Par Ann Wright – Le 4 juillet 2016 – Center for Citizen Initiatives
Le texte suivant a été écrit par Ann Wright, une participante au voyage en Russie organisé par la CCI, sur la base de ses expériences et rencontres pendant ce voyage.
Je reviens de deux semaines passées à visiter des villes dans quatre régions de Russie. La question qu’on me posait, encore et encore, était : «Pourquoi l’Amérique nous hait-elle ? Pourquoi nous diabolisez-vous ?» La plupart ajoutait : « J’aime le peuple américain et je pense que VOUS nous aimez individuellement, mais pourquoi le gouvernement américain déteste-t-il tant notre gouvernement ?»
Cet article est écrit à partir d’une sélection des commentaires et des questions qui ont été posées à notre délégation de 20 personnes et à moi-même, individuellement. Je ne cherche pas à défendre un point de vue, mais à offrir un aperçu de la pensée de la plupart des personnes que nous avons rencontrées au cours de réunions et dans la rue.
Ces questions, commentaires ou points de vue ne racontent pas l’histoire complète, mais, j’espère, donnent une idée du désir du Russe de la rue que son pays et ses citoyens soient respectés en tant que nation souveraine avec une longue histoire, et qu’ils ne soient pas diabolisés comme un État hors la loi ou une nation mauvaise. La Russie a ses défauts et a surement à s’améliorer dans de nombreux domaines, comme toute nation, y compris bien sûr les États-Unis.
La nouvelle Russie vous ressemble – Entreprises privées, élections, téléphones portables, voitures, embouteillages…
Un journaliste d’âge moyen de la ville de Krasnodar a commenté : «Les États-Unis ont travaillé dur pour provoquer l’effondrement de l’Union soviétique, et ils ont réussi. Vous vouliez remodeler la Russie à l’image des États-Unis – un pays démocratique, capitaliste, dans lequel vos entreprises pourraient faire de l’argent – et vous l’avez fait.»
«Vingt-cinq ans plus tard, nous sommes une nouvelle nation très différente de l’Union soviétique. La Fédération de Russie a créé des lois qui ont permis à une grande classe d’affaires privée d’émerger. Nos villes ressemblent maintenant à vos villes. Nous avons Burger King, McDonalds, Subway, Starbucks et des centres commerciaux remplis de boutiques totalement russes accessibles à la classe moyenne. Nous avons des chaînes de magasins de marchandises et de nourriture, semblables à Wal-Mart et Target. Nous avons des magasins exclusifs avec des vêtements haut de gamme et des produits cosmétiques pour les plus riches. Nous roulons dans des voitures neuves et moins neuves, comme vous le faites. Nous avons d’énormes embouteillages aux heures de pointe dans nos villes, comme vous aussi. Nous avons de grands réseaux de métros bon marché et sûrs dans toutes nos grandes villes, comme vous en avez aussi. Lorsque vous voyagez à travers notre pays, il ressemble au vôtre, avec des forêts, des champs agricoles, des rivières et des lacs – seulement en plus grand, avec beaucoup plus de fuseaux horaires.»
«La plupart des gens dans les bus et dans le métro auscultent leurs téléphones portables pour y surfer sur Internet, comme vous le faites. Nous avons une population jeune et intelligente qui comprend l’informatique et dont la plus grande parle plusieurs langues.»
«Vous avez envoyé vos experts en privatisation, en finance internationale et en marchés boursiers. Vous nous avez demandé de vendre nos énormes industries étatiques au secteur privé à des prix ridiculement bas, créant ainsi des oligarques multi-milliardaires qui sont à bien des égards le reflet des oligarques états-uniens. Et vous avez fait de l’argent en Russie, grâce à cette privatisation. Certains des oligarques sont en prison pour violation de nos lois, tout comme le sont certains des vôtres.»
