Par William Lind − Le 4 décembre 2016 − Source Traditional Right
L’élection de Donald Trump ouvre la porte au changement et à la réforme dans de multiples domaines. Le plus important par dessus tout, pour l’avenir de notre pays, c’est sa grande stratégie 1 et sa politique étrangère – cette dernière, si on la comprend correctement, étant une partie de la première. Les États-Unis ont besoin d’une grande stratégie qui se donne pour objectif de préserver le système des États.
Notre actuelle grande stratégie a été conçue pour un monde d’États en conflit les uns avec les autres. Son objectif est d’assurer la domination de l’Amérique sur les autres États 2. Les États-Unis ne sont pas les premiers à se donner un tel objectif. Comme ses prédécesseurs, l’Amérique est en train d’échouer. Aucun État n’a jamais été assez puissant pour établir ce qu’on appelait autrefois la «monarchie universelle». Les tentatives de l’atteindre se sont toujours terminées par des aventures exagérées, puis la chute. Rappelez-vous, le Portugal dominait autrefois la moitié du monde.
Mais le plus important n’est pas que nous réduisions nos objectifs afin de les faire correspondre avec nos moyens dans le cadre des conflits entre États. Le plus important est de réaliser que la guerre de quatrième génération 3 pose une menace tellement grave au système des États tout entier, que les conflits entre États sont maintenant devenus obsolètes. Nous avons besoin d’une alliance de tous les États contre les entités de type quatrième génération 4. Si nous et les autres grandes puissances, tout particulièrement la Russie et la Chine, continuons de nous chamailler entre nous, le XXIe siècle connaîtra probablement la fin du système des États tout entier. L’anarchie pure et simple sera lâchée sur le monde 5.
Le président-élu Donald Trump s’est déjà entretenu avec les dirigeants de la Russie et de la Chine, et leur a dit qu’il souhaitait de meilleures relations avec chacun d’eux. C’est un début prometteur. Une alliance de tous les États devrait commencer par une Triple Alliance des trois puissances les plus grandes. La Grande-Bretagne et la France s’y joindraient sans doute. Ces cinq-là – qui commodément sont aussi les membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies – devraient être les décideurs 6. Si on en rajoute encore, il ne sera plus possible de prendre des décisions.
Je ne sais pas si le président-élu Trump ou ses conseillers comprennent le contexte dans lequel nous avons besoin d’une nouvelle Triple Alliance, ou d’une Quintuple Alliance, et comme si souvent quand on parle de grande stratégie, ici le contexte est important. Il s’agit encore une fois de la nécessité que tous les États travaillent ensemble contre les entités non-étatiques guerrières, les entités de quatrième génération. L’alliance est un moyen et non une fin.
L’objectif, c’est qu’à chaque fois et où que la guerre de quatrième génération menace, tous les États travaillent ensemble afin de la vaincre. La puissance des entités de quatrième génération au niveau moral de la guerre, ou du moins de certaines d’entre elles, est telle que même avec tous les États du monde contre elles, il ne sera pas facile de les battre 7. Je le répète : l’enjeu au XXIe siècle, c’est le système des États lui-même. Si les événements suivent leur cours actuel, d’ici la fin du siècle, l’État dans une grande partie du monde ne sera probablement plus qu’un souvenir – un souvenir chéri, comme il l’est en Syrie, en Libye ou en Irak. L’enjeu pour les États n’a jamais été plus élevé.
L’un des corollaires d’une grande stratégie rassemblant tous les États contre les entités non-étatiques violentes est que la guerre entre États doit disparaître. Trop souvent, l’État vaincu par un autre se désintégrera, créant un nouveau bouillon de culture pour des entités de quatrième génération qui seront une menace bien pire que l’État disparu n’aurait jamais pu l’être 8.
