L’abomination de la désolation envahit les lieux saints



2015-09-15_13h17_31-150x112Par le Saker – Le 28 septembre 2018 – Source The Saker

Introduction

La dernière initiative de l’Empire anglosioniste en Ukraine est vraiment exceptionnellement laide et dangereuse : il semble que le Patriarche de Constantinople va bientôt accorder sa pleine indépendance à la prétendue « Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev ». Cette initiative est ouvertement dirigée contre le plus grand corps ecclésiastique en Ukraine, « l’Église orthodoxe du Patriarcat de Moscou » et elle conduira presque certainement à des effusions de sang et à des massacres similaires à ceux qui ont eu lieu à Odessa le 2 mai 2014 : les Ukronazis utiliseront la force (police anti-émeute ou même escadrons de la mort nazis) pour s’emparer par la force des églises, cathédrales, monastères et autres bâtiments et propriétés appartenant actuellement au Patriarcat de Moscou.

Avertissement du Saker

Le texte qui suit a été écrit spécifiquement pour aider les chrétiens à comprendre le « vocabulaire détourné » utilisé dans la discussion sur les tentatives actuelles de l’Empire de prendre le contrôle sur les orthodoxes d’Ukraine. Pour les athées et agnostiques, ce débat n’offrira que du charabia déplacé et ennuyeux sans rapport avec les sphères élevées du positivisme éclairé moderne.

De nombreux articles ont été publiés sur ce développement, mais presque tous ont été écrits à partir d’un point de vue laïc, même s’ils sont le fait d’auteurs supposément chrétiens ou orthodoxes. L’élément paradoxal ici est que beaucoup de termes théologiques sont utilisés par des auteurs qui n’ont qu’une vague idée de ce qu’ils signifient vraiment. Je n’ai aucune envie d’entrer dans ce débat et d’utiliser le cadre de référence pseudo-spirituel utilisé par ces commentateurs. Ce que je me propose de faire aujourd’hui est beaucoup plus modeste : je veux expliquer la signification originelle, chrétienne, des termes qui sont (mal) utilisés au quotidien.

Le lecteur décidera ensuite comment les appliquer ou non à la crise actuelle.

Je commencerai par les éléments de base.

Les principes fondamentaux

Le terme « chrétien » peut signifier deux choses : premièrement, il peut désigner toute personne ou tout groupe qui se dit chrétien. Lorsqu’il est utilisé dans ce sens, le mot « chrétien » inclut non seulement toutes les dénominations chrétiennes principales, mais aussi l’Église de l’unification de Sun Myung Moon, les Mormons ou même les 17% de chrétiens britanniques qui ne croient pas à la résurrection du Christ. Fondamentalement, dans ce contexte, le terme n’a aucune signification objective et aujourd’hui, c’est de cette manière que le terme est utilisé la plupart du temps.

Il existe aussi un autre usage du mot « chrétien ». Cette seconde définition est fondée sur deux déclarations très anciennes. La première par saint Athanase d’Alexandrie (IVe siècle) et la seconde par saint Vincent de Lérins (Ve siècle). La première affirme que la foi chrétienne est la foi « que le Seigneur a donné, qui a été prêchée par les Apôtres et préservée par les Pères. C’est ici que l’Église a été fondée ; et si quelqu’un s’en écarte, il n’est plus ni ne doit plus être appelé chrétien ». La seconde dit que cette foi inclut seulement « ce qui a été cru partout, toujours et par tous ». Par ces définitions, le « christianisme » est une catégorie objective et non « libre pour tous ». Les mots essentiels qui l’affirment sont « si quelqu’un s’en écarte, il n’est plus ni ne doit être appelé chrétien ». Ces définitions anciennes excluent non seulement toute forme d’innovation dogmatique, elles impliquent aussi que les mots peuvent être utilisés ou non dans sens vraiment chrétien. Il n’y a pas de position intermédiaire ici. Cette croyance, partagée par tous les Pères de l’Église et tous les membres de l’ancienne Église chrétienne d’origine, a des implications énormes, en particulier pour ce qu’on appelle l’« ecclésiologie ».

Le terme « ecclésiologie » fait référence à la théologie chrétienne concernant l’Église. En d’autres termes, les enseignements du christianisme sur ce qu’est ou n’est pas l’Église (et ce qu’est ou n’est pas dans les limites de l’Église) sont un corpus objectif de croyances, de principes fondamentaux, de dogmes.