«Vous nous avez envoyé des experts en matière électorale. Depuis plus de 25 ans, nous avons organisé des élections. Et nous avons choisi certains politiciens qui ne vous plaisent pas et certains que nous, en tant qu’individus, n’aimons pas non plus. Nous avons des dynasties politiques, comme vous. Nous ne disposons pas d’un gouvernement parfait, ni de représentants du gouvernement parfaits – ce qui est aussi ce que nous observons dans le gouvernement états-unien et ses fonctionnaires. Nous subissons magouilles et corruption de la part du gouvernement ou d’autres, comme chez vous. Certains de nos hommes politiques sont en prison pour avoir violé nos lois, tout comme certains de vos hommes politiques sont en prison pour avoir violé vos lois.»
«Et nous avons aussi des pauvres, comme vous. Nous avons des villages, des villes et des petites villes qui subissent l’exode rural, et des personnes se déplaçant dans l’espoir de trouver un emploi, comme chez vous.»
«Notre classe moyenne se déplace à travers le monde, comme vous le faites. En fait, en tant que nation du Pacifique, tout comme les États-Unis, nous apportons tant d’argent avec nous lors de nos voyages touristiques que vos territoires insulaires du Pacifique, Guam et le Commonwealth des Mariannes du Nord ont négocié avec le gouvernement fédéral américain pour permettre aux touristes russes d’entrer dans ces deux territoires américains pendant 45 jours sans visa.»
«Nous avons un programme scientifique et spatial solide et nous sommes un partenaire clé de la station spatiale internationale. Nous avons envoyé le premier satellite et les premiers humains dans l’espace. Nos fusées emmènent encore des astronautes vers la station spatiale alors que les programmes de la NASA ont été réduits.»
Des exercices militaires de l’OTAN dangereux et menaçant nos frontières
«Vous avez vos alliés et nous avons nos alliés. Vous nous avez dit lors de la dissolution de l’Union soviétique que vous n’enrôleriez pas les pays du bloc de l’Est dans l’OTAN, mais vous l’avez fait quand même. Maintenant, vous placez des batteries de missiles le long de notre frontière et vous menez de grands exercices militaires avec des noms étranges tels qu’Anaconda, le serpent étrangleur, le long de nos frontières.»
«Vous dites que la Russie pourrait envahir les pays voisins alors que vous y pratiquez des manœuvres militaires dangereuses. Nous n’avons pas renforcé nos forces militaires le long de ces frontières avant que vous n’ayez commencé ces grandes manœuvres. Vous avez installé des batteries de missiles défensifs dans les pays à nos frontières, en disant d’abord qu’ils servaient à protéger des missiles iraniens et maintenant vous dites que c’est la Russie l’agresseur et vos missiles nous visent.»
«Pour notre propre sécurité nationale, nous devons répondre, mais vous nous diabolisez encore pour une réponse que vous auriez eue aussi si la Russie organisait des manœuvres militaires le long de la côte de l’Alaska ou à proximité des îles Hawaï ou du Mexique sur votre frontière sud ou du Canada sur votre frontière nord ».
La Syrie
«Nous avons des alliés au Moyen-Orient, y compris la Syrie. Pendant des décennies, nous avons eu des liens militaires avec la Syrie et le seul port russe / soviétique en Méditerranée est en Syrie. Pourquoi est-il surprenant que nous aidions à défendre notre allié, lorsque la politique déclarée de votre pays est pour un changement de régime chez lui ? Et vous avez dépensé des centaines de millions de dollars pour parvenir à un changement de régime syrien.»
«Ceci dit, la Russie a sauvé les États-Unis d’une énorme erreur politique et militaire en 2013, lorsque ceux-ci étaient déterminés à attaquer le gouvernement syrien pour avoir franchi la ligne rouge lors d’une attaque chimique horrible qui a tué tragiquement des centaines de personnes et a été, à tort, attribuée au gouvernement Assad. Nous vous avons fourni les preuves que cette attaque ne venait pas du gouvernement Assad et nous avons négocié un accord avec le gouvernement syrien qui préconisait de livrer cet arsenal d’armes chimiques à la communauté internationale pour le détruire.»
