L’État ne le fera pas à notre place, car il n’est pas patriotique
Par Gilles Verrier − Avril 2018
En cinquante ans, le néo-nationalisme a fini de briser les liens ancestraux. Au lieu de comprimer le West Island, il a comprimé les Canadiens français. Il a contribué à la réalisation du plan canadien de la segmentation provinciale des « descendants des vaincus ». Le régime fédéral, édifié sur la volonté de suprématie anglo-saxonne, est devenu aujourd’hui moins contesté que jamais auparavant.
Au Québec, l’autonomisme – souverainisme – indépendantisme − « beau risque » enfin, tout ce vocabulaire mobile d’une ambivalence politique paralysante, est en fin de cycle. Son crédit épuisé, le Parti québécois est devenu aphone, ne produisant plus aucune étude originale sur la nature de sa raison d’être.
Le pari généreux – mais irréaliste – de former une nation nouvelle à partir des deux nations internes, distinctes, qui se concurrencent pour la prépondérance sur le territoire, n’a pas été tenu. 1.
À la base de ce pari, une version québécoise précoce de l’utopie canadienne qui consacre la primauté de l’individu sur toute considération nationale et patriotique. Un « chartisme » avant la Charte ! Le leitmotiv du Parti Québécois de gouverner pour tous les Québécois, sans jamais accompagner cette affirmation ultra libérale d’une défense soutenue et franche de notre intérêt national collectif, revient à confier à l’État le rôle de se dresser en gardien du statu quo, de maintenir l’équilibre de l’injustice et de l’inégalité entre les nations. Inégalités aussi voyantes aujourd’hui que jadis, dans les domaines de la santé et de l’éducation, sans parler de langue et de l’immigration.
Maintenir l’équilibre de l’inégalité entre les deux nations a été la mission − peut-être involontaire mais combien réelle − du néo-nationalisme péquiste et, dans ce cas, on peut déclarer mission accomplie. Ceci tout à la différence d’un autre État du Québec : celui projeté dans le Rapport Tremblay de 1956 − dont la vision était en partie inspirée par la doctrine de Lionel Groulx − qui voyait dans cet État à construire le foyer principal du Canada français, éventuellement indépendant. On ne s’objecterait pas beaucoup à continuer de se définir comme Québécois dans cette continuité spirituelle, si seulement on y était resté fidèle. Or, être Québécois aujourd’hui, ce n’est plus être un Canadien français du Québec, c’est être une personne qui habite le Québec. Il faudra bien expliquer pourquoi l’offre plurinationale et multiculturelle du PQ serait plus alléchante que le Canada qui offre la même chose ?
Dans un tel climat plurinational et multiculturel, les résistants à l’adoption des valeurs canadiennes par les péquistes se disent – non sans raison − qu’il vaut mieux ne rien lâcher. Ne rien lâcher de notre identité enracinée, celle qui peut encore désigner nos ancêtres, les fondateurs du premier Canada, dans le sens européen. Les deuxièmes autochtones, dans le sens littéral, ceux d’ici. C’est notre appartenance au Canada pré-britannique qui fonde d’ailleurs la légitimité de notre combat.
Oui effectivement, le Parti québécois est aphone. Dans une impasse historique insoluble. Pour la première fois depuis 1966, la question du statut constitutionnel du Québec − à l’intérieur ou hors du Canada, peu importe 2 − ne fera pas l’objet de discussions au cours de l’élection provinciale du 1er octobre prochain. Il y aurait pourtant matière ! Mais ce sera un non sujet. Une démission qui révèle d’un coup tout l’échec d’un trop long détour.
Le Parti québécois, en effet, a fait de nouveau volte-face avec sa décision de reporter à un hypothétique deuxième mandat, c’est-à-dire au-delà de 2022, la « pressante » question existentielle qui avait justifié sa création en 1968. Dans une évolution des choses qui aura fait passer l’atmosphère de l’enthousiasme au désenchantement, le ballon de la québécitude apparaît irrémédiablement crevé.
Avec le PQ, la question du statut d’égalité nationale s’est emmurée dans le Québec. Mais en fait, le contentieux national au Canada n’est pas une affaire limitée aux dimensions provinciales, c’est une affaire canadienne et internationale. C’est une affaire qui part des promesses brisées du Canada pour lesquelles il y aurait lieu de réclamer des réparations et d’obliger le Canada à rappeler la Constitution de 1982 pour illégitimité. À cette fin, Me Christian Néron a commencé à monter un dossier à charge, sa chronique de janvier 2017, qui passe les 9000 vues, a été jugée d’intérêt exceptionnel par Vigile qui en a fait son éditorial. La Confédération selon George Brown, et le viol de 1982, donnent toutes les clés qu’il faut pour monter une contestation de première classe de l’ordre constitutionnel canadien.
