La voie du ciel et les relations russo-chinoises


Par Andreï Deviatov − Le 25 mars 2019 − Source devyatov.su

Путь неба и Российско-Китайские отношения

Académie de la gestion du développement – Institut de politique céleste

À l’occasion du 70ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques (1949-2019), et du 50ème anniversaire du conflit armé frontalier (1969).

Depuis l’époque du stratège Sun Tzu (孫子 – VI siècle avant J.-C.), la politique chinoise est le « chemin interminable de la ruse ».

Par conséquent, la compréhension du parcours complexe des soixante-dix dernières années des relations soviéto-chinoises et depuis 1992, des relations russo-chinoises exige une approche sincère, où la vérité amère mettra en lumière le fait que la diplomatie de la RPC en 2015 les a défini comme étant « la meilleure période de leur existence », et en 2019 même « de relations modèles » entre grandes puissances.


La clé pour comprendre la stratégie globale de la République Populaire de Chine est le schéma du tenseur de forces décrit par Deng Xiaoping dans son discours prononcé en 1974 aux Nations Unies.

Le discours s’intitulait :

La théorie du Président Mao Zedong de division du monde en trois parties, grandissime contribution au trésor du marxisme-léninisme.

Si nous supprimons la discussion sur les Trois Mondes (三个世界的理论), le modèle de travail de la politique étrangère chinoise apparaîtra : « Nous, nos ennemis et nos alliés ».

La méthodologie du marxisme-léninisme est le matérialisme dialectique. Il s’agit d’une lutte entre deux opposés avec la logique biblique de « Celui qui n’est pas avec moi est contre moi » (Matt. 12:30), et la loi d’exclusion du troisième : « Le troisième est superflu. Il n’y a pas de troisième ».

La méthodologie de la théorie de Mao Zedong n’est pas la lutte des contraires, mais la Loi des Transformations en conjonction avec les trois forces, connue des Chinois avant le déluge. Car Mao était avant tout un Chinois à l’éducation traditionnelle, et seulement après un marxiste.

L’essence de la Loi est que si deux forces sont actives et qu’une est passive, le faisceau se tournera alors vers la force passive. Et si une force est active et que deux sont passives, la force active en bénéficiera.

Il existe un modèle physique de cette loi avec des ampoules et des interrupteurs. Une formulation mathématique est donnée par l’algèbre booléenne: (0 + 0) + 1 = 1 ; (1 + 1) + 0 = 0.

Ainsi, la stratégie globale de la Chine, dont l’objectif est de faire de la RPC une « puissance mondiale du premier ordre », exigeait la création d’un triangle de forces. Et pour cela, la Chine a dû se dissocier de l’URSS afin d’obtenir « une indépendance et une auto-suffisance totales en s’appuyant sur ses propres forces »,  (自力更生).

L’indépendance conceptuelle vis-à-vis du « révisionnisme soviétique » de Khrouchtchev-Brezhnev (苏修) a été fournie par les « idées de Mao Zedong » (毛泽东思想).

Ce fut la « Grande guerre des idées entre la Chine et l’URSS » qui débuta en 1956, et qui aboutit au schisme soviéto-chinois complet : le conflit sanglant de 1969, initié par Mao, autour de l’île de Damansk (珍宝岛) sur le fleuve frontalier de l’Oussouri, et autour du lac Zhalanashköl au Kazakhstan.

La Chine, avec le conceptualisme du « maoïsme », devint ainsi un sujet du « Grand Jeu » dans le triangle des forces USA-Chine-URSS. Où les deux « superpuissances » (impérialisme et social-impérialisme) combattaient pendant la guerre froide. Tandis que la République Populaire de Chine, à l’instar de la parabole du « singe sage », depuis la montagne dans sa passivité, observait l’« affrontement des deux tigres ».

La guerre froide recrudescente prit fin en 1989, avec la capitulation de l’URSS. Et la « peau du tigre soviétique », les républiques d’Asie Centrale, revint à la Chine. Premièrement (1996) dans le cadre des Cinq de Shanghai, puis sous la forme de la Ceinture économique de la Nouvelle route de la soie.

La théorie de Deng Xiaoping, comme prolongement du tenseur des trois forces du maoïsme a permis à la Chine de rivaliser avec les États-Unis.