«En fin de compte, la Russie s’est arrangée pour rassembler les produits chimiques à détruire et vous avez fourni un navire américain spécialement conçu qui a effectué cette destruction. Sans l’intervention russe, une attaque directe des États-Unis sur le gouvernement syrien pour l’allégation erronée d’utilisation d’armes chimiques aurait entraîné encore plus de chaos, de destruction et de déstabilisation en Syrie.»
«La Russie a proposé d’accueillir des pourparlers avec le gouvernement Assad au sujet du partage du pouvoir avec des éléments de l’opposition. Nous, comme vous, ne voulons pas voir la prise de contrôle de la Syrie par un groupe radical tel qu’État islamique, qui utilisera la terre de la Syrie pour continuer sa mission de déstabilisation de la région. Vos politiques et le financement du changement de régime en Irak, en Afghanistan, au Yémen, en Libye et en Syrie ont créé une instabilité et le chaos partout dans le monde.»
Le Coup d’État en Ukraine et la réunification de la Crimée
«Vous dites que la Crimée a été annexée par la Russie alors que nous disons que la Crimée a rejoint la Russie. Nous pensons que les États-Unis ont parrainé le renversement du gouvernement ukrainien élu qui avait choisi d’accepter un prêt de la Russie plutôt que de l’UE et du FMI. Nous croyons que par ce coup d’État le gouvernement en résultant a été illégalement mis au pouvoir par votre programme de changement de régime dans lequel vous avez investi des millions de dollars. Nous savons que votre secrétaire d’État adjointe aux Affaires européennes, Victoria Nuland, a décrit, au cours d’un appel téléphonique que nos services de renseignement ont enregistré, le dirigeant du coup d’État pro-occidental / OTAN comme «notre homme, Yats».
«En réponse à ce violent renversement du gouvernement élu de l’Ukraine avec une élection présidentielle prévue dans l’année, les Russes en Ukraine, en particulier dans la partie orientale de l’Ukraine et ceux en Crimée, ont eu très peur de la violence antirusse qui a été déclenchée par les forces néo-fascistes qui formaient la milice armée du coup d’État.»
«Avec la prise de contrôle du gouvernement ukrainien, les Russes ethniques qui composent la majorité de la population de Crimée ont participé à un référendum où plus de 95 % de la population a voté, 80 % ayant choisi de s’unir avec la Fédération de Russie plutôt que de rester avec l’Ukraine. Bien sûr, certains citoyens de Crimée étaient en désaccord et sont partis vivre en Ukraine.»
«Nous nous demandons si les citoyens des États-Unis se rendent compte que la Flotte du Sud de l’armée de la Fédération de Russie se trouvait dans les ports de la mer Noire en Crimée. À la lumière des évènements violents en Ukraine, notre gouvernement a estimé qu’il était essentiel de veiller à l’accès à ces ports. Sur la base de la sécurité nationale russe, la Douma russe (Parlement) a voté pour accepter les résultats du référendum et a annexé la Crimée, qui est devenue une république de la Fédération de Russie et on a donné le statut de ville fédérale au grand port de Sébastopol.»
Sanctions contre la Crimée et la Russie — Double standard
«Alors que les gouvernements américain et européens ont accepté et applaudi au renversement violent du gouvernement élu ukrainien, à la fois les nations américaines et européennes n’ont pas du tout accepté le référendum non violent tenu par les habitants de Crimée et ont frappé celle-ci de toutes sortes de sanctions qui ont réduit le tourisme international, la principale industrie de Crimée, à presque rien. Dans le passé, en Crimée, nous recevions plus de 260 navires de croisière remplis de passagers internationaux en provenance de Turquie, de Grèce, d’Italie, de France, d’Espagne et d’autres parties de l’Europe. Maintenant, à cause des sanctions, nous n’avons pratiquement plus de touristes européens. Vous êtes le premier groupe d’Américains que nous avons vu en plus d’un an. Maintenant, notre commerce ne fonctionne plus que grâce aux autres citoyens russes.»
