La politique antiterroriste incohérente de Trump


Par Paul R. Pillar – Le 30 janvier 2017 – Source Consortium News

En bloquant les voyageurs de sept nations majoritairement musulmanes – mais pas celles qui ont envoyé des terroristes aux États-Unis –, le président Trump a imposé une politique incohérente qui peut augmenter les risques de terrorisme.

Donald Trump parlant avec des supporters dans un hangar à l'aéroport de Mesa Gateway à Mesa, en Arizona, le 16 décembre 2015. (Flickr Gage Skidmore)

Les efforts de Donald Trump durant sa première semaine de mandat pour donner corps à sa rhétorique de campagne ont engendré la signature de décrets exécutifs générant des réactions allant de la perplexité concernant leur caractère vague, à l’attente inquiète de retombées supplémentaires. Mais les décrets précédents n’infligent pas autant de dommages aussi brutaux, aux individus américains et à leurs familles comme à l’ensemble des relations étrangères états-uniennes plus élargies et à leurs familles, que l’ordonnance grossièrement formulée : « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis. »

Le caractère impitoyable des effets du décret, relativement à l’asile et la réinstallation des réfugiés fuyant les conflits et la persécution, est déjà mauvais en soi. Outre les considérations d’ordre humanitaire, la mesure réduit la portée de tout ce qu’a affirmé Trump à propos du partage du fardeau – par exemple lorsqu’il se plaint de l’OTAN et des contributions des autres membres de l’alliance.

Trump a décrit à maintes reprises son objectif relativement au traitement des demandes étrangères d’admission aux États-Unis et ce que son décret exécutif commence prétendument à implanter, soit un « contrôle extrême », en quelque sorte plus rigoureux que celui qui a été mis en place. Il ignore toutefois que le contrôle existant est parmi les plus rigoureux instaurés par n’importe quel pays, et qu’il est déjà assez extrême selon plusieurs critères.

La nature soudaine et radicale de la barrière à la circulation que Trump a dressée produit déjà des effets délétères chez nombre de citoyens américains. En particulier, les Américains de première et deuxième génération se retrouvent soudainement séparés de leurs parents et conjoints. Et ce n’est qu’une partie des épreuves que traversent des individus innocents possédant un statut légal aux États-Unis, tels que des hommes d’affaires rentrant d’outremer ou des savants revenant de conférences.

En dépit de son titre, le décret occulte la provenance la plus probable des menaces terroristes envers les États-Unis. Il ne fait rien pour protéger contre le type d’attaques que les États-Unis ont le plus expérimenté durant la dernière décennie et demie depuis le 11/09, perpétrées par des individus radicaux parmi lesquels des citoyens américains en des endroits comme Fort Hood ou Orlando. Il ignore le fait que le terrorisme occidental n’a généralement pas été l’œuvre d’individus ressortissants de pays dont les régimes n’ont pas l’heur de nous plaire.

Favoriser les chrétiens

Le décret est anti-islamique et anti-musulman, et sera essentiellement interprété comme tel par le public à l’étranger, étant donné la fiche islamophobe précédemment établie par Trump et d’autres hauts fonctionnaires de son administration. Le président a consolidé ce message vendredi dans une entrevue au Christian Broadcasting Network, dans laquelle il a affirmé que son administration donnerait la préférence aux chrétiens plutôt qu’aux membres d’autres groupes religieux, dans le cadre de toute réinstallation de réfugiés.

 Femmes syriennes et enfants réfugiés à la gare de Budapest. (Photo de Wikipedia)

En utilisant une fausseté (ou un mensonge, ou un « fait alternatif », ou toute étiquette qu’il est possible d’utiliser), Trump a affirmé concernant les pratiques états-uniennes à ce jour : « Si vous étiez musulman, vous pouviez entrer ; mais si vous étiez chrétien, c’était presque impossible. »

Dans les faits, les États-Unis ont admis presque autant de réfugiés chrétiens (37 521) que de musulmans durant l’année fiscale 2016, même si les musulmans constituent une proportion sensiblement plus élevée de personnes souffrant de la guerre et de la violence au Moyen-Orient et tentant de fuir.

Ce type de critère décisif religieux représente un écart marqué de la grande tradition historique états-unienne de donner asile aux masses fatiguées, pauvres et entassées. C’est un retour à certaines des phases les plus ignobles de l’histoire américaine. « Le péril jaune » d’un âge révolu a maintenant été remplacé par le « péril vert » de Trump. Une telle discrimination religieuse dans l’admission d’étrangers peut aussi être considérée illégale, comme une violation de la loi ayant été promulguée pour prévenir un retour aux pratiques plus préjudiciables du passé.