C’est pourquoi la nouvelle alliance de tous les États travaillera assidument pour éviter et empêcher toute guerre entre États. Tout État qui fera mine de préparer une guerre contre un autre trouvera le monde entier sur son chemin pour lui crier «Stop !». Cette realpolitik pourrait ironiquement faire beaucoup plus pour empêcher les guerres entre États, que n’ont jamais fait tous les «mouvements pour la paix» des idéalistes 9.
Certains demanderont peut-être, mais l’Iran, mais la Corée du Nord, mais les autres États «voyous» ? Les voulons-nous dans l’alliance ? Oui. «Tous les États», cela veut dire exactement ça. L’Iran fait face à des menaces de type G4G de la part des non-Persans à l’intérieur de ses frontières. La Corée du Nord n’a pas de menace G4G, mais elle pourrait être un allié utile, et nous ne voulons pas qu’elle fournisse armes et expertise à des entités non-étatiques, à cause d’un manque désespéré d’argent. Un traité de paix avec la Corée du Nord suivi du retrait des troupes américaines de Corée du Sud est exactement le genre de deal, d’accord, que le président Trump devrait arriver à conclure efficacement.
J’espère que la Maison Blanche Trump envisagera sérieusement de réaménager la grande stratégie américaine, afin de l’adapter à un siècle où la menace la plus dangereuse sera la guerre de quatrième génération. Il y a au moins une chance qu’ils le fassent. Sous Hillary Clinton, ou tout autre président aligné sur l’establishment d’un parti ou de l’autre, il n’y en aurait aucune.
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Traduit par Alexis Toulet pour le Nœud Gordien
Notes
- La grande stratégie a pu être définie comme la «partie sublime» de la stratégie qui intègre en un ensemble cohérent, la totalité des vecteurs de puissance à disposition de l’État au service d’objectifs politiques bien compris. On peut encore remarquer que le niveau le plus élevé et le plus général de la stratégie d’un pays, c’est-à-dire la grande stratégie, ne peut manquer d’avoir une forte influence sur la manière dont ce pays se comprend et se conçoit lui-même. ↩
- Rappelons les objectifs du Project for the New American Century (PNAC) c’est-à-dire la perpétuation indéfinie d’une position mondiale américaine dominante, ou la revendication d’une primacy, c’est-à-dire d’une primauté des États-Unis sur les relations internationales au niveau planétaire, portée par des présidents comme Bill Clinton, George W Bush, à un moindre degré Barack Obama, et de manière particulièrement affirmée par la candidate démocrate Hillary Clinton, défaite par Donald Trump ↩
- La guerre de quatrième génération est gagnée ou perdue, avant tout au niveau moral de la guerre, lequel n’a rien à voir avec la morale au sens ordinaire du terme, mais avec le moral. C’est le niveau, supérieur aux niveaux physique et mental, où il s’agit de faire accepter à l’adversaire sa défaite, ce qui est toujours en définitive l’objectif. Il s’agit du plus puissant sur le long terme, et c’est en l’emportant à ce niveau qu’en leur temps des mouvements comme le Viêtcong, le FLN, les Moudjahidines afghans, les Talibans ou le Hezbollah ont pu vaincre des États pourtant matériellement incomparablement plus puissants. William Lind explique dans cette citation de John Boyd’s Art of War : «Aux niveaux de la guerre que l’on distingue traditionnellement – le tactique, puis l’opérationnel, puis le stratégique – Boyd en ajoute trois autres – le physique, le mental et le moral. On peut utilement les placer sur une grille à neuf cases, les trois premiers sur un axe, les trois autres sur l’autre axe. (Les forces armées américaines) se concentrent sur une seule case, au croisement des niveaux physique et tactique, où notre supériorité est écrasante. Mais les acteurs non-étatiques se concentrent sur le stratégique et le moral, où ils sont souvent plus forts, en partie parce qu’ils sont dans la position de David contre Goliath. A la guerre, le niveau plus élevé l’emporte sur le plus bas, c’est pourquoi nos victoires successives aux niveaux tactique et physique sont annulées par les succès de nos ennemis aux niveaux stratégique et moral, c’est pourquoi nous perdons.» Voir un graphique sur l’article du nœud gordien. ↩