J’expliquerai ensuite la signification d’un certain nombre de concepts lorsqu’ils sont utilisés dans ce second contexte original et comparerai leur signification originelle avec la signification fondamentalement laïque et pseudo-chrétienne qui leur est souvent attribuée aujourd’hui.

Une chose encore, par souci de clarté : j’écrirai le mot église avec une minuscule lorsque qu’il s’agit d’un bâtiment (comme dans « l’église de Saint Paul au centre de la ville ») et avec une capitale lorsqu’il s’agit d’une juridiction ou d’un corps ecclésiastique (comme dans « l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev ») ; dans ce dernier cas, l’utilisation du mot « Église », avec une capitale, cela n’implique en aucune manière une reconnaissance de sa légitimité.

Canonique, canonicité et « reconnu »

La plupart des auteurs parlent aujourd’hui d’une Église « canonique » comme étant une Église « reconnue ». C’est une définition circulaire : une Église est canonique parce qu’elle est reconnue et elle est reconnue parce qu’elle est canonique. Cela soulève la question évidente : reconnue par qui ? La réponse est aussi évidente : reconnue par les autorités civiles/séculières d’un pays ou reconnue par d’autres Églises « canoniques ».

D’un point de vue vraiment chrétien, c’est totalement absurde. Depuis quand les pouvoirs civils/séculiers ont-ils l’expertise ou, d’ailleurs, l’autorité pour reconnaître ou non l’Église « A » comme « canonique » et l’Église « B » comme « non canonique » ? Et que signifie « canonique », de toute façon ?

« Canonique » signifie simplement « conforme aux canons de l’Église ». Quant au mot « canon », c’est simplement le mot grec pour « règle, mesure ». Pour le dire simplement, quelque chose est « canonique » lorsqu’il est en conformité avec les dogmes, règles, décrets, définitions et pratiques proclamés et adoptés par l’Église chrétienne, principalement par des décisions des divers conciles ecclésiaux reconnus (je n’entrerai pas sur la question de ce qui constitue un concile reconnu, cela prendrait trop de temps). On pourrait dire que quelque chose est canonique s’il est conforme aux règles de saint Athanase d’Alexandrie et de saint Vincent de Lérins citées plus haut. Il s’agit là encore d’une catégorie objective qui ne peut être tordue est transformée en quelque chose de libre pour tous. Penchons-nous sur un de ces canons et voyons ce qu’il dit. Le 31e canon apostolique décrète :

« Si un évêque se sert des dirigeants de ce monde et par leurs moyens obtient d’être évêque d’une église, qu’il soit privé et suspendu, ainsi que tous ceux qui sont en communion avec lui. »

Cette décision des apôtres eux-mêmes a été reconnue plus tard et confirmée au cours d’un Concile œcuménique. Le 3e canon du 7e Concile œcuménique déclare :

« Toute élection d’évêque ou de prêtre ou de diacre, faite sur la proposition de Seigneurs laïcs restera sans valeur, conformément au canon qui dit : ‘Si un évêque, se servant de l’appui de laïcs influents, obtient grâce à eux une église, qu’il soit déposé et qu’on excommunie tous ceux qui sont en communion avec lui’. »

Vous voyez le problème maintenant ? Comment peut-on considérer que les autorités civiles/laïques sont compétentes pour « reconnaître » telle ou telle Église comme « canonique » lorsque les canons des Apôtres et d’un Concile œcuménique (le concile de l’Église qui fait le plus autorité) disent expressément que si un évêque a obtenu sa « légitimité » (charge, rang, diocèse ou propriétés ecclésiastiques) d’autorités civiles/laïques il doit être déposé, ce qui le rend totalement illégitime ? D’un point de vue canonique, la reconnaissance des autorités civiles est non seulement dénuée de sens, elle peut, en fonction des circonstances exactes, constituer un motif de destitution !

En réalité, pendant la plus grande partie du XXe siècle, nous avons vu les autorités civiles/laïques de divers pays soutenir une Église contre une autre pour des motifs strictement politiques. C’était particulièrement le cas dans les pays communistes. Certains évêques étaient considérés comme « amis » et d’autres comme « ennemis du peuple ». Les autorités laïques ont alors simplement utilisé la force brute (habituellement sous la forme de la police anti-émeute) pour évincer les derniers et les remplacer par les premiers. Les évêques « amis » ont ensuite pris le contrôle de toutes les églises, monastères et autres propriétés et se sont déclarés légitimes et canoniques parce qu’ils étaient reconnus et parce qu’ils contrôlaient de nombreux bâtiments historiques très visibles.

