Par Caitlin Johnstone – Le 12 mai 2020
La révolution – la vraie – est un travail intérieur.
Ce n’est pas un travail fait pour attirer les clics. Chaque fois que je parle de la révolution comme ayant plus à voir avec un travail intérieur sincère qu’avec des manifestations, des fourches et le prolétariat qui se révolte contre la bourgeoisie, je suis confronté à de nombreux regards vides. Il est beaucoup plus facile d’attirer l’attention en montrant comment tel ou tel politicien, oligarque ou média sont horribles et la façon dont il faudrait les lancer dans l’espace avec une arbalète géante.
Pourtant c’est vrai. La révolution est un travail intérieur.
Ce n’est pas un sujet qui attire les clics parce que ce n’est pas une chose agréable à l’égo. Lorsqu’ils demandent pourquoi le monde est foutu et ce qu’il faut faire, les gens veulent qu’on leur dise que c’est à cause de ces Méchants là-bas qui ont besoin d’être remis à leur place par nous les Bons ici ; ils ne veulent pas qu’on leur dise qu’ils doivent d’abord essayer de voir clairement à travers leur conscience égotique avant de pouvoir espérer agir de manière efficace.
Mais c’est un fait.
Il ne s’agit pas de la position philosophico-métaphysique d’une nouvelle génération. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de méchants là-bas et toute cette stupide merde spirituelle ; il y a vraiment des gens horribles dans le monde, qui font des choses horribles, avec des conséquences absolument terribles pour nous tous. Je ne dis pas que si vous faites un travail intérieur, les élites sociopathes qui dirigent l’humanité vers sa perte se transformeront magiquement en gentilles personnes via un principe mystico-ésotérique ou quelque chose de ce genre. Et je ne dis absolument pas qu’il ne faut pas organiser, manifester ou prendre des mesures importantes et décisives contre les structures de pouvoir de l’establishment.
Ce que je veux dire, c’est que la chose la plus efficace que vous puissiez faire pour combattre les salauds et créer un monde sain est de mettre en lumière vos propres processus internes, c’est donc là que votre énergie doit se concentrer.
Les gens aiment qu’on leur dise que le problème et la solution vient de l’extérieur, des autres. Leur ego se nourrit de conflits et de drames, donc plus celui-ci s’efforce à combattre les autres, plus il se sent vivre ; c’est encore plus amusant si vous pouvez faire valoir que les traîtres dans vos propres rangs doivent être combattus parce qu’ils ont des opinions légèrement différentes des vôtres. Ce que les egos n’aiment pas qu’on leur dise, c’est que c’est cet ego lui-même (ou plus précisément votre croyance en lui) qui est le problème.
Mais se contenter de consacrer son énergie à combattre les méchants n’est pas un moyen efficace pour parvenir à un monde sain. Les personnes qui agissent ainsi voient leurs efforts stagner, et être ignorés, ce qui explique en grande partie pourquoi tant d’individus ayant toujours eu un esprit révolutionnaire finissent par devenir amers et blasés dans leur lutte.
C’est parce que la plupart des gens, même ceux qui sont relativement plus éveillés que la population générale, sont gravement désorientés. La plupart des gens ne sont tout simplement pas conscients de la façon dont leur propre perception et leur propre cognition fonctionnent et varient d’un moment à l’autre, de sorte que leur perception et leur cognition sont soumis à des schémas de conditionnement subconscients qui ont été établis il y a des années ou des décennies sans qu’ils se demandent si cela leur sera utile plus tard ou si cela servira à rallier les masses pour renverser les oppresseurs capitalistes. Cette situation est rendue infiniment plus complexe et déroutante par le fait que d’énormes quantités de richesses servent à manipuler le public pour l’éloigner de la révolution et le rapprocher de la loyauté envers l’establishment.
Le mot « éveil » est lourd de sens, et peut être mal interprété dans la mesure où il implique un état élevé, sublimé, que seuls quelques personnes spéciales peuvent atteindre grâce à de grands efforts, et puis c’est terminé. En réalité, ce mot veut simplement désigner le processus de prise de conscience de la manière dont fonctionne votre propre champ de conscience et les habitudes perceptives/cognitives que vous avez acquises pour interpréter/comprendre votre expérience. À cette fin, je préfère le mot « éclairant », car il suggère un processus continu plutôt qu’un état « achevé » lointain.
En travaillant sur votre propre éveil, vous dépensez votre énergie à éliminer les distorsions mentales et les points d’achoppement égotiques qui embourbent si souvent les mouvements dissidents (et si vous avez passé du temps dans des cercles à l’esprit révolutionnaire, même avec les yeux à moitié ouverts, vous saurez exactement de quoi je parle). Parce que vous investissez votre énergie dans votre propre jardin, pour ainsi dire, vous vous occupez du seul domaine de votre vie sur lequel vous avez réellement un certain degré de contrôle. Vous n’avez aucune influence sur la question de savoir si la gauche épousera votre vision particulière de l’action révolutionnaire d’ici novembre ou autre, mais vous avez absolument de l’influence sur la question de savoir si vous agissez en vous basant sur la vérité ou l’illusion.
En vous engageant fermement à être impitoyablement honnête avec vous-même et à explorer vos propres dimensions intérieures par la méditation, le travail sur soi, la contemplation, etc., vous préparez la naissance d’un véritable révolutionnaire : quelqu’un qui désire à la fois un changement révolutionnaire et qui a la clarté de vision nécessaire pour aider efficacement à le manifester dans le monde. Mais vous devez d’abord rechercher la vérité à tout prix ; pas « la vérité » sur les mauvais garçons et les sociétés secrètes, mais la vérité sur vous et votre expérience réelle dans ce monde. Vous devez placer la vérité, et le désir de la connaître, au-dessus de tout.
De cette façon, vous apportez à votre microcosme personnel la transformation que nous devons voir dans le macrocosme sociétal extérieur : vous vous éclairez exactement de la même façon que l’humanité dans son ensemble a besoin d’être éclairée. En effet, il s’agit exactement du même mouvement : votre travail intérieur n’est pas plus séparable de l’éveil collectif de l’humanité que l’attaque d’un anticorps individuel contre un agent pathogène n’est séparable du retour à la santé de l’ensemble du système immunitaire.
Un homme nommé Ramana Maharshi a dit un jour : « La prise de conscience de soi est le plus beau cadeau que vous puissiez faire au monde. » C’est vers cela que votre volonté de révolution vous appelle. Non pas vers des conflits et des drames égoïstes, non pas vers un soulèvement violent qui verra inévitablement un retour aux mêmes schémas de conditionnement préexistants, mais vers une transformation de vous-même qui vous permettra de guider le monde vers la santé, de manière lucide et efficace.
Caitlin Johnstone
Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone
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