Par Pepe Escobar – le 27 janvier 2015 – source RT
Aucun média institutionnel ne vous dira pourquoi le président des USA, Barack Obama, se rend à Riyad à la tête d’une délégation de haut niveau pour présenter ses hommages au roi Salman, le nouveau potentat de la maison des Saoud.
Tout le gratin est présent, y compris le chef de la CIA John Brennan ; le général Lloyd Austin, chef du Commandement central des USA ; le secrétaire d’État John Kerry ; la cheffe de file du parti démocrate à la Chambre des représentants Nancy Pelosi ; et même le sénateur sénile John il faut bombarder l’Iran McCain.
Que cela a dû être déchirant pour la plupart de ces protagonistes d’avoir à annuler une visite au Taj Mahal en Inde pour faire cet arrêt imprévu de dernière minute à Riyad.
Voici comment cet illustre exemple de médiocrité faisant office de conseiller adjoint à la sécurité nationale, Ben Rhodes, a présenté les choses : « En gros, je crois que c’est pour souligner le changement de direction à la tête de l’État et pour rendre hommage à la famille et à la population de l’Arabie saoudite, mais je suis convaincu qu’en notre présence, il sera question de certains des grands enjeux qui font l’objet d’une coopération très étroite avec l’Arabie saoudite. »
Rappelons que la Maison-Blanche et le Pentagone n’ont pas daigné rendre hommage en personne au peuple français après le massacre de Charlie-Hebdo. Les occupants de la maison des Saoud, qui sont nos principaux salopards dans le golfe Persique, comptent évidemment bien plus.
Sauf qu’il y a un petit problème dans le pilotage du Air Force One. Des sources provenant des hautes sphères du milieu financier m’ont informé que l’objet de ce voyage est d’obtenir le soutien du nouveau roi dans la guerre financière et économique livrée par Obama contre la Russie, alors que la maison des Saoud commence à avoir des doutes. Le rôle des Saoudiens dans cette guerre a été de provoquer un choc pétrolier, qui frappe non seulement la Russie, mais aussi l’Iran et le Venezuela, entre autres. Soit dit en passant, le guignol des USA en charge de l’Ukraine, Petro Porochenko, vient juste de faire sa petite visite en Arabie saoudite.
La Russie n’est pas l’Iran, toute révérence gardée pour l’Iran. Si la maison des Saoud croit vraiment que son interlocuteur est le chef d’une superpuissance plutôt qu’une marionnette ventriloque, rôle joué par Obama, elle est carrément condamnée. Les véritables Maîtres de l’Univers qui dirigent l’Empire du Chaos veulent que la maison des Saoud fasse la majeure partie du sale boulot à leur place contre la Russie. Ils s’occuperont ensuite de ces têtes [enturbannées] de serviettes, c’est l’expression consacrée à Washington, à propos du développement de missiles nucléaires avec le Pakistan. D’autant plus que la guerre des prix du pétrole déclenchée par les Saoudiens aura tôt fait de détruire l’industrie pétrolière des USA, ce qui va à l’encontre des intérêts nationaux des USA.
La maison des Saoud n’a absolument rien à gagner dans cette guerre financière et économique contre la Russie. Les Saoudiens ont déjà perdu le Yémen et l’Irak. Le Bahreïn est tenu par une armée de mercenaires qui réprime l’aliénation de la majorité chiite. Ils voient avec horreur la possibilité que l’Iran, l’ennemi ultime, parvienne à un accord sur le nucléaire avec la Voix de son Maître. Ils désespèrent de voir Assad s’accrocher. Ils veulent que tout Frère musulman dans leur champ de vision, ou à proximité, soit emprisonné ou décapité. Ils craignent les soulèvements de style Printemps arabe encore plus que la peste. Puis voilà ce faux califat de l’EIIS/EIIL/Da’ech qui menace de se rendre jusqu’à La Mecque et Médine. La maison des Saoud est effectivement encerclée de toutes parts.
Une feuille de route suicidaire
Alors que la tempête gronde, tout le monde est tout sourire, au beau milieu d’un carnage fratricide. Le puissant clan des Sudairi a pris sa revanche alors que le corps du roi Abdallah était encore chaud. Le roi Salman, qui a presque 80 ans et dont l’Alzheimer aura tôt fait de le réduire en bouillie, n’a pas perdu de temps pour nommer son neveu, Mohammed ben Nayef, prince héritier en second. Juste au cas où le népotisme ne serait pas encore assez évident, il a aussi nommé son fils, le prince Mohammed ben Salman, ministre de la Défense. Mohammed ben Nayef, en sa capacité de chef de l’antiterrorisme de la maison des Saoud, est l’enfant chéri du Pentagone et de la CIA.
