Par Moon of Alabama – Le 5 avril 2019
Le rapport préliminaire sur l’accident d’un avion d’Ethiopian Airline survenu le 10 mars dernier montre que les instructions données par la FAA [Federal Aviation Administration] et Boeing aux pilotes des 737 MAX étaient incomplètes. Les pilotes ont suivi les consignes, mais il leur était physiquement impossible de forcer manuellement l’avion à une position de vol stable.
En octobre 2018, un tout nouvel avion Boeing 737 MAX, utilisé par la compagnie aérienne indonésienne Lion Air, s’est écrasé en mer peu après son décollage. 189 personnes sont mortes. Une enquête a révélé que Boeing avait ajouté aux MAX un « système augmentant les caractéristiques de manoeuvre » (MCAS) qui pouvait influer directement sur le stabilisateur (gouverne de profondeur), une importante gouverne de vol, mais que ses décisions étaient fondées sur les données d’un seul capteur. Lorsque le capteur est tombé en panne, le système hors-contrôle a déstabilisé l’avion.
Ni les pilotes ni les compagnies aériennes n’étaient au courant de ce système. Les organismes de réglementation, qui ont certifié que l’avion pouvait voler en toute sécurité, ont été mal informés à ce sujet. Ils avaient ordonné à Boeing d’inclure le nouveau système MCAS dans le matériel de formation des pilotes, ce que Boeing, pour des raisons commerciales, n’a pas fait.
Après l’accident de l’avion Lion Air, la Federal Aviation Administration a publié la consigne de navigabilité 2018-23-51 qui indiquait aux pilotes de 737 MAX comment réagir en cas de panne du MCAS.
La FAA a demandé aux pilotes du 737 MAX d’utiliser les interrupteurs du compensateur de vol pour couper l’alimentation électrique du système, un vérin à vis entraîné par un moteur situé à l’arrière de l’avion (voir schéma ci-dessus). Les pilotes devaient ensuite utiliser les volants de compensation manuelle situés dans le poste de pilotage, qui déplacent le vérin et le stabilisateur au moyen de câbles d’acier, permettant ainsi de redresser l’avion.
Le 10 mars, un 737 MAX de la compagnie Ethiopian Airline s’est écrasé peu après le décollage. 157 personnes sont mortes. Les données radar et les débris trouvés ont montré que la cause était probablement une défaillance du MCAS similaire à celle qui s’était produite lors du vol Lion Air.
Tous les avions 737 MAX ont été cloués au sol, les États-Unis étant le dernier pays à l’avoir fait.
Certains pilotes américains, ainsi que certains commentateurs ici présents, ont publiquement accusé les pilotes, qui ont la peau foncée, de ne pas avoir utilisé la procédure simple que la FAA avait mise en place : « Pourquoi n’ont-ils pas appuyé sur les boutons ? Stupides mecs sous-entraînés du tiers-monde. »
Il s’avère maintenant que les pilotes bien entraînés et expérimentés du vol d’Ethiopian Airline ont fait exactement ce que Boeing et la FAA leur ont dit de faire. Extrait du communiqué de presse d’Ethiopean Airlines (pdf) :
Le rapport préliminaire montre clairement que les pilotes d'Ethiopian Airlines qui commandaient le vol ET 302 du 10 mars avaient suivi les procédures d'urgence recommandées par Boeing et approuvées par la FAA pour faire face à la situation d'urgence la plus difficile créée par l'avion. Malgré leur travail acharné et le plein respect des procédures d'urgence, il est très regrettable qu'ils n'aient pas pu redresser l'avion qui s’entêtait à plonger en piqué.
La procédure que Boeing et la FAA recommandaient d’utiliser était insuffisante pour ramener l’avion sous contrôle. En fait, il était impossible de récupérer l’avion. La possibilité que cela se produise a fait l’objet de discussions dans des forums de pilotes et sur des sites Web spécialisés pendant un certain temps.
