Par Tom Luongo − Le 6 mai 2020 − Source Strategic Culture
Il y a eu récemment un effort concerté parmi les oligarques que j’aime appeler « Le gang de Davos » pour diaboliser l’argent liquide. Du gestionnaire de fonds spéculatifs Ray Dalio déclarant «Cash is trash» au début de cette année, aux propos alarmistes entourant Covid-19, qui rendent les gens méfiants avec les transactions en espèces, car cela pourrait être souillé, la rhétorique anti-espèces a été amplifiée à l’extrême.
Et ce n’est un secret pour personne que l’élite du monde veut que nous arrêtions de faire des transactions en espèces, car c’est quelque chose qu’ils ne peuvent pas surveiller. La Suède flirte avec la société sans espèces, tandis que l’Union européenne a supprimé les grosses coupures de billets [sauf en Allemagne qui résiste, NdSF], comme l’ont fait les États-Unis.
Il y a quelques années, l’Inde a créé une énorme agitation en retirant de la circulation les billets de 500 et 1 000 roupies. Toutes ces mesures ont, en principe, servi à éradiquer la corruption. Elles sont vendues au public comme moyen de punir les criminels et le blanchiment d’argent.
Mais la réalité est que la pression pour retirer l’argent liquide de la société a pour but de mettre toutes nos transactions financières dans des bases de données qui donnent aux autorités un enregistrement de tout ce que vous faites. Alors que les gouvernements du monde entier deviennent de plus en plus nécessiteux, ils cherchent naturellement des moyens d’améliorer la conformité fiscale, ainsi que la surveillance des profils de toute personne qu’ils considèrent comme une menace pour leur existence.
C’est la vraie raison pour laquelle «l’argent liquide doit aller à la poubelle» pour les autorités. Et l’évolution vers des versions uniquement numériques des monnaies nationales est une extension de la prise de pouvoir actuellement en cours en réponse à la crise de Covid-19.
Mais, plus que cela, la raison de cette diabolisation du cash a tout à voir avec le fait que le système financier mondial actuel est en lambeaux et aura besoin d’un plan de sauvetage mondial coordonné.
La façon la plus simple d’effectuer cela est de pouvoir créer de l’argent numérique à partir d’un clavier d’ordinateur.
La crise de 2008 était trop importante pour la Réserve fédérale. Pour survivre, il lui a fallu l’effort coordonné de toutes les grandes banques centrales ainsi que le soutien du Fonds monétaire international (FMI).
Alors, ne croyez pas que je suis choqué quand je vois ce rapport de Sputnik qui dit que le chef de la Shanghai Gold Exchange – la Bourse de l’or de Shanghai – plaide publiquement en faveur d’une monnaie numérique transnationale pour remplacer le dollar américain comme monnaie de règlement dans les échanges internationaux.
Selon Wang Zhenying, cité par Reuters, le dollar, en tant qu’outil de pression pour les Américains, et source de vulnérabilité pour les autres, ne peut plus être la monnaie mondiale standard. Il admet que l’or n’est pas non plus un moyen d’échange idéal, car sa quantité est limitée et il ne peut pas répondre aux besoins d’un commerce international croissant. Par conséquent, une monnaie supranationale pour les échanges, indépendantes de tout pays, est nécessaire.
Cette idée n’est pas nouvelle et a déjà été promue par la Chine lors de la dernière crise financière de 2008-2009. Le chef de la banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, avait alors proposé de réformer le système des règlements internationaux par le biais de droits de tirage spéciaux (DTS).
L’auteur et commentateur Jim Rickards fait valoir ce point de vue depuis plus d’une décennie. Dans ses précédents livres, The Death of Money and Currency Wars, il a parlé ouvertement des projets pour que le FMI assume le rôle de banque centrale mondiale, car la crise en cours sera trop grande pour toutes les banques centrales réunies.
Je suis d’accord avec Jim à ce sujet depuis des années. Les élites mondiales ont discuté ouvertement de ces choses. Elles ont écrit des livres blancs à ce sujet.
Mais ce qui est intéressant maintenant, c’est que M. Zhenying modifie légèrement cette idée, en parlant d’une monnaie forte d’une certaine forme pour remplacer le dollar américain. Mais, regardez attentivement son argumentation et vous verrez l’appât et le changement, car il ne croit pas que nous parviendrons à un consensus sur l’utilisation des droits de tirage spéciaux du FMI (DTS) comme moyen de régler des comptes [sinon ça aura déjà été fait, mais bien sûr les US s’y opposent, NdT] et il ne croit pas non plus que l’or soit viable.