«Le États-Unis et l’Union européenne ont encore appliqué des sanctions contre la Russie. Le rouble russe a été dévalué de près de 50 pour cent, un peu à cause de la crise du prix du pétrole dans le monde entier, mais aussi à cause des sanctions que la communauté internationale a mises en place contre la Russie à cause de la réunification avec la Crimée.»
«Nous pensons que vous espérez que les sanctions nous heurteront jusqu’à ce que nous renversions notre propre gouvernement, comme vous l’avez fait avec l’Irak, la Corée du Nord et l’Iran, pour que ces peuples renversent leur gouvernement.»
«Mais les sanctions ont l’effet inverse de ce que vous vouliez. Même si nous savons que les sanctions blessent les gens ordinaires et que si elles sont exercées sur une population pendant une longue période elles peuvent tuer par malnutrition et manque de médicaments, les sanctions nous ont rendus plus forts.»
«Maintenant, nous ne pouvons plus nous procurer vos fromages et vos vins, mais nous sommes en train de développer et de réaménager nos propres industries et devenons ainsi plus autonomes. Nous voyons maintenant comment le mantra du commerce et de la mondialisation des États-Unis peut et sera utilisé contre les pays qui décident de ne pas marcher droit selon l’agenda politique et militaire américain dans le monde entier. Si votre pays décide de ne pas obéir aux États-Unis, vous serez coupé des marchés mondiaux dont les accords commerciaux vous ont rendu dépendants.»
«Nous nous demandons : pourquoi ce double standard ? Pourquoi les États membres des Nations Unies n’ont-ils pas imposé de sanctions contre les États-Unis alors que vous avez envahi et occupé des pays et tué des centaines de milliers de personnes en Irak, en Afghanistan, en Libye, au Yémen et en Syrie? »
«Pourquoi les États-Unis ne sont-ils pas tenus pour responsables de l’enlèvement, de l’emprisonnement illégal et de la torture des 800 personnes qui ont été détenues dans ce goulag appelé Guantanamo ?»
L’élimination des armes nucléaires
«Nous voulons l’élimination des armes nucléaires. Contrairement à vous, nous n’avons jamais utilisé une arme nucléaire contre des gens. Même si l’on considère les armes nucléaires comme un instrument défensif, elles devraient être éliminées parce qu’une erreur politique ou militaire aurait des conséquences dévastatrices pour la planète entière.»
Nous connaissons le prix de la guerre
«Nous connaissons les coûts terribles de la guerre. Nos grands-parents nous rappellent les 27 millions de citoyens soviétiques tués pendant la Seconde Guerre mondiale, nos grands-parents nous parlent de la guerre soviétique en Afghanistan dans les années 1980 et des difficultés résultant de la guerre froide.»
«Nous ne comprenons pas pourquoi l’Occident continue à nous diffamer et nous diaboliser alors que nous sommes tellement comme vous. Nous aussi, nous sommes préoccupés par les menaces contre notre sécurité nationale et notre gouvernement répond à bien des égards comme le vôtre. Nous ne voulons pas d’une autre guerre froide, une guerre dans laquelle tout le monde va souffrir du froid, ou pire, une guerre qui va tuer des centaines de milliers, voire des millions de personnes.»
Nous voulons un avenir pacifique
«Nous les Russes sommes fiers de notre longue histoire et de notre patrimoine.»
«Nous voulons un avenir prometteur pour nous et nos familles… et pour les vôtres.»
«Nous voulons vivre dans un monde pacifique.»
«Nous voulons vivre en paix.»
Ann Wright est une colonel à la retraite de l’armée américaine, connue pour son opposition déclarée à la guerre en Irak. Elle a reçu le Prix du Département d’État pour héroïsme en 1997, après avoir aidé à évacuer plusieurs milliers de personnes pendant la guerre civile en Sierra Leone. Elle est surtout connue pour avoir été l’une des trois fonctionnaires du Département d’État à démissionner publiquement en signe de protestation directe contre l’invasion de l’Irak en 2003.
Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.
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