Le guide du parfait dictateur


Par Le Minarchiste – 11 septembre 2018 – Source Le Minarchiste

Je ne m’attendais pas à grand-chose lorsque j’ai ouvert ce livre et j’ai été agréablement surpris de sa qualité. Ce n’est pas seulement un livre sur les dictateurs, mais plutôt un guide pour comprendre le pouvoir politique en général, même en démocratie. Les auteurs sont des chercheurs chevronnés, qui ont réussi à distiller des décennies de recherches et d’analyse en un court ouvrage de façon brillante, réaliste et… cynique.

Selon les auteurs, on peut mieux comprendre les agissements des dirigeants politiques en s’attardant à leurs motivations profondes. Ce qui motive les dirigeants à agir est de prendre le pouvoir politique, conserver ce pouvoir et contrôler les flux de revenus. Même en démocratie, les leaders ne cherchent pas à améliorer la société ou à laisser une marque prestigieuse sur l’histoire. Tout ce qu’ils veulent est atteindre le pouvoir et le garder.


Les trois groupes de citoyens

Selon les auteurs, il y a trois groupes d’influence en politique :

  • Le sélectorat nominal (les interchangeables)
  • Le sélectorat réel (les influenceurs)
  • La coalition gagnante (les essentiels)

Le sélectorat nominal inclut toute personne qui a légalement le droit d’influencer le choix d’un leader. Dans les pays démocratique, cela inclut tous les citoyens qui ont le droit de vote. Dans les dictatures, il s’agit d’un groupe beaucoup plus restreint. À la cour de Louis XIV, c’était la noblesse, membre de la cour du roi, que Louis a remodelée de manière à en faire des interchangeables.

Le sélectorat réel est le sous-groupe qui a une influence décisive dans le choix du leader. En Chine ce sont les membres du Parti Communiste, en Arabie saoudite ce sont les membres seniors de la famille royale, en Grande Bretagne ce sont les supporteurs du parti ayant la majorité au Parlement.

La coalition gagnante inclut les gens dont le soutien est indispensable pour garder le pouvoir. Dans les pays moins démocratiques, cette coalition ne comprend qu’une poignée d’individus très influents. Dans une démocratie comme les États-Unis, ce groupe est beaucoup plus important et inclut le nombre d’électeurs nécessaire à donner la victoire à un candidat ou un parti (i.e. les électeurs des États-pivots, donc environ 20%).

Ce groupe est le plus important, car sa taille va avoir un impact déterminant sur le comportement du dirigeant. Même dans les pires dictatures, le dirigeant a besoin d’une coalition pour garder le pouvoir. Même un monarque comme Louis XIV avait besoin du soutien de sa cour et de quelques fonctionnaires importants pour demeurer roi et résister à la Fronde.

Mais dans plusieurs démocraties, comme au Canada par exemple, la division du vote entre plusieurs partis fait en sorte de réduire la taille de la coalition gagnante. Au Québec, il ne faut que 30% à 35% des votes pour avoir le pouvoir et même la majorité au parlement.

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Dictature ou démocratie ?

Selon les auteurs, le terme « dictature » signifie un gouvernement basé sur un petit nombre de supporteurs essentiels, tirés d’un petit groupe d’influenceurs, eux-mêmes issus d’un groupe très large de gens interchangeables.

Une démocratie est un gouvernement basé sur un grand nombre d’essentiels, tirés d’un grand groupe d’influenceurs, presque aussi grand que le groupe d’interchangeables. Plus la coalition gagnante est constituée d’un grand nombre de personnes, plus le gouvernement est démocratique.

Les auteurs affirment que plutôt que de classer un gouvernement comme étant soit démocratique, soit dictatorial, une classification binaire, il est préférable de les classer par la taille de la coalition gagnante, ce qui permet de saisir les nuances entre les deux. Ils réfèrent donc à des gouvernement de petite ou grande coalition pour parler de dictature ou de démocraties.

Plus la coalition est grande, plus il devient coûteux d’acheter la loyauté par des récompenses privées. C’est pourquoi les gouvernements démocratiques sont moins corrompus et répartissent les dépenses publiques de manière plus diffuse. Les décisions des gouvernements plus démocratiques ne sont pas nécessairement toujours meilleures, mais au moins elles tentent de satisfaire un plus grand nombre de personnes (plutôt que de bénéficier à une poignée d’individus).