Aussi bien dire qu’il s’agit de la version du désert de ce classique de Giuseppe di Lampedusa qu’est Le Guépard : Se vogliamo che tutto rimanga com’è bisogna che tutto cambi. (Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change.) Ce qui est intéressant, c’est que la phrase semble s’appliquer aujourd’hui beaucoup plus à la maison des Saoud qu’à l’Empire du Chaos.
Apparemment, le jeu qui se déroule autour du trône de nos salopards vise à faire en sorte que tout reste tel que c’est. Ils resteront nos salopards. Le Pentagone a même eu la délicate idée d’amener le chef d’état-major des armées des USA [1] à parrainer un concours de rédaction d’essais en l’honneur de feu le roi Abdallah.
Vous êtes donc cordialement invités à faire l’éloge du roi pour sa répression sans merci de la minorité chiite de l’est de l’Arabie saoudite, riche en pétrole ; pour la peine qu’il a infligée au cheikh Nimr Baqir al-Nimr, l’éminent religieux chiite et dissident politique au franc-parler, soit la décapitation, à la Da’ech, pour avoir tout simplement dirigé un mouvement non violent cherchant à promouvoir les droits des chiites, les droits des femmes et une réforme démocratique en Arabie saoudite (même Human Rights Watch reconnaît que les chiites saoudiens sont victimes de discrimination systématique en matière de religion, d’éducation, justice et d’emploi).
Louangeons le regretté roi pour les milliers de prisonniers politiques, pour les accusations de terrorisme proférées contre les femmes qui osent conduire une voiture, pour le quart de la population vivant sous le seuil de la pauvreté et, dernier point, mais non le moindre, pour sa contribution à l’expansion d’Al-Qaïda en Irak, devenu l’EIIS depuis. Le Pentagone vous adore rien que pour cela.
Toute cette tempête du désert de fric saoudien investi dans le prosélytisme et l’endoctrinement wahhabites, que j’ai vu de mes yeux du Maghreb à Java, est un héritage important ; une religion médiévale toxique (rien à voir avec l’Islam véritable), qui n’a de cesse de détruire des vies et des communautés et d’engendrer des fanatiques, indéfiniment. Vive le roi pour tout cela, au nom du Pentagone, en oubliant bien sûr d’en parler dans tous les médias institutionnels arabes, qui sont sous le contrôle absolu de la maison des Saoud.
Une réforme dans la maison des Saoud, dites-vous ? En marge de l’ignoble et barbare establishment religieux salafiste ? Ça, c’est la blague du millénaire. Rien ne va changer.
Sauf qu’en jouant le jeu de l’Empire du Chaos, en livrant une guerre financière et économique à la Russie, ils changent la donne, car ils jouent carrément avec le feu. Les sanctions imposées par les USA et l’UE, les attaques contre le prix du pétrole et le rouble par l’industrie financière des produits dérivés, qui agit à titre de mandataire, c’est très au-dessus des compétences des Saoudiens. La maison des Saoud jure qu’elle n’a pas changé ses quotas de production en 2014. Sauf qu’il y a un excédent de stock, qui a été mis sur le marché pour contribuer à la chute des prix du pétrole, de pair avec la manipulation des spéculateurs sur les produits dérivés.
Plusieurs analystes du secteur pétrolier n’arrivent pas encore à comprendre pourquoi la maison des Saoud s’en est prise à la Russie. C’est essentiellement pour des raisons politiques et non économiques (le soutien de la Russie à la Syrie et à l’Iran, les USA en accord avec la stratégie, etc.). Le fait demeure que Moscou considère la manœuvre comme une déclaration de guerre économique par l’Arabie saoudite. Prudemment, l’hebdomadaire Petroleum Intelligence Weekly a déjà laissé entendre que les choses pourraient devenir beaucoup plus graves, en parlant de risques de perturbations dans les monarchies du Golfe au Moyen-Orient.
Il faut se méfier d’un empereur qui apporte des cadeaux, ou qui pleure un roi défunt. L’Empire du Chaos demande essentiellement à la maison des Saoud de se transformer en kamikaze contre la Russie. Tôt ou tard, quelqu’un à Riyad se rendra compte que cette feuille de route mène au suicide de la maison des Saoud.
Traduit par Daniel relu par jj pour Le Saker francophone
Notes
[1] Dempsey Sponsors Essay Competition ot Honor Saudi King, U.S. Department of Defense, 26-01-2015
Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan: How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues: a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009) et le petit dernier, Empire of Chaos (Nimble Books).