Le système MCAS déplace l’avant du stabilisateur vers le haut pour abaisser le nez de l’avion. L’avion descend alors très vite. Les forces aérodynamiques – le « vent » – poussant le stabilisateur deviennent si fortes qu’un contre-effet manuel devient impossible.
Peter Lemme, ingénieur en avionique, explique en détail les aspects physiques de ce phénomène.
via Seattle Times – vue d’ensemble
Lemme conclut :
Avec les interrupteurs du 737MAX, le mauvais fonctionnement du MCAS est arrêté, ce qui entraîne aussi l’arrêt total du compensateur électrique. Dans ce cas, l'équipage doit utiliser le compensateur manuel en tournant un volant ou une manivelle. Comme nous l'avons vu plus haut, la manivelle manuelle peut se bloquer, ce qui rend le vol beaucoup plus difficile.
Bjorn Fehrm, ingénieur principal et pilote, qui travaille actuellement à Leeham News, est arrivé à une conclusion similaire :
Nous pouvons maintenant révéler comment il est possible que l'avion s'écrase malgré la mise hors fonction du MCAS. Pour vérifier, nous avons tout essayé avec un simulateur de la chaine Youtube MentourPilot, au cours des derniers jours. ... Dans le cas d'un stabilisateur mal positionné, vous devez soit réengager le compensateur électrique, soit désengager le vérin du stabilisateur en poussant le manche vers l'avant, créant ainsi une manœuvre de piqué, pour compenser. Une manœuvre de piqué n’était pas un choix possible pour l’ET302, car il ne se trouvait qu’à 1 000 (300m) pieds au-dessus du sol. Selon le Wall Street Journal, l'équipage du ET302 a réenclenché le compensateur électrique pour essayer de sauver la situation, en relevant le nez de l’avion. C'était leur seule chance. Mais trop tard. L’agressif MCAS s’est déclenché et a aggravé la situation avant qu'ils n'aient pu faire quoi que ce soit.
Sur la consigne de navigabilité de la FAA, Fehrm écrit :
Nulle part il n'est écrit que le compensateur pourrait être impossible à déplacer manuellement à la moindre erreur de compensation, quand les interrupteurs sont coupés, à cette vitesse de vol. Et il n'y a pas d'avertissement sur le moment où il faut utiliser les interrupteurs, la liste de contrôle dit simplement "Coupez, puis compensez manuellement". Ce qui n'est pas complètement exact.
Une analyse détaillée des données de l’enregistreur de vol, telle que documentée dans le rapport d’accident préliminaire, confirme ces conclusions :
La vitesse élevée de 340 nœuds (630 km/h) indiquée et le compensateur à un angle de 2,3 unités provoque le blocage du compensateur manuel du stabilisateur, qui ne peut plus être déplacé manuellement. L'équipage est occupé à essayer de compenser manuellement pendant les deux minutes suivantes, mais n’y arrive pas.
via Leeham News – Agrandir
Les pilotes font alors la seule chose possible. Ils réenclenchent le compensateur électrique du stabilisateur pour tenter de redresser l’avion.
Mais l'agressif MCAS, réagissant presque deux fois plus vite que le pilote, et pendant neuf secondes, entre en action avec une force à laquelle ils ne s'attendent pas. La vitesse est maintenant de 375 nœuds (694 km/h) et le MCAS n'a jamais été conçu pour compenser à cette combinaison vitesse/altitude. Les pressions aérodynamiques, celles qui régissent la façon dont l'avion réagit aux dispositifs de contrôle de l'assiette de l'appareil (ailerons), sont maintenant presque le double de ce qu'elles étaient pour la dernière compensation du MCAS (la pression dynamique augmente avec le carré de la vitesse). Les pilotes sont éjectés de leur siège et vont se cogner contre le plafond du poste de pilotage. Regardez la ligne Pitch Attitude Disp et la ligne Accel Vert. Elles se dirigent vers le point Zéro G et nous pouvons voir comment PF perd l'accès au manche à balai dans le processus (Ctrl Colonne Pos Left). Le pilote peut à peine s'y accrocher, sans parler de le tirer pour compenser. Sa faible traction sur le manche augmente encore plus le piqué, ce qui augmente encore plus la vitesse. A 05.45.30.30 les pilotes sont de nouveau assis sur leurs sièges (trace Accel Vert et trace Ctrl Columns force trace) et peuvent commencer à tirer désespérément sur le compensateur une dernière fois. Mais c'est trop tard. Bien qu'ils provoquent le plus grand mouvement du manche à balai jamais réalisé, le piqué n'en est que marginalement affectée.