Comment garder le pouvoir ?

La première règle à suivre une fois que le pouvoir a été atteint est de garder la coalition la plus petite possible et s’assurer qu’elle ne soit constituée que de loyaux alliés. La première chose qu’un leader entreprend lorsqu’il prend le pouvoir est de remplacer tous ceux qui sont susceptibles de ne pas le soutenir ou de chercher à lui dérober le pouvoir, même ses plus proches collaborateurs qui l’ont aidé à le prendre.

Par exemple, suite à l’ascension de la popularité de Che Guevara, Fidel Castro l’a envoyé dans une mission suicide en Bolivie en 1965 pour s’en débarrasser. Puis, en 1967, il lui a coupé les vivres, le condamnant à tomber aux mains de ses opposants. C’est parce que le Che était autant sinon plus populaire que Castro et constituait une menace de lui soutirer le pouvoir.

Pensez aussi à la mise en scène de Saddam Hussein lorsqu’il a pris le pouvoir et fait exécuter des centaines de parlementaires, incluant plusieurs personnes qui l’ont grandement aidé à se hisser au sommet.

La deuxième règle est de garder le sélectorat nominal le plus grand possible.

La troisième règle est de contrôler les revenus de l’État de manière à pouvoir s’enrichir tout en achetant la loyauté de la coalition.

Dans une dictature, il ne faut absolument pas diminuer les revenus de la coalition pour favoriser le bien-être de la population en général. En d’autres termes : adopter de bonnes politiques publiques risquera le renversement du dictateur par ses supporteurs qui le remplaceront par un leader plus docile.

Pour un challenger qui veut aspirer à prendre le pouvoir d’un dictateur, il doit démontrer à la coalition qu’il les gardera aussi riches, sinon plus, que le dirigeant actuel.

En 2011, le dirigeant Égyptien Hosni Moubarak est tombé car l’armée a laissé les manifestants protester en public sans répression. Pourquoi l’armée a-t-elle fait cela ? Parce que leurs pot-de-vins avaient diminué. Les États-Unis avaient diminué leur aide à l’Égypte ce qui a probablement résulté en une baisse de revenus pour la coalition supportant Moubarak.

Même chose en Iran vers la fin des années 1970. L’Ayatollah Khomeini a bénéficié du fait que l’armée a refusé de réprimer les millions de protestataires. Pourquoi ? Le Shah était très malade du cancer et sur le point de mourir. Il fallait donc ouvrir la voie à un nouveau leader pour s’assurer de garder le statu quo en termes de revenus pour la coalition. Lorsqu’un dictateur est malade ou en fin de vie, le risque de renversement est plus grand car les membres de la coalition veulent s’assurer que le successeur les maintiendra à flot.

Dans les régimes moins démocratiques, l’armée fait généralement partie de la coalition car elle est essentielle à préserver le pouvoir et réprimer les révolutions. Bien payer l’armée doit être une priorité de tout dictateur.

Comment les Bolchéviques ont-ils pu prendre le Palais d’Hiver en 1917 ? Parce que l’armée les a laissé faire, parce que le Tsar ne les payait plus suffisamment. Ce dernier n’avait plus suffisamment de revenus pour les payer autant car il venait de couper la taxe sur la vodka durant la Première Guerre mondiale.

Comment Robert Mugabe a-t-il conservé le pouvoir si longtemps au Zimbabwe, malgré le fait que ce pays soit tombé en ruine, incluant famines, épidémies et pauvreté extrême ? Il se fait une priorité de payer suffisamment les forces armées.

Quant à Gorbatchev, il avait mis fin aux « magasins spéciaux » qui permettaient aux membres du Parti communiste de ne manquer de rien, ainsi qu’à leur accès privilégié aux meilleures universités et autres privilèges non-disponibles pour le reste de la population. Un coup d’État est alors survenu pour tenter de le renverser.

De leur côté, les démocrates n’ont pas assez d’argent pour acheter la loyauté d’une grande coalition. Ils doivent donc adopter des politiques publiques que leurs supporteurs veulent pour obtenir leur loyauté. La corruption est remplacée par le clientélisme politique.

La transition vers la démocratie

La plupart du temps, les dictatures deviennent plus démocratiques lorsque le dictateur n’a plus suffisamment de revenus pour acheter la loyauté de sa coalition. Il doit par conséquent adopter des politiques qui stimuleront la croissance économique, de manière à bénéficier de meilleurs revenus de taxation. Cependant, les politiques publiques qui favorisent la productivité favorisent aussi la coordination et, par conséquent, le risque de révolution.

