Le Parti du Congrès indien peine à mettre au point sa politique étrangère


Par M. K. Bhadrakumar – Le 19 mars 2018 – Source Indian Punchline

La résolution concernant la politique étrangère indienne, adoptée lors de la 84e session plénière du Parti du Congrès le 18 mars à New Delhi, est un document révélateur. Ce parti a une longue tradition, qui remonte à l’époque pré-indépendance, de s’élever régulièrement de ses racines régionalistes et à courte vue en adoptant une perspective internationaliste. L’objectif du présent document est une fois de plus de différencier le Parti du Congrès de son rival existentiel, le Parti Bharatiya Janata (BPJ).

C’est une tentative courageuse, car il n’est pas si facile de repérer de grands écarts dans la politique étrangère du gouvernement Modi, qui est en général synonyme de continuité. D’une certaine manière, on peut dire que le gouvernement Modi a brillamment surpassé l’UPA [United Progressive Alliance, coalition de centre gauche, NdT] – par exemple, en redynamisant les relations avec la Russie et l’Iran ou en donnant la priorité à la région de l’Asie occidentale. Les déficiences d’aujourd’hui sont en grande partie dues à un héritage défectueux. Fondamentalement, la politique étrangère servait les intérêts de classe de l’élite indienne, et le Parti du Congrès et le BJP représentent plus ou moins les mêmes intérêts.

Les politiques étrangères ne fonctionnent pas en vase clos. Elles doivent être liées à l’évolution rapide de l’environnement international. La période qui débute en 2014 est marquée par une volatilité sans précédent, alors même qu’une tranche entière de l’après-guerre froide s’est détachée et a commencé à dériver à la suite du « changement de régime » soutenu par les États-Unis en Ukraine. N’oubliez pas que le gouvernement Modi est arrivé au pouvoir à peu près au moment même où les tempêtes qui s’accumulaient ont eu un impact sur l’équilibre des forces à l’échelle internationale. Par conséquent, les critères à appliquer devraient également inclure la façon dont le gouvernement actuel a su faire face à cette période de transformation de la scène internationale.

Malheureusement, le document du Parti du Congrès n’offre pas d’idées nouvelles ou de suggestions concrètes. (La seule exception est l’appui solide à l’accord de partenariat économique régional global, où l’Inde traîne les pieds).

Selon moi, l’essentiel de l’ensemble du document réside dans un paragraphe succinct d’une seule phrase dont le sous-titre improbable est « Scénario mondial : « Il y a un besoin urgent de recalibrer les relations avec les États-Unis, d’arrêter l’érosion des relations avec la Russie et d’améliorer la communication et la confiance avec la Chine. » C’est une déclaration stupéfiante pour trois raisons. D’abord et avant tout, cela pourrait-il être la boussole déterminant la politique étrangère de notre prochain gouvernement si le Parti du Congrès émerge pour diriger un autre gouvernement UPA après le prochain scrutin parlementaire, ce qui n’est plus une perspective incroyable de l’horizon politique ? Incroyable Inde!

Deuxièmement, découlant de ce qui précède, cette déclaration équivaut à une autocritique. Le virage vers une politique étrangère pro-américaine qui a commencé pendant le gouvernement NDA, dirigé par AB Vajpayee, est devenu une tendance et une véritable quasi-alliance avec les États-Unis pendant le règne de l’UPA, en particulier l’UPA-II lorsque le Congrès a rejeté l’influence modératrice de la gauche et a plongé tout entier dans le Consensus de Washington.

En fait, s’il n’y avait pas eu la crise financière de 2008 qui a entravé la capacité des États-Unis à exercer une hégémonie mondiale, l’UPA aurait peut-être galopé dans le haras américain jusqu’à un lointain horizon. Par conséquent, ce doit être la mère de toutes les ironies qu’en cette année marquant le 10e anniversaire de l’Accord de coopération nucléaire civile, le Parti du Congrès reconnaisse la nécessité de « recalibrer » les relations entre l’Inde et les États-Unis.

