La politique mondiale de Trump : les deux points chauds


Immanuel Wallerstein

Immanuel Wallerstein

Par Immannuel Wallerstein – Le 1er février 2017 – Source iwallerstein.com

Commentaire No 442

Le président Donald Trump a clairement indiqué que sa présidence aurait une position sur tout partout. Il a aussi dit clairement qu’il serait seul à prendre la décision finale sur la politique que suivra son gouvernement. Il a choisi deux domaines prioritaires dans l’application de ses politiques : le Mexique et la Syrie/l’Irak, la zone de force du califat d’État islamique (EI). Nous pouvons qualifier ces deux domaines de points chauds dans lesquels Trump agit de la façon la plus provocante.

Le Mexique était sans doute le thème principal de toute sa campagne, d’abord pour la nomination républicaine puis pour l’élection présidentielle. Il est probable que ses déclarations incessantes et dures sur le Mexique et les Mexicains lui ont rapporté plus de soutien populaire que tout autre thème, lui permettant ensuite de gagner la présidence.

Trump voit bien que s’il n’agissait pas contre le Mexique en priorité, il risquait une désillusion rapide et sérieuse parmi ses plus ardents partisans. Il a donc fait exactement cela.

Dans les tout premiers jours de son mandat, il a répété qu’il construirait un mur. Il a affirmé qu’il visait une révision importante du NAFTA [ALENA, NdT], faute de quoi il dénoncerait le traité. Et il a répété son intention de faire payer la construction du mur par le Mexique en instaurant une taxe sur toutes les importations mexicaines aux États-Unis.

Peut-il vraiment faire tout ça ? La mise en œuvre de son programme lui pose des problèmes juridiques et politiques. Les obstacles juridiques en vertu du droit américain et international ne sont probablement pas si importants, bien que les États-Unis puissent être accusés de violation des dispositions de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Si cela devait arriver, Trump serait probablement prêt à retirer les États-Unis de l’OMC.

Les obstacles politiques sont plus graves, rendant moins certain qu’il puisse mettre en œuvre totalement et rapidement son programme. Il y a une opposition sérieuse au projet à l’intérieur des États-Unis, pour des raisons à la fois morales et pragmatiques. L’objection pragmatique est qu’un mur serait inefficace pour diminuer l’entrée de travailleurs sans papiers et augmenterait tout simplement le prix et le risque du franchissement de la frontière pour les individus. Fait intéressant, les objections pragmatiques sont émises même par des éleveurs texans qui ont été parmi ses plus ardents partisans. Et, bien sûr, de nombreuses entreprises américaines qui dépendent de travailleurs sans papiers seraient gravement perdantes. Cela constituera une force de pression dans le Congrès pour affaiblir une telle politique.

Il n’est pas sûr non plus qu’il puisse effectivement répercuter le coût de la construction du mur sur les exportateurs mexicains. De nombreuses analyses affirment déjà que le coût accru des importations mexicaines aux États-Unis sera éventuellement assumé par les consommateurs américains autant que les exportateurs mexicains, ou en remplacement de ceux-ci.

Du côté mexicain, le président Enrique Peña Nieto a commencé par faire un effort pour négocier les questions frontalières avec le président Trump. Il a envoyé deux ministres à Washington pour engager des discussions préliminaires. Il a accueilli Trump lors de sa venue au Mexique et avait prévu de se rendre lui-même à Washington. Cette réponse apaisante aux déclarations de Trump a été impopulaire au Mexique. Et Peña a aussi été attaqué chez lui sur beaucoup d’autres questions depuis un certain temps maintenant.

Le désintérêt évident de Trump pour tout accommodement proposé par Peña a été la goutte de trop. Le Mexique a considéré cela comme une humiliation. Peña a annulé son voyage et pris une position défiant Washington. En faisant cela, il a réussi à obtenir que ceux qui le critiquent à l’intérieur se rallient à lui comme champion de la fierté nationale mexicaine.

Je pose de nouveau la question : Trump peut-il plier le Mexique à sa volonté ? À très court terme, il peut être considéré comme remplissant ses promesses de campagne. À moyen terme, cependant, il n’est pas du tout sûr que Trump se sortira de ce guêpier avec un bon bilan.

La Syrie/Irak est un point chaud encore plus difficile. Trump a dit qu’il avait un plan secret pour éliminer État islamique. Typiquement, il a donné trente jours au Pentagone pour émettre ses propositions. Ce n’est qu’alors qu’il annoncera sa décision.

Il y a déjà toute une série de problèmes pour Trump. La Russie semble aujourd’hui l’unique acteur politique dans la région. Elle a emprunté la voie de la création d’un processus politique de paix qui inclut le gouvernement de Bachar al-Assad, la principale force d’opposition syrienne, la Turquie et l’Iran (en même temps que le Hezbollah). Les États-Unis, l’Europe occidentale et l’Arabie saoudite sont tous exclus.

Une telle exclusion est intolérable pour Trump, qui parle maintenant d’envoyer des troupes américains au sol pour combattre EI. Mais avec qui ces troupes s’allieront-elles en Syrie ou en Irak ? Si c’est le gouvernement irakien dominé par les chiites, elles perdront le soutien des forces tribales sunnites irakiennes que les États-Unis ont cultivées malgré leur soutien pendant un temps à Saddam Hussein. Si ce sont les peshmerga kurdes, elles s’affronteront à la fois à la Turquie et au gouvernement irakien. Si ce sont les forces iraniennes, elles vont provoquer des hurlements au Congrès américain et à la fois en Israël et en Arabie saoudite.

Si Trump envoie malgré tout des troupes, il sera presque impossible de les faire sortir, comme l’ont fait George W. Bush et Barack Obama avant lui. Mais avec les inévitables victimes américaines, le soutien au pays disparaîtra. Il aura donc moins d’applaudissements à court terme que pour le Mexique et probablement plus de frustration à moyen terme. Tôt ou tard, lui et ses partisans apprendront l’amère vérité des limites de la puissance géopolitique des États-Unis et donc les limites du pouvoir de Trump.

Et ensuite ? Est-ce que Trump va exploser et commettre des actes dangereux ? C’est ce que craint le plus grande partie du monde – des États-Unis trop faibles en puissance réelle et trop forts en armement. Trump sera confronté à un choix entre deux solutions : l’utilisation des armes qu’il a, ce qui est futile mais terrible ; ou un retrait silencieux de la géopolitique dans la forteresse Amérique, un aveu d’échec implicite. Dans les deux cas, ce sera une décision très inconfortable pour lui.

Immanuel Wallerstein

Traduit par Diane, vérifié par Julie, relu par Cat pour le Saker francophone

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