Souvent, la baisse de revenu est causée par une baisse du prix des ressources naturelles produites par les entreprises de l’État ou encore le tarissement de ces ressources.

Ce livre donne une tout autre perspective du phénomène appelé « mal hollandais » ou « resource curse ». Cette théorie stipule que si un pays se met à exploiter et exporter plus de ressources naturelles, cela fera augmenter la valeur de sa devise, rendant ses autres industries moins concurrentielles mondialement. Le résultat serait un cercle vicieux dans lequel l’exploitation des ressources naturelles prend de plus en plus de place dans l’économie au détriment du reste, ce qui mène à un appauvrissement à plus long terme lorsque le prix des ressources en vient à baisser.

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Selon les auteurs, les pays moins démocratiques souffrent du mal des ressources parce que ces industries fournissent au dictateur et à sa coalition un flux de revenu visible et fiable. L’État peut facilement nationaliser les mines et puits de pétrole, pour que les dirigeants puissent contrôler l’argent et acheter la loyauté de la coalition.

À ce moment-là, le gouvernement n’a aucun intérêt à ce que l’économie fonctionne bien puisqu’il ne dépend pas des impôts sur l’activité économique pour se financer. Il peut alors garder la population pauvre, mal éduquée et désorganisée pour éviter toute révolution. C’est pourquoi le Mal des Ressources est visible dans les pays où les institutions sont faibles, mais n’a pas tant d’impact sur les pays les plus démocratiques comme le Canada.

Aux États-Unis, un couple avec un enfant et un revenu de $34,200 par an ne paie aucun impôt. En Chine, le même couple devrait payer $6,725 d’impôts. C’est parce que la Chine a une petite coalition et peu de ressources naturelles à exporter.

Les revenus des ressources font en sorte que ces pays ne font pas la transition vers la libéralisation et la démocratie. Les pays qui voient la manne des ressources s’éteindre doivent faire cette transition car ils vont alors dépendre des revenus de taxation, et s’ils continuent d’opprimer la population, celle-ci refusera de travailler. En somme, les dictateurs n’acceptent la libéralisation et la démocratie que lorsqu’ils n’ont plus le choix.

Vers la fin des années 1980, Mikhail Gorbatchev a fait face à une forte baisse du prix du pétrole, faisant grandement diminuer ses revenus. Il n’avait plus le choix de libéraliser l’économie pour la stimuler. J.J. Rawlings a libéralisé le Ghana lorsque ce pays frôlait le désastre économique. Ses politiques économiques insensées ont amené le pays au bord du gouffre, si bien qu’il n’avait plus les moyens de maintenir sa coalition bien rémunérée. Il n’eut d’autre choix que de démocratiser le pays. Il a bien tenté d’obtenir de l’aide étrangère, mais en vain, ce qui le força donc dans cette direction.

Même son de cloche du côté de l’aide humanitaire. Cette aide est généralement usurpée par les dirigeants et la population dans le besoin n’en bénéficie que très peu. Coupez l’aide étrangère, et la démocratie viendra.

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Les radiations de dette, souvent utilisées comme forme d’aide humanitaire, ont le même effet : elles permettent à des dictateurs de s’accrocher au pouvoir un peu plus longtemps ; de ré-emprunter sur les marchés financiers pour s’en mettre plein les poches et récompenser la coalition pour qu’elle demeure loyale.

On peut comparer des pays comme le Bénin et la Zambie, où les institutions internationales ont retiré leur support financier, ce qui fut suivi par une démocratisation de ces pays, au Cameroun et la Côte d’Ivoire, où la France est intervenue par du support financier et aucune réforme n’est survenue.

Les nations membres du Conseil de sécurité de l’ONU reçoivent plus d’aide étrangère, ainsi que de meilleurs termes auprès du FMI et de la Banque mondiale. La raison est simple, ces pays peuvent monétiser leur vote en échange de ces avantages. Les grandes puissances peuvent donc acheter des votes à ce conseil pour servir leurs intérêts.