En 2019, le tenseur des trois forces s’est finalement transformé en faveur de la Chine. À présent, les deux superpuissances qui s’affrontent dans la guerre hybride sur les fronts monétaire et commercial sont la République Populaire de Chine et les États-Unis. Tandis que la Russie a l’opportunité de se positionner en troisième force passive et d’attendre sagement que, selon la Loi des Transformations, le tenseur de forces finisse par se retourner en sa faveur. Cependant, pour que cela se produise, la Russie doit se dissocier de l’Occident, et devenir un sujet au conceptualisme totalement indépendant.

En d’autres termes, pour gagner au « Grand Jeu », il suffit à la Nouvelle Russie de répéter l’expérience réussie de Mao Zedong.

À savoir : adopter un système de vues inédit sur la politique mondiale, et provoquer une scission militaire avec l’Occident. La nouvelle disposition du tenseur des trois forces ayant maintenant lieu avec une confrontation active entre les États-Unis et la Chine. La rupture entre la Russie et l’Occident a commencé en 2014 après le retour de la République de Crimée au bercail de la Fédération de Russie, avec l’introduction de sanctions américaines et européennes contre la Fédération de Russie, et les contre-sanctions correspondantes.

L’aggravation des relations a détérioré la situation dans le Grand Moyen-Orient autour de la Syrie, de la Turquie, de l’Iran et d’Israël. Et la raison de la confrontation militaire est fournie par l’Ukraine, et par l’attaque prévue de terroristes Afghans contre les républiques d’Asie centrale.

Un tel système de vues développé en Russie, est capable de fournir à la Fédération de Russie une qualité de sujet dans le « Grand Jeu », il s’agit de la doctrine originale des temps, nommée « politique céleste ».

La politique céleste indique à la Russie un système de dépassement global des États-Unis : « Ensemble avec la Chine, sur les épaules de la Chine, et aux dépens de la Chine ».

Ensemble avec la Chine, parce que la Fédération de Russie et la République Populaire de Chine se trouvent dos à dos, en tant qu’arrière stratégique l’une de l’autre.

Sur les épaules de la Chine car, face au Pacifique, la Chine est à l’offensive et repousse les États-Unis.

Aux dépens de la Chine, parce que le rêve chinois a été mis en œuvre, la République Populaire de Chine a assumé le fardeau de la création d’une « communauté de destin unique de l’humanité » (人类命运共同体).

Seule une rupture sans compromis avec l’Occident autorisera dans la pratique un tel « virage à l’Est » qui, eu égard à la situation en Ukraine, a été déclaré comme étant la priorité de la politique étrangère de la Russie par Vladimir Poutine.

Si la Russie reste une partie intégrante de « la maison européenne », ce sera dans le cadre d’un schéma de mondialisation, où « le nouvel ordre mondial sous hégémonie américaine est créé contre la Russie, aux dépens de la Russie et sur les ruines de la Russie » (Zbigniew Brzezinski, Forum à Yaroslavl, 2011).

En 2021, le Traité Russo-Chinois de « bon voisinage, d’amitié et de coopération » du 16 juillet 2001 s’achève, prévu pour 20 ans, avec une prorogation automatique de 5 ans. Si rien ne change dans les relations entre la Fédération de Russie et la République Populaire de Chine, et si l’on continue la rhétorique selon laquelle « les relations Russo-Chinoises sont les meilleures de l’histoire », La Russie ne réussira pas à sortir du schéma de confrontation entre la Fédération de Russie et les USA, désastreux pour elle et favorable à la Chine.

Si le Kremlin comprend ce schéma de l’action des trois forces selon la Loi des Transformations, favorable à la Fédération de Russie, alors il lui faudra en avril 2019, à Beijing, déclarer aux dirigeants de la République Populaire de Chine, la nécessité de conclure un nouveau traité russo-chinois sur le retour des relations au sein de la famille des peuples de civilisations non occidentales, c’est-à-dire des héritiers de l’État unifié de Tchinguiz Khan, et du Camp Socialiste de Staline.

La famille des peuples n’appartenant pas aux civilisations occidentales devrait être construite dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai, où la Chine assumera la fonction de « frère aîné ou protecteur », tandis que la Russie, pourvue de la doctrine des temps et de l’esprit de la politique céleste, prendra la place qui lui revient de « sœur aînée » et sage des pays et des peuples frères.

Andreï Deviatov

Traduit par Carpophoros pour le Saker Francophone

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