Inutile de dire que ce genre de dépendance à l’égard de la bonne volonté et du soutien des autorités civiles/laïques a placé les Églises « amies » dans une totale subordination à l’État, exactement ce que les autorités civiles/laïques voulaient principalement. Le fait que, contrairement à la plupart des cas similaires avant le XXe siècle, les autorités civiles du XXe siècle n’aient pas été seulement laïques mais ouvertement, et de manière militante, athées, a créé un phénomène qualitativement nouveau : la soumission des évêques et des Églises à la volonté de régimes laïques anti-religieux. De nos jours, bien sûr, la plupart des gouvernements des pays nominalement orthodoxes ne se déclarent pas comme des athées militants, mais la relation subordonnée des « Églises d’État » officielles aux autorités laïques est restée inchangée (même si leur discours officiel a été adapté aux nouvelles réalités).

En un mot, tout ce bavardage sur les Églises « canoniques » et « reconnues » est un bobard intéressé utilisé par les Églises qui ont obtenu leur statut officiel par des moyens totalement non canoniques. Dans la grande majorité des cas, lorsque des individus ou des organisations utilisent le terme « canonique », ils ne veulent jamais dire « en conformité avec les canons de l’Église », tout simplement parce qu’ils sont à la fois ignorants et indifférents à ce que les enseignements chrétiens disent réellement sur ces questions.

Évêques, patriarches et aspirants « papes orientaux »

Qui est le plus grand chef orthodoxe, l’évêque ou peut-être l’archevêque, ou le métropolitain ou le patriarche ? Ce doit être le « Patriarche » œcuménique, n’est-ce pas ? Puisqu’il est « œcuménique », il doit être comme un « Pape orthodoxe ». Voyez son titre officiel : « Sa Très Sainteté Divine l’Archevêque de Constantinople, Nouvelle Rome, et Patriarche œcuménique ». Dieu est, par définition (seulement) « divin ». La Troisième Personne de la Trinité n’est (que) l’Esprit « saint ». Mais le Patriarche de Constantinople est son « plus divin et plus saint » ! Ouah – il doit sûrement être une sorte de super Pape orthodoxe !

Faux.

Il n’y a que quatre « rangs » principaux dans l’Église : fidèle, diacre, presbytre [responsable ou conseiller de communauté religieuse, qui a donné le mot « prêtre », NdT] et évêque. Tous les autres ne sont que des titres honorifiques et/ou administratifs : lecteur ; sous-diacre ; chantre ; acolyte ; archimandrite ; proto-diacre ; archidiacre ; proto-presbytre ; archiprêtre ; archimandrite ; archiprêtre mitré ; protosyngellos ; archevêque ; métropolite et patriarche. Le rang d’empereur, d’ailleurs, était associé à celui de sous-diacre et l’empereur recevait les Mystères (c’est-à-dire les « sacrements », l’Eucharistie) sur le côté de l’autel, avec les sous-diacres. Aucun de ces titres n’indique une différence qualitative ou une supériorité mystique.

L’Église, tout en étant essentiellement mystique (donc se référant au « Corps théandrique du Christ ») comporte également un aspect administratif et organisationnel qui doit exister dans l’environnement social et politique de la société dans laquelle elle opère. Par exemple, alors qu’en termes mystiques tous les évêques sont égaux, il a été évident depuis le début qu’être l’évêque de la cité impériale (que ce soit Rome ou Constantinople) était une charge beaucoup plus importante qu’être l’évêque d’un diocèse isolé et peu peuplé. De plus, alors que toutes les décisions importantes étaient prises dans des conciles (locaux ou œcuméniques), les décisions quotidiennes pouvaient être prises par des évêques spécialement investis de cette autorité (parfois assistés par quelques autres évêques). Mais, hormis pour des raisons honorifiques et administratives, tous les évêques sont fondamentalement égaux, investis du même charisme (don) et de la même autorité. L’expression latine primus inter pares, ou « premier parmi ses pairs » exprime cette réalité.