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Un indicateur de développement

Tel qu’expliqué précédemment, plus la coalition est grande, plus le gouvernement dirige au bénéfice de tous plutôt que des quelques individus qui disposent du pouvoir. Selon les auteurs, la taille estimée de la coalition gagnante en proportion de la population est un meilleur indicateur de développement que le revenu par habitant.

Par exemple, dans un échantillon de 80 pays, les 36 ayant la plus grande coalition ont un taux de mortalité infantile inférieur de 31 par 1000 naissances aux 44 autres pays. Si on fait la comparaison en fonction du revenu par habitant, la différence ne serait que de 15 par 1000 naissances.

Au Honduras, le revenu par habitant n’est que de $4,100, mais 90% des gens ont accès à de l’eau potable. En Guinée équatoriale, le revenu est de $37,000, mais seulement 44% de la population a accès à l’eau potable. Les deux pays ont un climat similaire, sont une ancienne colonie espagnole et de religion chrétienne. Cependant, le Honduras a une bien plus grande coalition d’essentiels que la Guinée.

Le paradoxe des dictateurs pantins

Les grandes puissances affirment vouloir répandre la démocratie dans le monde, mais pourtant, elles soutiennent des dictateurs lorsque cela sert leurs intérêts et ont même contribué à renverser des dirigeants démocratiquement élus.

Les pays démocratiques aiment les dictateurs des pays sous-développés car ils sont faciles à acheter avec diverses formes d’aide. Comme l’a si bien dit Franklin D. Roosevelt au sujet du dictateur Somoza du Nicaragua : « He’s a son of a bitch, but he is OUR son of a bitch », (« C’est un fils de pute, mais c’est NOTRE fils de pute »). Cela explique pourquoi les États-Unis ont renversé des gouvernement démocratiques au profit de dictateurs comme par exemple Patrice Lumumba au Congo, Juan Bosch en République Dominicaine, Mossadegh en Iran et Nasser en Égypte.

Les grandes puissances telles que les États-Unis (et plusieurs autres) prétendent vouloir répandre la démocratie dans les pays émergents, mais au fond elles préfèrent nettement maintenir des dictateurs en poste à la tête des ces pays car ceux-ci sont plus faciles à contrôler, de manière à préserver les intérêts d’une poignée de multinationales qui maintiennent les campagnes électorales à flot grâce à leurs puissants lobbies.

Cela perdure jusqu’à ce que le dictateur aille trop loin (comme ce fut le cas pour Saddam Hussein). Ce faisant, de par l’aide financière et l’appui militaire qu’ils octroient, des pays démocratiques en viennent à permettre à des dictateurs de s’accrocher au pouvoir et contribuent à maintenir ces populations dans la pauvreté.

Les dictateurs communistes

La façon de voir les choses des auteurs de ce livre permet de bien comprendre pourquoi le communisme ne peut que tourner à la dictature. Ils expliquent qu’une chose très importante pour se maintenir au pouvoir est le contrôle des revenus, car ceux-ci peuvent être utilisés pour acheter la loyauté de la coalition gagnante.

Par définition, dans le communisme, le gouvernement accapare la grande majorité des revenus générés par l’économie. Ce contrôle est donc absolu. De plus, la coalition qui émerge des révolutions communistes est généralement très petite, ce qui la rend facile à acheter. Les révolutionnaires vont généralement éliminer les partis d’opposition puisque ceux-ci sont de facto des ennemis de la révolution ; un bon prétexte pour concentrer le pouvoir politique.

Conclusion

Je recommande fortement ce livre, qui vous permettra d’en comprendre beaucoup plus sur la politique qu’une grosse pile de bouquins arides. Comme plusieurs des ouvrages dont j’ai traité sur ce blogue, il permet de comprendre pourquoi beaucoup de pays sont coincés dans la pauvreté. Cela revient encore une fois aux institutions. On y découvre aussi une façon de mesurer quantitativement le niveau de démocratie d’un pays, c’est-à-dire par la taille de coalition gagnante. Finalement, il nous fait encore mieux comprendre pourquoi l’aide étrangère des pays développés est néfaste pour les pays en développement et retarde la transition vers la démocratie et vers une économie libre.

Article connexe : Pourquoi certains pays sont plus pauvres ? Diagnostic Pauvreté : la Conclusion.

Le Minarchiste

Note du Saker Francophone

On laisse à l'auteur son analyse de ce livre mais cet article est une invitation à découvrir ou redécouvrir un article déjà publié en 2016 sur ce même auteur.

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