Les actes du gouvernement brésilien sont à mettre en parallèle avec la façon dont les gouvernements occidentaux traitent les lanceurs d’alerte et les journalistes qui révèlent leurs secrets.
Par Alan Macleod – Le 22 janvier 2020 – Source Mint Press News
Le gouvernement brésilien de Jair Bolsonaro a accusé le journaliste d’investigation Glenn Greenwald de cybercrimes – des délits qu’il aurait commis alors qu’il faisait un reportage sur la corruption de haut niveau du gouvernement lui-même. Les procureurs affirment que le journaliste américain a « aidé, encouragé et guidé » un groupe de pirates informatiques à accéder à des messages de téléphone portable entre des personnalités gouvernementales de haut niveau, utilisant ces informations pour nuire à l’image de la task force anticorruption du Brésil.
Greenwald a rejeté ces accusations, affirmant qu’elles sont des « représailles » contre lui-même et son média The Intercept, pour une « série de révélations journalistiques que nous avons publiées et rapportées depuis juin, montrant la corruption de haut niveau au sein du gouvernement Bolsonaro, en particulier celle de son ministre de la justice et de la sécurité publique Sergio Moro », ajoutant que le gouvernement brésilien « ne croit tout simplement pas » à une presse libre ou à la démocratie.
Glenn Greenwald✔@ggreenwald - 21 janvier 2020 Concernant les accusations pénales portées par le gouvernement Bolsonaro : il s'agit d'une attaque grave et évidente contre la presse libre, portée par un juge d'extrême droite. Nous allons défendre la presse libre, et pas nous laisser intimider par des autorités qui abusent de leur pouvoir. Les reportages vont continuer.
Les procureurs brésiliens mènent depuis 2014 une prétendue campagne de lutte contre la corruption qui a conduit à la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016 et à l’emprisonnement de l’ancien président et favori des élections de 2018, Lula da Silva. Cependant, l’enquête de Greenwald a révélé que le juge en charge de la procédure, Sergio Moro, était en fait en contact permanent avec l’équipe du ministère public, lui donnant des instructions sur les lignes d’attaque et la meilleure façon de détruire le Parti des travailleurs de centre-gauche, auquel Rousseff et Lula appartiennent tous deux. Après avoir emprisonné Lula, ouvrant ainsi la voie à Jair Bolsonaro pour qu’il remporte les élections de 2018, Moro a accepté une position privilégiée au sein du cabinet de Bolsonaro et s’est vu attribuer des pouvoirs étendus, faisant effectivement de lui l’un des hommes les plus influents du Brésil. Les reportages de Greenwald furent déterminants pour la libération de Lula en novembre dernier. [Il a aussi reçu des écoutes téléphoniques de la CIA, NdSF]
Les actes de Bolsonaro ont immédiatement fait penser à la façon dont les gouvernements occidentaux ont traité les lanceurs d’alerte et les journalistes qui ont révélé leurs secrets. Greenwald lui-même a travaillé en étroite collaboration avec le responsable des fuites concernant la NSA, Edward Snowden, qui a révélé l’ampleur de l’opération d’espionnage menée par l’organisation. Alors que Greenwald a reçu un prix Pulitzer pour son travail – considéré par beaucoup comme la plus haute récompense du journalisme -, Snowden a été persécuté et diabolisé, contraint à l’exil en Russie. Pendant ce temps, le co-fondateur de Wikileaks, Julian Assange – une figure que Greenwald a constamment défendue -, croupit dans une prison londonienne, en attendant une éventuelle extradition vers les États-Unis.
Randy Credico en direct On The Fly @CredicoRandy Cela a d'abord été #Assange, maintenant c'est @ggreenwald ... Réveillez-vous !
