en faire naître un monstre sanguinaire.
Bienvenue à l’école franken-chinoise des relations internationales. Que nous prépare-t-elle de nouveau ? Un remake en noir et blanc avec Xi Jinping dans le rôle du monstre ? Quoi qu’il en soit, « nous », les sauveurs du monde, devrions « éviter d’énerver Frankenstein ».
L’auteur, un professeur émérite en économie de l’université d’Harvard, ne parvient même pas à identifier qui porte la responsabilité de la création de Frankenstein, l’Occident ou la Chine. Cela en dit long sur les critères d’excellence de l’université de Harvard aujourd’hui.
Comparons cela avec les échanges intellectuels qui ont eu lieu samedi dernier à l’Université du Peuple à Pékin, lors d’un symposium sur le thème de la guerre commerciale.
Les intellectuels chinois ont tenté d’y définir le cadre de la dislocation géopolitique actuelle provoquée par l’administration Trump, sans la nommer pour ce qu’elle est réellement : une manœuvre digne de Frankenstein.
Li Xingyang, le directeur de l’Institut national de stratégie internationale, un think-tank affilié à l’Académie chinoise des sciences sociales, a insisté sur le fait qu’un « découplage économique » des États-Unis de la Chine est « tout à fait envisageable », étant donné que « l’objectif final des États-Unis est de contenir la croissance de la Chine »… « C’est une question de vie ou de mort » pour les États-Unis.
Découplage
Si le découplage devenait une réalité, cela pourrait être aisément considéré comme une tentative de « chantage stratégique » de la part de l’administration Trump. Cela dit, ce que l’administration Trump veut n’est pas exactement ce que l’establishment américain souhaite, comme en témoigne une lettre ouverte adressée à Trump par un certain nombre d’universitaires, experts en politique étrangère et hommes d’affaires inquiets que l’action de découpler la Chine de l’économie mondiale, en supposant que Washington parvienne à mettre en place ce scénario improbable, engendrerait des conséquences extrêmement négatives.
Ce qui pourrait réellement se passer, en terme de découplage sino-américain, est ce que Beijing est déjà en train de réaliser, à savoir un déploiement de partenariats commerciaux avec l’UE et tous les pays du Sud.
Selon Li, cela aboutira à un accès préférentiel à son marché, offert par le gouvernement chinois à ses partenaires. Cela sera bientôt le cas avec l’UE, comme il en a été discuté au printemps à Bruxelles.
Sun Jie, un chercheur à l’Institut mondial d’économie et de politique de l’Académie des Sciences sociales, a expliqué que le renforcement des partenariats avec l’Association des États d’Asie du sud-est (ASEAN) est la pierre angulaire de ce découplage, s’il devenait une possibilité.
Liu Qing, professeur d’économie à l’Université du Peuple, a pour sa part insisté sur le besoin d’un gestion au plus haut niveau des relations internationales, sur la nécessité de traiter avec tous les acteurs depuis l’Europe jusqu’aux pays du Sud, dans le but d’empêcher leurs sociétés de remplacer les sociétés chinoises dans les chaînes logistiques mondiales.
Enfin Wang Xiaosong, un professeur d’économie de l’Université du peuple, a insisté sur la nécessite absolue pour la Chine d’employer une approche stratégique concertée dans ses négociations avec Washington.
Tout est lié aux Nouvelles routes de la soie
Certains des intellectuels occidentaux les plus optimistes préféreraient définir ce qui se passe comme le résultat d’une discussion animée entre les défenseurs de la « retenue » et du « re-équilibrage offshore » et ceux de l' »hégémonie libérale ». En réalité, c’est une véritable lutte contre un incendie.
Parmi les intellectuels occidentaux, distingués par le gars perplexe à l’origine de la métaphore sur Frankenstein, il est impossible de trouver un son de cloche plus raisonnable que celui de Martin Jacques, un chercheur affilié à l’Université de Cambridge. « Quand la Chine dominera le Monde », son pavé publié il y a dix ans, sort du lot dans le fatras d’ouvrages commis par de soi-disant experts occidentaux de la Chine.
Jacques a compris que désormais tout est lié aux Nouvelles route de la soie : « Les nouvelles routes de la soie ont le potentiel d’offrir un monde différent, des valeurs différentes, de nouvelles obligations, une autre manière d’organiser, de nouvelles institutions et de nouveaux types de relations ».
Il ajoute, « elles offrent une alternative à l’ordre international tel qu’il existe. L’actuel ordre international a été conçu par – et pour toujours privilégier – le monde riche, qui ne représente que 15% de la population mondiale. Les Nouvelles routes de la soie concernent deux tiers de l’humanité. C’est extrêmement important à ce moment de l’Histoire ». En fait, nous entrons déjà dans les Nouvelles routes de la soie 2.0 telles que définies par le Ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, comme une évolution qualitative, passant de ce qui n’étaient que « de grands traits généraux » à un « travail détaillé ».
Au forum des Nouvelles routes de la soie organisé au printemps dernier à Beijing, 131 nations étaient représentées et se sont engagées à participer à des projets communs. Le projet global est aussi associé à 29 organisations internationales, de la Banque mondiale à l’APEC.
En dehors du fait que les Nouvelles routes de la soie sont configurées comme un vaste projet de développement du commerce et des infrastructures, allant de l’Afrique à l’Amérique latine, Beijing insiste aussi désormais sur le fait qu’il s’agit d’un concept générale qui comprend plusieurs volets : les relations commerciales bilatérales, la coopération Sud-Sud et les objectifs de développement durable définis par l’ONU.
Le commerce entre la Chine et les nations liées au projet des Nouvelles routes de la soie a atteint 617,5 milliards de dollars lors du premier semestre de 2019, soit un augmentation de 9,7% sur l’année précédente, dépassant même le rythme de croissance du commerce chinois dans sa totalité.
L’universitaire Wang Jisi avait raison depuis le début lorsqu’il désignait les Nouvelles routes de la soie comme une « nécessité stratégique » pour contrer le désormais défunt « pivot vers l’Asie » de Barack Obama.
Il est désormais temps pour les intellectuels occidentaux de commencer à flipper : dans leur configuration actuelle, les Nouvelles routes de la soie sont le nouveau Frankenstein.
Pepe Escobar
Traduit par Laurent Schiaparelli, édité par Wayan, relu par Hervé pour Le Saker Francophone
Laurent Schiaparelli anime aussi la rubrique Thé d’Orient chez nos amis d’Antipresse.