Par Karine Bechet-Golovko − Le 6 mai 2022 − Source Russie Politics
Les réformes, qui se profilent en Europe sous couvert d’une plus grande « efficacité » et d’une plus grande « démocratie », préparent la fin officielle de la souveraineté des États, donc des États eux-mêmes, et la reprise en main du processus électoral, devenu beaucoup trop dangereux en période de crise politique profonde et de rupture consommée entre les élites nationales et les populations. Cela s’appelle un coup d’État, une tentative de prise définitive de pouvoir. Les pays européens sont à un tournant.
La conférence, initiée par Macron, de l’Avenir de l’Europe, soutenue par le Parlement européen, prépare rien moins qu’un coup d’État européen. Les États européens ont déjà très peu de pouvoir, mais l’enchaînement des crises covidiennes et ukrainiennes ont montré que cette peau de chagrin est encore beaucoup trop cossue. Les désaccords existent, les antinomies se crispent, le mythe de l’unité européenne s’effrite, la tendance est beaucoup trop dangereuse.
Les intérêts nationaux se sont révélés antagonistes aux intérêts européens, défendus par les instances de l’UE, eux exclusivement atlantistes. Le masque est tombé avec la guerre en Ukraine, les déclarations toujours plus agressives des dirigeants européens, le jusqu’au boutisme anti-russe, contre l’intérêt de stabilité sur notre Continent, contre toute logique ont été le révélateur d’une réalité bien ancienne.
L’UE n’a pas le choix, elle joue sa peau. Elle doit monopoliser le champ de la décision politique, sans laisser la possibilité aux États récalcitrants à la dilution totale de pouvoir opposer des vétos, sur des questions idéologiquement aussi importantes que l’interdiction du gaz russe, du paiement du gaz russe à la Russie. Car retarder la mise en œuvre de ces questions, retarde l’effondrement du système socio-économique européen et cela, manifestement, ne peut pas attendre.
La dimension idéologique de cette volonté de réforme profonde des Traités fondateurs européens, soutenue par le Premier ministre italien, n’est pas même cachée : il faut remettre en cause l’unanimité pour pouvoir développer une politique extérieure commune à l’UE et ne pas être entravé dans l’adoption des sanctions contre la Russie. Puisque, manifestement, c’est à peu près à cela que se résume la politique extérieure de l’UE.
Différentes propositions ont donc été faites, mêmes soutenues par le Parlement européen, comme celle consistant à revenir sur le principe de l’unanimité. Or, c’est justement ce principe qui garantit la souveraineté des États dans ce système de l’UE, puisque seules les décisions pour lesquelles l’État donne son accord seront adoptées. Retirer à chaque État son droit de veto, c’est le soumettre à la volonté de la majorité, c’est lui retirer sa souveraineté. Or, un État qui n’est pas souverain n’est pas un État, c’est un territoire, avec une population, mais pour lesquels les décisions ne sont pas prises au niveau des instances nationales.
Dans la même logique de remise en cause des processus politiques, il est proposé de développer le vote à distance, dont l’absence de sécurité est manifestement un atout, et d’abaisser l’âge de vote à 16 ans, ce qui met à disposition une masse électorale politiquement immature, non confrontée à la réalité de la vie et totalement manipulable, après avoir été gavée aux slogans du monde global.
Institutionnellement, le Parlement européen demande à ce que ses pouvoirs soient augmentés d’un droit d’initiative législative (ce qui est la compétence exclusive de la Commission européenne) et veut se doter d’une certaine légitimité, notamment en ayant acté les listes transnationales, ce qui découpe les élections européennes de la dimension nationale.
Si les États européens se lancent dans une réforme aussi profonde des institutions européennes, ils se suicident et livrent le Continent européen à une organisation atlantiste, succursale régionale des mécanismes globaux de gouvernance. Cette réforme très ambitieuse veut utiliser les deux crises successives, instrumentalisées pour discréditer les pouvoirs nationaux, afin de faire accepter à une population désabusée, une mesure qu’elle ne pourrait en d’autres circonstances.
PS : Une intéressante publication de Volodine, le président de la Douma en Russie, qui revenant sur cette tentative de réforme, souligne que si les pays européens veulent préserver leur souveraineté, il ne leur reste plus qu’une seule voie – sortir de l’UE. – « Mais en seront-ils seulement capables ? En tout cas, pas avec ces élites dirigeantes actuelles. »
Karine Bechet-Golovko