Alors qu’est-ce que ce sera ?
Des pays, comme la Chine, travaillent déjà sur des versions numériques de leurs monnaies nationales. Le Congrès américain a tenté de glisser cette idée dans la première loi CARES récemment adoptée, autorisant des milliards de dollars de renflouements et de stimulants.
La Russie a travaillé sur une version numérique ainsi qu’une crypto-monnaie du rouble. L’UE veut désespérément que les États membres acceptent la mutualisation de la dette [là, c’est bien sûr l’Allemagne qui s’y oppose, NdT] et l’intégration fiscale sous l’égide de la Banque centrale européenne pour créer uniquement des euros numériques et mettre fin aux euros physiques une fois pour toutes.
La possession d’or en Allemagne est désormais hautement suspecte, le gouvernement allemand surveillant ouvertement toutes les ventes d’or supérieures à 1 000 euros, moins d’une once.
En effet, la confidentialité financière appartient déjà au passé. Même les marchés des crypto-monnaies du soi-disant premier monde doivent être conformes aux normes AML (Anti-blanchiment) et KYC (Identifiez votre client) pour pouvoir fonctionner avec l’infrastructure financière existante.
La poussée pour la fin de l’argent est une chose réelle. C’est une tendance dangereuse et inquiétante car elle suppose que toutes les taxes et tous les frais exigés par les gouvernements sont légitimes. Cela suppose que si vous voulez rester privé, vous êtes un blanchisseur d’argent et un tricheur.
Et ce qui est le plus inquiétant, c’est que l’opposition au comportement hégémonique américain, armant le dollar comme le fait l’administration Trump, sera utilisée comme cri de ralliement pour un système de contrôle social et financier encore pire.
Je suis tout à fait favorable au monde multipolaire, mais nous n’avons pas besoin d’une monnaie de règlement des échanges mondiaux administrée par les gouvernements. Pensez-vous vraiment qu’aucun autre pays ne finirait pas par ressembler aux États-Unis, après presque un siècle de domination du paysage financier mondial ?
Si vous le pensez, j’affirme que vous êtes, soit un naïf en phase terminale, soit un comparse.
C’est vraiment de cela qu’il s’agit. Le gang de Davos n’a jamais mis en place une dynamique qui laisse aux gens autre chose qu’un choix de Hobson : « La bourse ou la vie ». Vous pouvez, soit souffrir sous la tyrannie de l’oligarchie bancaire rapace des États-Unis, soit en choisir une autre, aussi mauvaise, mais administrée mondialement.
Mais ce n’est pas le seul choix. M. Zhenying n’a pas tort de croire que quelque chose de nouveau est nécessaire, mais il doit s’agir d’une véritable monnaie forte basée sur une valeur existante établie, non sortie de nulle part, ou seulement soutenue par un travail futur, ce qu’est la dette.
Le dollar comme monnaie de réserve en est en train de mourir. La vaste financiarisation du monde et les multiples bulles de crédit qu’elle a engendrées éclatent. Les gens sont ouverts à des alternatives. Et dans le grand jeu du capital mondial, un pays doit simplement être légèrement meilleur que l’actuel acteur dominant pour avoir la part du lion une fois que la faillite monétaire aura commencé.
La Chine se positionne pour être un acteur plus important ici, mais le FMI, gouverné et contrôlé par les États-Unis, n’est pas la solution. C’est le scénario « On efface tout et on recommence comme avant ».
À l’heure actuelle, l’or connaît une forte offre dans le monde entier et le Bitcoin s’apprécie suite à la diminution de moitié de sa récompense pour le minage, ce qui se produit tous les quatre ans. Il n’y a jamais eu de meilleure occasion pour les gens de rejeter les déclarations et les solutions des personnes mêmes qui ont si complètement détruit notre capacité à évaluer le risque et la valeur.
Et ce sera la discipline de l’argent comptant lié aux actifs réels, nés du travail humain, mais libre de toute manipulation, qui rendra la raison à nos marchés et à nos économies locales. Voilà ce qu’est une monnaie forte. C’est ce que M. Zhenying administre au Shanghai Gold Exchange et c’est ce qui doit revenir.
Tom Luongo
Traduit par jj, relu par Kira pour le Saker Francophone
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