- La guerre de 4e génération (G4G) est avant tout une guerre pour la légitimité, qui se gagne ou se perd, bien davantage en s’assurant le soutien au moins résigné et de préférence engagé des populations concernées que par les seuls moyens physiques. Le djihadisme islamiste est un exemple évident, mais aussi les mouvements ethniques insurrectionnels, ou les mafias lorsqu’elles établissent leur contrôle sur des régions entières, et encore toute idéologie éventuellement autre que l’islamisme, qui chercherait à faire s’effondrer de l’intérieur les États existants ↩
- Les entités de quatrième génération, c’est-à-dire l’anarchie armée à base idéologique, ethnique ou criminelle, pourraient-elles se répandre comme un cancer et l’emporter dans une grande partie du monde ? Force est en tout cas de constater que la tendance est au recul des États, en Syrie, en Irak, au Yémen, en Somalie et en Libye, tout comme dans le nord du Nigeria, au Congo ou au Soudan, dans de nombreuses régions du Mexique, de Colombie ou du Pérou, ou encore de Turquie, du Pakistan, de Birmanie, de Thaïlande et des Philippines. Les zones d’anarchie telles qu’on peut les visualiser sur le site des conseils aux voyageurs du ministère des Affaires étrangères français ont une nette tendance à l’extension. Quant au facteur environnemental, la désertification et l’appauvrissement prévisibles de grandes régions du monde dans les décennies à venir risquent fort de multiplier les cas d’États faillis livrés à l’anarchie ↩
- Remarquons la parfaite compatibilité des orientations proposées par William Lind avec le «logiciel gaulliste» en politique étrangère, voir le rôle dévolu au Conseil de Sécurité de l’ONU, la coopération avec tous les États sans en mettre aucun au ban des nations, De Gaulle reconnaissant la Chine populaire dès 1964, au grand scandale des États-Unis qui ne le suivirent que bien plus tard. Incompatibilité frontale en revanche, avec les théories sur un «devoir d’ingérence» et les tentatives de favoriser l’effondrement de régimes désignés comme ennemis, comme en Libye et en Syrie. Briser des régimes existants, ou soutenir des entités de quatrième génération dans le cadre d’une guerre civile est exactement ce qu’il faut faire si l’objectif est de remplacer un État par une anarchie violente. En matière politique comme en toute chose, construire est incomparablement plus difficile que casser. Bien sûr, l’invasion de l’Irak et la destruction de son État en 2003 est probablement le pire qui se soit vu en ce siècle, en matière d’aide à l’anarchie et de coup de fouet donné à l’islamisme djihadiste. ↩
- La puissance des entités non-étatiques pratiquant la guerre de quatrième génération est assez remarquable, voir la disproportion entre les faibles moyens d’État islamique relativement aux véritables États et la difficulté et le temps nécessaires à des puissances majeures comme États-Unis, Russie, France ou autres pour le vaincre. ↩
- La France est protégée des agressions étatiques majeures par sa dissuasion nucléaire, qui ne peut fonctionner que contre des adversaires qui ont des villes, des usines ou des centres de pouvoir à perdre. C’est contre les entités non-étatiques que la dissuasion nucléaire ne peut fonctionner. Protéger la France contre elles est donc logiquement la tâche principale restant à la Défense française, une fois assurée – et modernisée en continu – la force de dissuasion.
C’est d’ailleurs bien la mission qui leur est confiée de plus en plus clairement en réaction à la campagne de recrutement, de subversion et de terreur qu’État islamique (Daech) et les autres organisations islamistes djihadistes mènent contre notre pays. ↩
- La politique générale proposée par Lind est tout simplement une politique de paix envers tous les pays sans aucune exception, en même temps que de lutte décidée contre tout ce qui fait la guerre aux États, dont chacun exprime, gouverne et représente l’un de ces pays. Alliance assez remarquable de l’objectif idéaliste des Nations Unies et de la logique réaliste la plus dure. ↩