Cela s’applique aussi pleine à la « Très Divine Sainteté l’Archevêque de Constantinople, Nouvelle Rome, et Patriarche œcuménique », qui avait une primauté honorifique simplement parce qu’il était l’évêque dirigeant de la capitale de l’Empire, exactement comme l’évêque dirigeant de Rome (le « pape » dans la terminologie latine) l’avait avant lui. Je n’entrerai pas dans l’histoire de comment le (minuscule) Patriarcat de Constantinople a utilisé son ancienne position pour proclamer un genre de juridiction universelle, cela prendrait trop de temps, mais je noterais simplement que deux événements survenus au XVe siècle ont irrévocablement rendues nulles toutes les prétentions à la primauté (même honorifique) par le Patriarche de Constantinople : la fausse Union de Florence en 1439 et la chute de Constantinople devant les Ottomans en 1453.

Aparté

L’Église orthodoxe russe, soit dit en passant, pouvait se targuer d’être la « Troisième Rome » succédant à la Première et à la Seconde Rome, puisque la première tomba aux mains des barbares en 476 et tomba en apostasie en 1054 tandis que la Seconde Rome tomba en apostasie en 1438 et aux mains des Ottomans en 1453. Je n’entrerai pas sur le fond de cet argument, mais je relèverais seulement que cela rend absolument furieux le Patriarcat de Constantinople. Le fait que l’Église orthodoxe russe soit de loin la plus grande de toutes et que Moscou et Saint-Pétersbourg aient été les capitales du dernier empire orthodoxe ne fait que créer des tensions, et même une hostilité totale, entre le Patriarcat de Constantinople et celui de Moscou. Tout ceci est très important dans le cas de la lutte politique actuelle sur l’Ukraine et sur le rôle du Patriarche de Constantinople dans cette lutte.

Malgré tous ces arguments historiques et politiques, la réalité est que l’Église chrétienne a toujours été de nature conciliaire : C’est-à-dire que les conciles (locaux ou majeurs) étaient à la fois le mode et l’unique autorité par lesquels les décisions importantes pouvaient être prises, ce n’était jamais un seul individu. L’exemple du Concile apostolique de Jérusalem (vers 50 après J.-C) a été le premier à donner cet exemple et il a toujours été suivi par les fidèles de l’ecclésiologie chrétienne originelle depuis lors.

Le « droit » pour chaque pays ou nation d’avoir sa propre Église

C’est l’une des affirmations les plus étranges et pourtant aussi les plus fréquentes de presque tous les commentateurs : qu’il existe une sorte de « droit » pour chaque nation ou pays d’avoir sa propre Église indépendante. Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité !

En réalité, le christianisme (comme l’islam, d’ailleurs) rejette absolument toute catégorie fondée sur l’ethnicité, la race, la tribu ou quoi que ce soit de semblable. Voici quelques citations du Nouveau Testament qui le prouvent :

  • Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. (Gal 3:28)
  • Car, en Jésus-Christ, ni la circoncision ni l’incirconcision n’a de valeur, mais la foi qui est agissante par la charité. (Gal 5:6)
  • La circoncision n’est rien, et l’incirconcision n’est rien, mais l’observation des commandements de Dieu est tout. (1 Cor 7:19)
  • Car nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps, juifs ou gentils, esclaves ou libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. (1 Cor; 12 :13)

Mais la déclaration la plus claire et la plus définitive sur cette question est celle-ci :

Ne vous mentez pas les uns aux autres, car vous vous êtes dépouillés du vieil homme et de ses manières d’agir ; vous avez revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle pour parvenir à la vraie connaissance, conformément à l’image de celui qui l’a créé. Il n’y a plus juif ni non-juif, ni circoncis ni incirconcis, ni étranger ni sauvage, ni esclave ni homme libre, mais Christ est tout et en tous (Col 3:9-11).

Ainsi les catégories nationale/raciale/ethnique/tribale sont des mensonges (contrairement à l’interprétation raciste des Écritures par le pharisaïsme rabbinique, c’est-à-dire le « judaïsme orthodoxe » moderne !), devenir chrétien renouvelle vos connaissances (c’est-à-dire vous fait adopter de nouvelles catégories) et en Christ tous sont un (plus de national, racial, ethnique, tribal pour les vrais chrétiens).

Cet enseignement est toujours resté au cœur de la véritable anthropologie dogmatique chrétienne (c’est-à-dire les enseignements sur la nature de l’homme). En fait, ce qu’on appelle aujourd’hui le « phylétisme » ou l’« ethno-phylétisme » (le nationalisme ou le tribalisme) a été condamné comme hérésie par un concile panorthodoxe en 1872 (ce concile s’est tenu à Constantinople, quelle ironie !). Ceux qui s’intéressent au contexte historique de ce concile peuvent télécharger un fichier PDF sur ce sujet ici.

