Par James Howard Kunstler – Le 17 Juin 2019 – Source kunstler.com
Qui aurait cru que ces jours, ceux du cycle de la longue urgence, (c’est-à-dire l’effondrement des économies techno-industrielles) seraient caractérisés par l’abandon délibéré de la raison par la classe pensante de la civilisation occidentale, et plus particulièrement par sa version américaine ? Rappel : le catalyseur de base de l’effondrement est le surinvestissement dans la complexité avec des rendements décroissants. Le reste en découle.
Un autre nom pour les rendements décroissants est le retour de flamme. Internet est certainement l’assemblage le plus complexe de la pensée humaine dans l’histoire de l’humanité et il est en train de se retourner férocement contre l’humanité d’une manière qui est loin d’être évidente. Cela a déclenché d’innombrables boucles de rétroaction récursives de désinformation, de mal-information et d’idées qui sont tout simplement mauvaises en ce sens qu’elles ne correspondent pas à la réalité. D’où la nouvelle signification élastique du concept de « vérité ».
Le Capital Vérité était le passeport de l’humanité vers la réalité. Le fait même de l’affirmer ainsi aujourd’hui risque d’inciter à la censure pour sexisme, puisque le mot « homme » a été récemment chargé de connotations toxiques, alors que le concept de sexisme lui-même est teinté de l’idée irréelle que les tensions entre hommes et femmes ne devraient pas exister et doivent être abolies. C’est à ce point désespérément complexe que l’on se trouve. Le divorce entre la vérité et la réalité est presque complet maintenant que chacun a sa propre vérité, et les faits ne sont que des ornements sujets à réarrangement dans la propre histoire de chacun.
Les incroyables échecs des autorités qui poussent l’Amérique vers l’effondrement politique sont une manifestation de cette dynamique, et cela pourrait interpeler la classe pensante, si elle n’était pas si occupée à se vautrer l’esprit dans la merde et dans tout le reste. Par exemple, on peut citer l’exemple le plus récent de « vérité » non inclusive connu sous le nom de Rapport Mueller. Ce document sacré affirme sans équivoque que la Russie a piraté le serveur de messagerie du Comité national démocrate en 2016.
En réalité, rien ne prouve que cela soit vrai. Ni le FBI, ni Robert Mueller et ses propres enquêteurs n’ont tenté de procéder à un examen médico-légal des serveurs du DNC. Ils ont laissé le travail à un groupe appelé Crowdstrike, un intermédiaire payé par le DNC, et les « conclusions » de Crowdstrike ont été transmises au FBI et à M. Mueller dans un mémo à moitié pondu par des avocats du DNC. Quelqu’un a remarqué les conflits d’intérêts en jeu ? Personne lié à ces autorités n’a jamais daigné interviewer Julian Assange non plus. Il était pourtant la seule personne sur terre qui pouvait savoir avec certitude comment ces courriels falsifiés sont arrivés à Wikileaks.
Le fait que la campagne de Mme Clinton ait été de connivence avec des Russes est un autre fait flagrant qui a mis en évidence la crédulité de la classe pensante. M. Mueller a laissé de côté dans son rapport le fait que deux Russes présents à la tristement célèbre Trump Tower Meeting de 2016, Natalia Veselnitskaya et Rinat Akhmetshin, étaient au service de la société Fusion GPS chargée de monter des dossiers sur les « opposants » de Glenn Simpson, engagée par la campagne Clinton à l’origine du RussiaGate, en particulier les documents brûlants du « Dossier Steele ». Considérez-vous qu’il s’agit d’une omission importante ? Je pense que oui. Comment se fait-il que les médias ne s’intéressent pas à ces questions ? Je suppose que c’est parce que ce n’est pas leur vérité.
Les transactions supplémentaires de Mme Clinton avec ces Russes – et le train d’argent liquide qu’ils avaient à leur bord – ont été comme une marée montante pendant son mandat au département d’État, lorsque sa fondation a reçu plus de 150 millions de dollars des seuls intérêts commerciaux russes (c’est-à-dire des oligarques), sans parler du simple demi-million en argent que Bill, son mari, a reçu pour un seul discours devant un groupe bancaire russe. Comment se fait-il qu’une secrétaire d’État peut organiser un tel trafic sans attirer l’attention des vérificateurs institutionnels ?
La relation de l’Amérique avec l’autorité est dans un état de délabrement grave avec Robert Mueller en tant que pièce à conviction A – un personnage qui ressemblerait à Moïse, avec seulement des pieds d’argile et une tête qui pourrit comme le poisson proverbial de la corruption institutionnelle. Il a annoncé dans sa « conférence de presse » du 29 mai – au cours de laquelle il a refusé de répondre à des questions – qu’il préférait ne pas témoigner dans le cadre d’autres enquêtes concernant son enquête du Conseil spécial. Quel effronté ! C’était peut-être un message aux Représentants. Nadler, Schiff, et leurs camarades dans les divers comités du Congrès … même pas la peine de m’appeler. Mais M. Mueller n’était, après tout, qu’un simple employé du ministère américain de la Justice, et non un héraut de Dieu Tout-Puissant. J’imagine plutôt que le procureur général, M. Barr, a quelques questions supplémentaires à poser à son « vieil ami ». M. Mueller, cette Greta Garbo de la jurisprudence, ne va-t-elle pas tenter de s’esquiver prudemment ? Et sur quelle base, exactement ? Je ne pense pas qu’il puisse s’en tirer comme ça.
Les complexités du RussiaGate rendent tous les scandales gouvernementaux précédents aussi simples que le jeu de la queue de l’âne. Internet s’avérera à la fois son créateur et sa perte. Les « vérités » officielles de cette question, tant abusées et perverties, ont été amplifiées par Internet. Et, bien sûr, ces « vérités » ont été enrôlées au service de Mme Clinton et de la bureaucratie malhonnête cherchant à la défendre (et à se défendre) à tout prix. Le coût s’avère être le démembrement de la pensée elle-même en Amérique. Il est maintenant considéré comme allant de soi que quiconque persiste à penser pour lui/elle-même sera jeté(e) hors des grands « médias sociaux » de l’Internet dans la quête de Mark Zuckerberg et Jack Dorsey pour purifier l’histoire.
Ils ne réussiront pas. Mais ils ont certainement réussi à contrarier inutilement la Russie, à enfermer le débat de politique étrangère dans des salles de jeu séquestrées qui sont à la fois des salles des miroirs et des chambres d’écho, et à faire du monde un endroit beaucoup plus dangereux. Il y a aussi une assez bonne probabilité que l’Amérique soit allée trop loin sur le plan intellectuel pour régler tout cela.
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone