Les États-Unis utilisent-ils la force pour vendre leur GNL au monde ?


Par Robert Berke – Le 7 octobre 2018 – Source oilprice.com

Middle East
La politique commerciale de l’administration Trump n’est nulle part aussi claire que dans le domaine de l’énergie. Pendant des années, on a pensé que la précédente administration Bush était l’une des plus favorables à l’industrie énergétique de l’histoire. Mais l’administration Trump est allée bien au-delà.


L’embauche de Ray Tillerson, l’ancien PDG d’ExxonMobil, comme secrétaire d’État américain, a envoyé un signal fort à toute l’industrie, même si son mandat s’est avéré temporaire.

Auparavant, cette administration s’était retirée de l’Accord de Paris sur le climat, une priorité de longue date d’Exxon et de l’ensemble du secteur pétrolier. Par la suite, l’Environmental Protection Agency (EPA) a réduit ou éliminé les règlements limitant le carbone et d’autres polluants.

Depuis plus d’une décennie, Exxon soutient l’attaque maintenant discréditée de la droite politique contre le changement climatique en tant que canular. Bien que l’industrie de l’énergie ait désormais publiquement reconnu le changement climatique comme une menace mondiale, dans la pratique, ce sujet est encore largement ignoré.

En allant plus loin, l’administration Trump a supprimé et réduit les règlements qui entravaient l’expansion de cette industrie, notamment en permettant le forage sur les deux côtes océaniques, tout en assouplissant les règlements de sécurité qui sont entrés en vigueur après la marée noire catastrophique de BP dans le golfe du Mexique, la pire de l’histoire américaine.

Les réserves naturelles protégées par le gouvernement sont ouvertes à l’exploration et au forage pour la première fois depuis des générations. À cela s’ajoutait l’abandon des règlements qui, pendant de nombreuses années, interdisaient l’exportation de pétrole brut américain. Depuis lors, les États-Unis sont devenus un acteur majeur de l’industrie mondiale de l’énergie.

L’Administration prévoit actuellement d’abroger et d’abaisser les normes d’efficacité énergétique pour les automobiles et les camions. Cela est susceptible d’encourager l’achat d’un plus grand nombre de SUV, l’augmentation de la consommation de pétrole et la hausse du prix de l’essence.

La réduction de l’impôt sur les sociétés de cette Administration, l’une des plus importantes de l’histoire des États-Unis, a aussi fortement profité à l’industrie de l’énergie, comme à d’autres industries.

Depuis qu’il s’est porté candidat à la présidence, M. Trump a adopté la nouvelle révolution du schiste argileux aux États-Unis comme l’un des principaux facteurs de la croissance économique et de l’indépendance énergétique du pays.

De plus en plus, Trump est devenu le principal promoteur de l’augmentation des exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) américain vers les marchés mondiaux. Il a ouvertement menacé d’imposer des sanctions économiques à l’Allemagne si elle concluait l’accord pour le nouveau gazoduc Nordstream 2 avec la Russie, qui doublerait presque l’approvisionnement en gaz naturel de la Russie, le plus grand fournisseur de l’Allemagne.

Comme la plupart des observateurs l’ont fait remarquer, la menace de sanctions américaines s’est accompagnée de l’offre de GNL américain à l’Allemagne et à l’Europe, en remplacement du gaz russe.

Il ne fait aucun doute que les brimades de Trump ont offensé la sensibilité européenne, mais malgré les protestations allemandes concernant l’ingérence extérieure dans ses affaires économiques intérieures et son intention d’achever le gazoduc russe, l’Allemagne construit tranquillement des installations d’importation de GNL, « en guise de geste envers ses amis américains ».

La plupart des experts de l’énergie s’accordent à dire qu’il est inévitable que le GNL américain finisse par devenir une composante des marchés européens, malgré son prix nettement plus élevé que le gaz russe et norvégien, ne serait-ce que pour maintenir la paix avec l’Amérique, le principal allié de l’Europe, et assurer son accès au marché américain.

Cela servira également à apaiser les plaintes des États-Unis au sujet du commerce déloyal. Peu importe que le déficit commercial des États-Unis avec l’Allemagne soit centré sur l’industrie automobile plutôt que sur l’énergie, si la vente du gaz naturel sert à réduire le déficit commercial des États-Unis.

On pourrait en dire autant du déficit commercial entre les États-Unis et la Chine. La Chine, le plus grand consommateur d’énergie, est le seul pays où des solutions au déficit commercial sont clairement à portée de main, ce qui implique une augmentation des importations américaines de GNL. La Chine a déjà conclu un accord à long terme, d’une durée de 20 ans, pour importer du GNL avec la principale société américaine de GNL, Cheniere Energy.

La Chine pourrait facilement réduire les importations de gaz provenant de divers autres fournisseurs (Qatar, Australie, Nouvelle-Guinée, Iran, Russie) et les remplacer par des approvisionnements américains. Il s’agirait d’une transaction presque gratuite pour la Chine, qui paie déjà d’autres producteurs pour le gaz naturel et le GNL.

Il faut tenir compte des effets qu’un éventuel accord sur le GNL pourrait avoir sur le différend commercial. En ce qui concerne le déficit actuel, les ventes de la Chine aux États-Unis sont estimées à environ 350 milliards de dollars, tandis que les ventes des États-Unis à la Chine sont estimées à environ 150 milliards de dollars.

En mai dernier, la Chine a signé un accord de 25 milliards de dollars pour l’importation de GNL américain. Si nous supposons que, dans les négociations actuelles, les deux pays pourraient conclure une entente modeste pour 25 milliards de dollars de plus en ventes annuelles de GNL des États-Unis à la Chine, les ventes américaines à la Chine passeraient à 200 milliards de dollars, ce qui ramènerait l’excédent de la Chine à 300 milliards.