Aparté

Il est ironique – et triste – que tellement de ceux qui aujourd’hui s’engagent dans la « chasse au juif » en mettant des parenthèses stupides autour des (((noms))) et qui se qualifient eux-mêmes de chrétiens orthodoxes soient totalement incapables de réaliser deux choses : d’abord qu’ils utilisent des catégories que l’Église a dénoncées comme hérésies et ensuite qu’ils utilisent exactement les mêmes catégories que beaucoup de juifs (orthodoxes) qu’ils dénoncent. Franchement, c’est assez pathétique et cela ne fait que révéler le niveau dramatiquement bas de l’éducation spirituelle de ceux qui se prétendent « défenseurs de la foi chrétienne » et qui, en réalité, n’ont même pas les notions de base les plus vagues sur la foi qu’ils prétendent défendre.

La vérité est que les catégories modernes nationales, raciales, ethniques, tribales ne sont que des catégories païennes et que ceux qui les utilisent aujourd’hui, y compris des prêtres et des évêques, ne font que répondre aux besoins du Zeitgeist païen post-chrétien pour des raisons politiques mesquines. En outre, il est également vrai que depuis la chute du dernier Empire orthodoxe en 1917, l’Église orthodoxe traverse une immense crise causée principalement par l’infiltration des Églises orthodoxes grecques par des francs-maçons (voir ici pour quelques informations générales) et par des agents du régime bolchevique en Russie (voir ici et ici pour quelques informations générales). Les effets combinés de ces trois phénomènes (Révolution de 1917, infiltration maçonnique et bolchevique) ont provoqué une crise profonde dont la plupart des Églises orthodoxes ne sont pas encore remises et qui fait souvent d’elles des pions dans les batailles politiques (j’ai analysé ce problème en détail dans mon article « Why Orthodox Churches Are Still Used as Pawns in Political Games » – Pourquoi les Églises orthodoxes sont encore utilisées comme pions dans les jeux politiques).

Quant aux chrétiens orthodoxes de base, ils sont parfois amenés à parvenir aux mauvaises conclusions à ce propos parce qu’ils croient (à raison) que contrairement à la papauté latine, l’Église orthodoxe n’a pas un super patron unique et une seule administration. Ils croient aussi (correctement) que, contrairement à la papauté latine du passé, l’Église orthodoxe n’a pas une seule langue du culte « officielle » et qu’en fait, la pratique rituelle orthodoxe est assez diverse et inclut souvent des influences culturelles locales. Ces croyances correctes les amènent cependant à la conclusion totalement fausse que chaque nation orthodoxe a une sorte de « droit » à avoir sa propre Église orthodoxe (« autocéphale »).

Le fait qu’une grande partie du clergé « officiel » et « reconnu » (c’est-à-dire « approuvé par l’État », voir plus haut) des Églises orthodoxes soit plus qu’heureuse de les conforter dans ces croyances n’aide pas.

Quant aux dirigeants laïcs de l’État, ils sont plus qu’heureux d’avoir une Église orthodoxe qui est à la fois 1) totalement docile et 2) nationaliste.

Ce qui se perd dans toute cette folie, c’est la vérité orthodoxe, la vision du véritable christianisme originel et l’« Esprit des Pères » (ou phronema en grec) qui l’exprime le mieux. Il n’est pas étonnant non plus que les hiérarques orthodoxes les plus corrompues, comme le Patriarche de Constantinople, soient plus qu’heureux de prétendre que l’ecclésiologie orthodoxe leur accorde en quelque sorte l’autorité d’une sorte de « pape oriental ».

C’est vraiment l’« abomination de la désolation établie en lieu saint » (Matt 24:15 & Daniel 9:27) !