En ce qui concerne le terrorisme, la nature antimusulmane de ce décret est susceptible de faire augmenter le terrorisme antiaméricain, plutôt que le diminuer. Ce décret sonne comme de la musique aux oreilles de l’ISIS, d’al-Qaïda et autres groupes violents qui dépeignent, dans leur propagande et leurs argumentaires de recrutement, un monde submergé par une guerre entre l’islam et l’Occident judéo-chrétien menée par les États-Unis, et qui tente de persécuter les musulmans. Persuader les autres gouvernements, en particulier le monde musulman, de coopérer avec les États-Unis au nom de l’antiterrorisme sera dorénavant plus difficile. Et les États-uniens seront plus à même, non pas moins, de devenir les victimes du terrorisme perpétré par des extrémistes islamiques.

La désignation des ressortissants de sept États (Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Yémen) en vue de la plus considérable interdiction d’entrée aux États-Unis (c’est-à-dire pour tous les voyageurs, pas seulement les réfugiés) durant au moins 90 jours renforce l’atmosphère anti-islamique du décret exécutif, étant donné que ce sont tous des pays à majorité musulmane. Ce regroupement d’États a premièrement été désigné dans la législation que le Congrès, contrôlé par les Républicains, a adoptée l’an dernier relativement aux « pays critiques ». Mais cette législation concernait les pays qui étaient ou non éligibles au programme de renonciation au visa. Le nouveau décret est plutôt une interdiction systématique de tout voyage aux États-Unis, visa ou pas.

Une liste bizarre

Il serait concevable que cette liste des sept dilue quelque peu la connotation anti-islamique du décret, compte tenu que d’autres pays à majorité musulmane n’en font pas partie. Mais un coup d’œil plus rapproché à qui est répertorié et qui ne l’est pas, fait ressortir combien cette question s’est éloignée de celle de l’anti-terrorisme. Personne, dans aucun des sept pays sur la liste, n’a jamais tué qui que ce soit dans le cadre d’une attaque terroriste aux États-Unis. En revanche, les pirates de l’air ayant perpétré le 11/09 provenaient principalement de l’Arabie saoudite et le reste, des Émirats arabes unis, de l’Égypte et du Liban ; aucun de ces pays ne figure sur la liste.

Les tours jumelles du World Trade Center brûlant le 9/11. (Poto crédit: National Park Center)

Dans la mesure où l’on établit une distinction entre les musulmans que l’administration veut en particulier maintenir à l’écart et les autres, envers lesquels elle sera un peu plus tolérante, la distinction semble s’effectuer pour des raisons indépendantes, par lesquelles certains régimes sont favorisés et d’autres ne le sont pas. Les raisons ne sont pas liées au terrorisme, mais elles ne concernent pas non plus la démocratie ou les droits de l’homme.

Peut-être y a-t-il même une explication supplémentaire, ayant fort à partager avec le domaine de l’ignoble. Le fait que certains des principaux pays – y compris l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte – qui pourraient légitimement être des sujets d’inquiétude à titre d’exportateurs de terroristes, mais qui ne sont pas dans la liste des interdits de séjour, sont ceux avec lesquels Trump, sur le plan personnel, a fait des affaires ou essayé de conclure des transactions n’a pas échappé à l’attention des médias . Ainsi, cette question sera l’une des premières de nombreuses décisions présidentielles comportant des motifs au sujet desquels Trump, dans la mesure où il élude les principes éthiques et refuse de se dessaisir de ses intérêts commerciaux, devra répondre à des questions.

Le jour où il a signé un décret exécutif concernant les interdictions de voyager, Trump a implicitement soulevé le même genre de questions, relativement à une autre de ses positions allant à l’encontre des intérêts des USA : son soutien au Brexit et son antipathie générale à l’égard de l’Union européenne. Lors d’une comparution avec la première ministre en visite Theresa May, le président a fait remarquer que dans le cadre de recherches concernant les approbations nécessaires pour ses ententes commerciales en Europe, obtenir des approbations de la part de pays individuels s’effectuait de façon « rapide, facile et efficace », mais qu’il avait fait une « très mauvaise expérience » avec l’Union européenne, où il a été « très, très difficile » d’obtenir des approbations. Puis, il a fait une publicité pour son parcours de golf à Turnberry.

Paul R. Pillar, au cours de ses 28 ans à la Central Intelligence Agency, est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence. Il est l’auteur le plus récent de Why America Misunderstands the World. (Cet article a d’abord été publié sous la forme d’un billet de blogue dans le site web de The National Interest. Réimprimé avec l’autorisation de l’auteur.)

Traduit par Julie, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker francophone

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