Si Greenwald s’est construit un énorme culte en devenant probablement le plus réputé des journalistes spécialisés dans les fuites de matériel, la sécurité nationale et les libertés civiles, il n’est pas une figure populaire dans le monde des journalistes professionnels, qui le considèrent comme un outsider trop combatif. Bien qu’ils aient dénoncé les accusations portées contre lui, les plus grands reporters du pays n’hésitent pas à souligner à quel point ils ne l’aiment pas personnellement, de peur d’être confondus avec les journalistes qui contestent le pouvoir de l’État de sécurité nationale. « J’ai été en désaccord avec Glenn Greenwald au fil des ans – parfois même, il m’exaspère », a écrit Zack Beauchamp, correspondant principal de Vox, mais « son inculpation devrait être condamnée par quiconque se préoccupe un tant soit peu de la liberté d’expression ». L’écrivain conservateur Max Boot est d’accord : « Je ne suis pas un fan de Glenn Greenwald, ni lui de moi, mais cela ressemble à une tentative de le cibler pour avoir publié des articles d’investigation qui ont embarrassé le régime brésilien de droite », a-t-il tweeté.
Jacob Silverman@SilvermanJacob Je déteste Glenn Greenwald et ne soutiendrais jamais son travail mais «la persécution fasciste des journalistes est mauvaise" est mon genre de tweet préféré aujourd'hui
Greenwald était à l’origine un avocat et un blogueur, avant de faire la transition vers le journalisme sous l’administration Bush, en écrivant pour Salon puis The Guardian, puis de fonder le site de journalisme d’investigation The Intercept en 2014. Il est un éminent sceptique du RussiaGate et n’a pas peur du débat ou de l’argumentation. Pour son scepticisme ouvert à l’idée que Vladimir Poutine ait décidé des élections de 2016, il affirme avoir été effectivement mis sur la liste noire de MSNBC et d’autres réseaux libéraux, bien qu’il soit apparu sur l’émission de Fox intitulée Tucker Carlson Tonight. Ce fait et nombre de ses positions critiques ont conduit à des allégations disant qu’il serait un partisan de l’extrême droite. Greenwald le conteste vivement, soulignant qu’il a consacré sa vie à défendre les droits et les libertés civiles des musulmans et d’autres minorités face à des administrations de plus en plus autoritaires, et qu’il est ouvertement homosexuel, marié à David Miranda, membre du Congrès brésilien du Parti du socialisme et de la liberté, tous deux sous le feu d’un gouvernement véritablement fasciste au Brésil. Sur le podcast « Useful Idiots », il a révélé que sa résistance à l’administration de Bolsonaro ne lui coûte pas moins que la liberté de sa propre famille, notant qu’ils doivent voyager partout dans des voitures blindées escortées par des gardes armés.
Jair Bolsonaro a été élu lors d’une élection très controversée en 2018 qui a vu le candidat du Parti des travailleurs, Lula da Silva, emprisonné et empêché de se présenter, alors qu’il était de loin le candidat le plus populaire. L’élection a également été entachée par des vagues d’infox. Bolsonaro a alimenté les flammes de la haine anti-homosexuelle au Brésil, un pays déjà hostile aux LGBT, en affirmant qu’il préférerait que ses fils meurent plutôt que de déclarer publiquement qu’ils sont qu’homosexuels. Greenwald et son partenaire sont peut-être les deux opposants LGBT les plus visibles au gouvernement Bolsonaro, refusant de se taire alors que le gouvernement tente de restreindre les libertés et les droits de l’homme.
Le gouvernement a privatisé de vastes pans de l’économie, promis de couper la forêt amazonienne, ne laissant « pas un centimètre » aux groupes indigènes pour vivre, et s’est rapproché de l’administration Trump. En décembre, il a participé à une attaque paramilitaire contre le Venezuela, contrôlé par le gouvernement de gauche de Nicolas Maduro. Bolsonaro a également fait l’éloge de la dictature d’extrême droite qui a dirigé le pays entre les années 1960 et 1980, la qualifiant de « forme supérieure de gouvernement ». Il s’agit encore une fois « de faire prendre conscience du niveau de répression », selon Greenwald, qui prétend que ce n’est qu’un pas sur la voie de plus en plus autoritaire empruntée par le gouvernement.
Alan MacLeod
Traduit par Wayan, relu par Marcel pour le Saker Francophone