Les chrétiens orthodoxes qui succombent aujourd’hui à l’hérésie de l’ethno-phylétisme feraient bien de se rappeler qu’en plus de la signification « géographique », dirons-nous, des paroles du Christ (en référence à Jérusalem, bien sûr, mais aussi Rome, Constantinople, Moscou, Kiev et beaucoup d’autres villes), il y a également une autre signification spirituelle bien expliquée par saint Maxime le Confesseur :

« Les démons prennent comme base les passions ancrées dans notre âme pour faire naître en nous une pensée passionnée. Puis, en faisant la guerre à l’esprit à travers elles, ils le forcent à poursuivre et à consentir au péché. Une fois qu’il est vaincu, ils le poussent à un péché de pensée, et lorsque c’est accompli, ils l’amènent enfin comme un prisonnier à commettre l’acte. Après cela, longuement, les démons qui ont dévasté l’âme par des pensées se retirent avec elles. Il ne reste dans l’esprit que l’idole du péché et le Seigneur dit : ‘Lorsque vous voyez l’abomination de la désolation installée dans le lieu saint, que celui qui lit comprenne. L’esprit de l’homme est un lieu saint et un temple de Dieu dans lequel les démons ont dévasté l’âme par des pensées passionnées et installé l’idole du péché. Quiconque a lu Joseph ne peut douter, je pense, que ces choses se soient déjà produites dans l’histoire, bien que certains disent que ces choses arriveront aussi lorsque l’Antéchrist viendra.’ » (Seconde centurie sur l’amour, #31).

Nous avons ici sans doute l’un des plus grands théologiens et philosophes chrétiens de tous les temps, qui nous rappelle que l’« abomination de la désolation » se produira aussi dans les esprits de ceux qui, poursuivis par des démons et des passions, s’éloignent de « ce qui a été cru partout, toujours et par tous » et, au contraire, laissent leurs esprits et leurs âmes se faire polluer par le non-sens post-chrétien des nationalismes modernes. Le nationalisme, bien sûr, est non seulement une idole moderne, mais aussi une forme assez grossière de culte de soi-même, encore une autre pratique vraiment satanique !

Conclusion : de quoi s’agit-il et que pouvons-nous faire à ce propos

La première triste réalité est que rien de tout cela ne concerne le christianisme, l’orthodoxie, l’ecclésiologie ou quoi que ce soit d’autre lié de près ou de loin à toute notion de vérité.

Il s’agit de bâtiments ; d’immobilier ; de pouvoir politique ; d’argent ; d’influence ; d’endoctrinement et de toutes les autres « valeurs » essentielles de notre époque.

La deuxième triste réalité est que des gens innocents et bien intentionnés vont souffrir et même mourir des conséquences directes des actions immorales de quelques individus assoiffés de pouvoir.

La vérité, c’est qu’une guerre civile remplie de religion semble avoir déjà été déclenchée et qu’il n’y ait rien que nous, simples chrétiens de base, puissions faire, du moins pas en termes séculiers. En termes spirituels, nous pouvons faire deux choses : nous pouvons, bien sûr, prier et nous pouvons refuser de participer à un débat dans lequel chaque concept qui nous est cher est mal utilisé, distordu et perverti. Pour cela, nous devons comprendre que l’abomination qui s’instaure devant nos yeux n’a pas surgi ex nihilo et qu’il y a des racines spirituelles profondes à l’adoption presque universelle de catégories non chrétiennes par la plupart des chrétiens, mais pas tous. Le Christ lui-même nous a rappelé que « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait » (Jean 15:19). Nous savons aussi que la sagesse de ce monde est « folie avec Dieu » (1 Cor 3:19) et qu’elle « n’est pas celle qui vient d’en haut, mais elle est terrestre, charnelle, diabolique » (Jacques 3:15). Alors comment pouvons-nous encore agir en utilisant des catégories ou des interprétations mondaines de concepts patristiques ?

Ce que nous pouvons et devons faire est de suivre le célèbre appel d’Alexandre Soljenitsyne et « vivre sans mentir » même si la majorité de nos contemporains, y compris de nombreux chrétiens (mêmes ecclésiastiques !) ont abandonné la notion même de « vérité ». Pour reprendre les mots de Soljenitsyne, « Alors, dans notre frilosité, que chacun de nous fasse un choix : soit consciemment, pour rester un serviteur du mensonge – bien sûr, ce n’est pas par inclination, mais pour nourrir sa famille qu’on élève ses enfants dans l’esprit du mensonge – soit pour s’en détacher et devenir une personne honnête digne de respect tant pour ses enfants que pour ses contemporains. » 

Après tout, si nous sommes vraiment chrétiens, nous pouvons nous rappeler la promesse du Christ : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice car ils seront rassasiés » (Matt 5:6) et, espérons-le, cela nous donnera le courage de « demeurer ferme et de retenir les enseignements que nous avons appris, par la parole ou par notre lettre » (2 Thess 2:15).

The Saker

Cette analyse a été écrite pour Unz Review

Traduit par Diane, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

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