Si cela devait se produire, le déficit commercial se réduirait à environ 100 milliards de dollars, et Trump retournerait sans aucun doute en campagne électorale pour se vanter de la première victoire commerciale des États-Unis sur la Chine.

Le risque pour ce scénario est la présomption que toutes les parties concernées veulent vraiment une solution au différend commercial, mais on soupçonne généralement que les droits de douane américains dirigés contre la Chine pourraient être moins axés sur un commerce équilibré et davantage sur la guerre économique pour contenir la croissance de la Chine.

Dans Geopolitical Futures de George Friedman, on pouvait lire récemment que les États-Unis commencent à y voir une occasion stratégique de contenir l’affirmation de la Chine plutôt qu’un jeu pour revigorer l’industrie manufacturière américaine.

Sur divers sites Web asiatiques, il reste un groupe de journalistes, dirigé par Pepe Escobar, qui soutiennent que l’Europe, la Russie, la Chine et l’Iran vont s’unir pour contrecarrer les sanctions américaines contre l’Iran, et que les ventes de pétrole de l’Iran ne seront absolument pas affectées. Ils sont également fermement convaincus que la Chine ne cédera pas aux menaces et à l’ultimatum des États-Unis.

Cela malgré le fait que de grandes compagnies énergétiques, comme Royal Dutch Shell et Total, ont déjà fui l’Iran par crainte des sanctions américaines, alors que de grands pays réduisent fortement leurs importations iraniennes.

Les sanctions à l’encontre de l’Iran réduiront certainement considérablement ses exportations, le pire des cas étant une perte de 1,5 million de barils de pétrole par jour pour les marchés. Cela ouvrira également des débouchés sur des marchés sous-approvisionnés qui seront presque certainement exploités par les États-Unis et d’autres concurrents.

Actuellement, le Japon et l’Inde se sont mis d’accord sur des réductions importantes des importations d’énergie en provenance d’Iran. Selon des informations récentes, Sinopec, le plus grand raffineur de pétrole et de gaz de Chine, a également accepté, sous la menace de sanctions américaines, de réduire considérablement ses importations en provenance d’Iran. Ce n’est un secret pour personne que presque tous les concurrents de l’Iran, ses « partenaires » de l’OPEP, s’attaqueront à ces marchés sous-alimentés, comme le feront les États-Unis.

Certains observateurs estiment qu’une victoire commerciale avec la Chine est extrêmement importante pour la campagne électorale républicaine, car les deux partis politiques américains ont à l’esprit que les prochaines élections sont les plus importantes. Si c’est le cas, selon eux, un accord se traduira par un assouplissement des tarifs douaniers avec la Chine d’ici novembre.

Trump lui-même a récemment déclaré qu’il est prêt à parler commerce avec la Chine, mais continue d’ajouter le qualificatif, « pas maintenant ». De nombreux observateurs de Trump interprètent cela comme signifiant que « se montrer dur avec la Chine » flatte la base électorale de Trump, stimule les perspectives républicaines lors des élections à venir, et par la suite un accord commercial est susceptible d’être conclu.

Tout accord commercial avec la Chine pourrait également servir de modèle aux États-Unis pour les accords avec le Japon, l’Inde et la Corée du Sud, qui viennent au deuxième rang des importateurs asiatiques de gaz naturel. Ce n’est pas un hasard si, comme en Europe, ces pays importateurs d’énergie sont menacés par les droits de douane américains pour commerce déloyal.

Cependant, Geopolitical Futures déclare que l’impression générale en Chine semble être que Trump n’est pas réellement intéressé par un accord – certainement pas un accord que la Chine pourrait accepter – et que ce n’est que la première salve majeure dans une guerre froide émergente et que le monde doit se préparer à une nouvelle guerre froide avec la Chine.

Dans un récent discours, Richard Haas, président du groupe de réflexion Council on Foreign Relations, basé à New York, a déclaré que « … l’administration Trump s’est d’abord concentrée uniquement sur le commerce, mais maintenant elle élargit sa réflexion, et il semble presque que l’administration veuille avoir une sorte de guerre froide avec la Chine ».

Qu’en est-il du Venezuela, un pays qui, selon les estimations, possède les plus grandes réserves de pétrole au monde et qui subit également les sanctions américaines ? C’est aussi un pays au sujet duquel l’administration n’a pas caché son projet d’une éventuelle invasion militaire américaine pour renverser le gouvernement Maduro.

Pourquoi rendre cette histoire publique maintenant, à seulement un peu plus d’un mois avant les élections au Congrès américain ?

Il y a de nombreuses rumeurs selon lesquelles cette annonce pourrait être un ballon d’essai, dans le cadre de la préparation d’une invasion visant à renforcer les perspectives des élections républicaines. Jusqu’à présent, il n’y a eu aucun signe d’opposition à ces menaces de la part des démocrates.

Conclusion

Ce n’est pas un hasard si les sanctions visent les plus grands concurrents énergétiques des États-Unis, la Russie et l’Iran, et ce n’est pas un hasard si les plus grands importateurs d’énergie, l’Europe, la Chine, le Japon et la Corée du Sud, sont également sous la menace des tarifs douaniers ou des sanctions des États-Unis.

Cela montre clairement que les États-Unis utilisent la menace d’une guerre économique et d’un conflit militaire possible comme levier pour ouvrir les marchés au plus récent acteur du marché mondial de l’énergie, le GNL américain.

Si les États-Unis réussissent à conclure ces accords, il est probable qu’à l’avenir, ils tenteront parallèlement d’exporter du brut américain vers les mêmes pays importateurs de pétrole, en s’appuyant sur le même plan que pour le GNL.

Robert Berke

Traduit par Hervé pour le Saker Francophone

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