Il a caché la misère en affirmant que l’accord nucléaire de 2008 « a marqué l’acceptation de l’Inde dans le courant dominant mondial, mettant fin à trois décennies d’isolement nucléaire », mais le résultat le plus important de cet accord nucléaire a été la grande percée que les États-Unis ont réalisée pour pénétrer et dominer le marché indien de l’armement.

Cela a, bien sûr, érodé l’autonomie stratégique de l’Inde. D’ailleurs, la semaine dernière, le commandant de l’US Pacific Command, l’amiral Harry B. Harris, soulignait, dans un témoignage devant la Commission des services armés du Sénat américain à Washington, que l’Inde est la « plus grande chance stratégique » pour les États-Unis – comme si l’Inde pouvait remplacer un steak texan. Triple Hourra pour Lockheed Martin et Boeing !

Si telle est la perception du Pentagone, qui en est responsable ? Le gouvernement actuel de la NDA ? L’ancien gouvernement de l’UPA ? N’est-ce pas plutôt le temps passé et le temps présent qui se télescopent pour former le temps futur ? Hélas, le Parti du Congrès n’offre aucune suggestion sur la façon de déglutir l’omelette qu’il a cuisinée pendant la période 2004-2014 – sur laquelle le gouvernement Modi a pu depuis lors étaler abondamment du ketchup.

Troisièmement, on discerne une contradiction dans la déclaration du Parti du Congrès. Car c’est pendant le règne de l’UPA que les relations entre l’Inde et la Russie se sont considérablement atrophiées – et, malheureusement, cela s’est passé pendant la période du retour de la Russie sur la scène mondiale. On se demande parfois si ce n’était pas un acte délibéré de notre part pour drainer la force vitale des relations Inde-Russie. Nous ignorons dans quelle mesure notre bureaucratie a agi sous l’influence de mentors américains. Mais la progression des stratégies d’endiguement des États-Unis contre la Russie et l’atrophie des relations Inde-Russie se sont déroulées sur des voies parallèles et cela aurait-il pu n’être qu’une coïncidence ?

La « communication et la confiance avec la Chine » est également devenue une victime de la quasi-alliance entre l’Inde et les États-Unis. Ne vous y trompez pas, « Quad » a été conçu en 2006, juste quand l’administration Bush a proposé l’accord nucléaire et a poussé l’Inde à signer un accord de coopération militaire. De plus, c’est Hillary Clinton qui a inventé l’expression « Act East ». Après tout, elle a choisi Chennai pour prononcer son magnifique discours intitulé Vision pour le XXIe siècle, dans lequel elle a lancé un appel pressant à l’Inde pour que celle-ci devienne la cheville ouvrière de la stratégie d’endiguement de la Chine menée par l’administration Obama.

Tout cela ne s’est-il pas produit pendant le règne de l’UPA ? Bien sûr, le gouvernement Modi a depuis grandement compliqué les relations Inde-Chine en adoptant un ton « musclé » dans sa politique étrangère. Le résultat catastrophique n’est que trop évident aujourd’hui. Mais, étonnamment, le document du Parti du Congrès garde un silence assourdissant sur cet aspect « musclé ». Le face à face à Doklam, les « frappes chirurgicales », les questions liées au Tibet – le document du Parti du Congrès ne fait qu’esquiver ce champ de mines. Le document montre que le Congrès est enfermé dans une étreinte mortelle avec le BJP pour s’approprier non seulement la douce Hindutva mais aussi l’État de sécurité nationale que l’Inde est devenue.

Il ne fait aucun doute que la militarisation de la politique étrangère de l’Inde remonte à l’époque de l’UPA-II. Les exportations d’armes américaines vers l’Inde sont alimentées par les tensions entre l’Inde et la Chine. En conséquence, les groupes d’intérêt ont proliféré. Un lien s’est établi entre les gros businessmen, les idéologues et les bureaucrates (civils et militaires). Il est difficile de voir comment les États-Unis vont lâcher leur emprise sur l’Inde, même s’il y a un « transfert de pouvoir » à la suite du scrutin de 2019. Plus que jamais, les États-Unis ont besoin de l’Inde plutôt que l’inverse.

K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Diane pour le Saker Francophone.

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