Les pilotes et leurs passagers perdent le combat :
C'est facile de dire : "Pourquoi n'ont-ils pas compensé au manche ?". Parce qu'ils descendent à 20 degrés en piqué (ce qui est beaucoup, une approche d'atterrissage normale est de 3°) et à 400 nœuds (740 km/h). Alors vous tirez comme vous pouvez. Et l'avion ne réagit pas au plus fort mouvement du manche à balai depuis le décollage. Ils tirent encore plus fort, l'avion ne réagit pas et ils se battent pour leur vie et celle de tous les passagers.
Une analyse diligente de sécurité aurait permis de prédire ce résultat. Ni Boeing ni la FAA ne semblent l’avoir fait après l’écrasement du premier 737 MAX. Ils ont fourni des consignes de navigabilité insuffisantes pour corriger le mauvais comportement du système.
De plus, leur description du MCAS était incomplète. On sait seulement maintenant que le MCAS règle le stabilisateur à une vitesse de rotation de 0,27 unité (degrés) par seconde alors que le compensateur électrique du pilote déplace le stabilisateur de seulement 0,18 unité par seconde :
"C'est comme s’il y avait un diable de Tasmanie là-dedans", dit Dennis Tajer, pilote de 737 et porte-parole d’Allied Pilots Association, qui représente les pilotes d'American Airlines. ... Si le MCAS continue de merder, et si les pilotes ne coupent pas complètement le compensateur électrique, le résultat est ce que Tajer décrit comme un scénario deux pas en arrière et un pas en avant, avec avantage pour le MCAS. "Le MCAS ne connaît qu'une seule vitesse de réglage, soit 0,27 degrés par seconde, qui est la vitesse la plus agressive ", dit Tajer. "Si vous regardez le bilan, c’est le MCAS qui est en train de gagner, pendant que vous perdez."
Les conseils insuffisants donnés aux pilotes après le premier crash viennent s’ajouter à la longue liste des erreurs criminelles que Boeing a commises et que la FAA a laissé passer.
Aujourd’hui, le Washington Post fait état d’un autre défaut logiciel que la FAA a exigé de corriger :
Boeing a confirmé au Washington Post qu'il avait trouvé un deuxième problème logiciel que la Federal Aviation Administration avait ordonné de corriger - indépendamment du système qui fait l'objet d'une enquête dans les deux accidents et qui est impliqué dans l'immobilisation au sol de l'avion, dans le monde entier. Ce problème supplémentaire concerne les logiciels affectant les volets et d'autres équipements de commande de vol et est donc classés comme critique pour la sécurité des vols, ont déclaré deux responsables au courant de l'enquête.
Les criminels de Boeing n’offrent encore une fois aucune explication et minimisent le problème :
Dans un communiqué, Boeing a qualifié le problème supplémentaire de "relativement mineur", mais n'a pas donné de détails sur la façon dont il affecte le système de commandes de vol de l'avion. "Nous prenons des mesures pour traiter en profondeur cette question relativement mineure et nous avons déjà la solution pour y parvenir ", dit-il.
Quelles autres « caractéristiques » ont été secrètement mises en œuvre dans le 737 MAX sans une analyse suffisante de leurs effets secondaires et de leurs conséquences ?
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone.
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