L’affaire Khashoggi. Un accord a été trouvé mais tiendra-t-il ?


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama – Le 25 octobre 2018

Un accord préliminaire a été conclu entre le président turc Erdogan et le clan des al-Saud en Arabie saoudite. Le cas de Jamal Khashoggi, tué à Istanbul par les gardes du corps du prince héritier saoudien Mohammad bin Salman, va, pour l’instant, être clos.

Au cours des 36 dernières heures, depuis que le discours d’Erdogan a prouvé la culpabilité saoudienne, il n’y a plus eu de fuites préjudiciables de la part des sources turques habituelles sur cette affaire.

Lors d’une table ronde à la conférence des investisseurs qui s’est tenue hier à Riyad, Mohammad bin Salman a dénoncé le « crime odieux » commis contre Jamal Khashoggi. Il a salué les « relations inébranlables » avec la Turquie et a admiré la durabilité économique du Qatar.

Ces commentaires ont été faits à la suite d’un coup de fil entre MbS et Erdogan.

Les négociations se sont avérées difficiles. Le roi saoudien a envoyé le gouverneur de La Mecque et de Médine pour tenter un marché :

Le prince Khalid al-Faisal est rentré d’Ankara avec un message sombre pour la famille royale. « Il va être vraiment difficile de s’en sortir », a déclaré le prince Khalid à ses proches après son retour, selon un des membres de la famille. « Ça l’a vraiment perturbé. »

Les premières rumeurs parlaient d’une offre saoudienne de 5 milliards de dollars pour enterrer l’affaire. Cela n’a pas été suffisant.

Lundi, le New York Times rapportait qu’Erdogan n’allait pas conclure un accord de ce genre :

Erdogan, selon un de ses proches, a raconté qu’un envoyé saoudien, le prince Khaled bin Faisal, avait offert à la Turquie une série d’incitations à abandonner l’affaire, notamment une aide financière et des investissements pour aider l’économie turque en difficulté et la levée de l’embargo saoudien sur le Qatar, un allié de la Turquie. Erdogan a dit à ses associés qu’il avait rejeté avec colère l’offre car il la considérait comme « un pot-de-vin politique ».

La source actuelle d’argent d’Erdogan est le Qatar, qui est soumis à un blocus par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Mettre fin à la crise au Qatar n’est qu’une des conditions qu’il a posé aux Saoudiens. Il y a d’autres questions liées à la Syrie et plus généralement aux Frères musulmans.

Les turcs disposent encore de l’influence nécessaire pour « ajuster » tout accord et garantir que les Saoudiens s’y tiennent. Les enregistrements audio et vidéo du meurtre de Khashoggi n’ont pas été publiés. L’ancien ambassadeur britannique Craig Murray rapporte :

Je n’ai pas vu la vidéo de l’intérieur du consulat, mais on m’a montré des photos qui peuvent provenir d’une vidéo. La chose la plus importante à dire est qu’elles ne proviennent pas d’une caméra à position fixe et qu’elles semblent à première vue compatibles avec l’idée qu’elles aient été prises par un appareil amené par la victime. On ne me les a montrées que brièvement. Je n’ai pas écouté l’enregistrement audio.

Si les Saoudiens essayaient de tricher en s’éloignant de l’accord, les photos et les cassettes audio pourraient encore être publiées. Elles prouveraient que MbS lui-même était totalement impliqué dans l’assassinat.

Les États-Unis ont donné l’impulsion finale pour qu’une entente soit conclue. La bourreau en chef de la CIA, Gina Haspel, a été envoyée pour montrer ses instruments à Erdogan.  Murray écrit :

Le dossier de Haspel était très simple. Elle a pris avec elle des renseignements interceptés qui montrent une affaire de corruption massive au niveau des cadres supérieurs dans le projet du canal d’Istanbul. Elle a enfin suggéré qu’Erdogan pourrait ne pas trouver très bonne l’idée que les agences de renseignement commencent à rendre publiques toutes les informations qu’elles détiennent.

Je ne sais pas si Erdogan s’est retenu dans son discours d’hier à cause de l’intervention de Haspel.

Haspel a écouté la bande audio et l’a trouvée « convaincante ».

Plus de détails sur l’affaire :

Elijah J. Magnier @ejmalrai – 14:32 utc 24 oct 2018

Détails sur l’affaire #Khashoggi :

Nouvelles provenant de #Turquie disant que le président @RT_Erdogan est encore chaud sur l’affaire, présentant une large liste de demandes faites à #SaudiArabia et aux #USA, y compris une compensation pour la dévaluation de la livre turque et le soutien au #Qatar et #Frères musulmans en Égypte.

La Turquie a reçu Khaled al-Faysal 4 fois qui a accepté d’investir 30 milliards de dollars dans le pays. De plus, il y a des dizaines de Fethullah Gülen en #SaudiArabia dont #Riyadh devra « s’occuper » pour faire plaisir à #Ankara.

Le prince Turki bin Faisal, le parrain de Khashoggi qui était à la tête des services secrets saoudiens, affirme que la famille soutiendra MbS quoi qu’il arrive. Il affirme que les sujets en Arabie Saoudite soutiennent toujours leur suzerain. D’autres rapports en provenance d’Arabie saoudite me laissent douter de cette affirmation, même si la réintroduction d’une prime annuelle aux fonctionnaires saoudiens peut avoir calmé certaines personnes.

Aujourd’hui, l’affaire Khashoggi n’est plus en première page des médias américains. Les bombes envoyées hier, par des amateurs, à plusieurs politiciens démocrates ont détourné l’attention des infos sur un nouveau sujet. Serait-ce dû au hasard ?

Erdogan désire toujours que Mohammad bin Salman soit expulsé du trône. La pression américaine a peut-être empêché cela pour l’instant, mais MbS a été réduit à sa plus simple expression. Le Congrès convoquera Haspel à une réunion d’information d’où l’enregistrement audio pourrait fuir. Il continuera de faire pression sur le sujet et, espérons-le, mettra fin au soutien des États-Unis à l’horrible guerre contre le Yémen que les Saoudiens et les Émirats arabes unis mènent avec l’aide considérable des Britanniques et des États-Unis.

La Turquie aura également formulé des exigences à l’égard des États-Unis. Erdogan veut que les États-Unis mettent fin à la protection des forces kurdes en Syrie. Des rebelles soutenus par la Turquie ont récemment attaqué un avant-poste américain à Manbij. L’affrontement s’est rapidement terminé sans faire de victimes, mais il montre que le conflit couve toujours. Quelles carottes la Maison-Blanche lui a-t-elle offertes ?

Il est probable qu’il y ait eu accord et qu’il puisse même tenir. Nous devrons attendre d’autres fuites pour en savoir plus.

Mais les questions stratégiques mises en lumière dans l’affaire Khashoggi n’ont pas disparu. MbS n’est pas fiable et représente un danger pour les intérêts américains. Il voudra se venger des dégâts qu’Erdogan lui a causés. Il attendra la moindre occasion pour riposter.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone

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