Richard Le Hir en dira :
« Nous sommes en 2017. Comment se fait-il que l’information que nous livre Me Néron n’ait jamais été divulguée avant maintenant ? Dix gouvernements se sont succédés à Québec depuis lors (René Lévesque ; Robert Bourassa ; Daniel Johnson fils ; Jacques Parizeau ; Lucien Bouchard : Bernard Landry ; Jean Charest ; Pauline Marois ; Philippe Couillard) dont cinq formés par le Parti Québécois. Aucun d’entre eux n’a accepté de signer la Constitution de 1982 même si Couillard en brûle d’envie. Et aucun d’entre eux n’a jugé pertinent de faire la recherche que nous propose Me Néron réalisée à son compte personnel ? Vient un moment où la négligence devient coupable, voire criminelle. À moins que cela n’ait été intentionnel… »
Jean-Claude Pomerleau s’exclamera :
« Un texte exceptionnel de Me Néron, qui suppose un travail d’archive considérable et qui devrait servir de fondement à toute contestation de la Constitution de 1982, une violation de la condition fondamentale qui a prévalu à la signature du Pacte de 1867. Pourquoi on ne l’a pas appris avant ? »
À mon tour, je dis que maintenant que toutes ces informations sont dévoilées, et qu’on a bien applaudi, ne serait-il pas temps de s’engager dans cette voie royale, négligée par dix gouvernements, dont cinq du PQ, possiblement « une négligence coupable, voire criminelle » ?
La contestation de l’édifice constitutionnel du Canada n’est pas facultative, c’est une obligation patriotique. Mais en bons réalistes, vue leur négligence criminelle répétée, il ne faudra pas compter sur les gouvernements du Québec, peu importe le parti élu. Il est clair que seule une mobilisation citoyenne dans cette optique pourra réaliser quelque chose.
Le dossier à charge pourrait bien commencer comme ceci :
Synthèse de Me Christian Néron sur le sens de la Confédération de 1867 – basée sur les débats constituants de 1865
Malgré une certaine appréhension qui régnait chez bon nombre de Canadiens français, on peut dire que l’année 1867 s’était déroulée sous le signe de l’optimisme. Entrée en vigueur le 1er juillet, la Confédération leur avait été présentée comme un « pacte de paix » qui devait régler à jamais les vieux différends qui avaient tant divisé les « descendants des vainqueurs » et les « descendants des vaincus ». Les mots communément utilisés pour qualifier cette nouvelle constitution étaient « pacte, traité et alliance ». Les adjectifs que l’on accolait à ces substantifs étaient « amical, cordial et fraternel ». Ainsi, la Confédération apparaissait comme un événement heureux qui découlait d’un « pacte amical, cordial et fraternel » conclu entre les « descendants des vainqueurs » et les « descendants des vaincus ». Les mots ci-avant entre guillemets sont ceux utilisés lors des Débats parlementaires sur la Confédération en février et mars 1865.
De plus, les Pères fondateurs avaient cherché à les rassurer en leur disant que le gouvernement général à Ottawa ne s’occuperait que des sujets où l’intérêt de tous serait identique. Tout le reste allait aux provinces. Le Bas-Canada devenait une province autonome pratiquement souveraine dans ses champs de compétences. Plus encore, on avait ajouté que plus jamais les Anglais ne viendraient mettre leur nez dans leurs affaires. Les Canadiens français devenaient maîtres chez eux avec leur assemblée législative et leur propre gouvernement. C’était le meilleur des mondes : maîtres chez eux et unis à de gentils voisins pour les sujets d’intérêt commun. Pouvaient-ils espérer mieux ? Eh oui, beaucoup mieux puisqu’ils n’avaient pas compris qu’on leur avait vendu un rêve. Toutes ces fascinantes promesses étaient trop belles pour être vraies.
De 1867 à 1889, il y aura des désillusions, mais ceux qui avaient engagé leur parole d’honneur tenteront tant bien que mal de refroidir les ardeurs de bien des « descendants des vainqueurs » qui trépignaient d’impatience à l’idée de prendre possession de ce beau pays sur lequel les « descendants des vaincus » avaient eu l’indicible légèreté de leur céder une pleine souveraineté. En fait, on pourrait dire qu’il y eut un temps d’hésitation où la Confédération continuait à être présentée comme un « pacte de paix » conclu sur une base d’égalité, et pendant lequel on taisait la convoitise des « descendants des vainqueurs » qui aspiraient à établir leur dominance sur ce pays acquis au titre du droit de conquête. C’est en 1889 que cette revendication de droits, sur la base des « lois non écrites » du Canada, va mettre un terme aux belles illusions des Canadiens français.
Aucun patriote ne peut accepter que la question du statut constitutionnel soit laissée vacante par un parti politique qui aurait été créé pour en prendre charge. D’autant plus que la cause des descendants des vaincus est juste, raisonnable et bien fondée.
Jusqu’ici, ouvrons les yeux, le fédéralisme dominateur n’a pas été combattu sur des bases solides. Sa légitimité n’a pas été mise en cause, et l’artillerie lourde argumentaire n’a jamais servi pour gouverner le Canada. Les négociations constitutionnelles de Lévesque et Morin en 1981 ont été une plaisanterie, et les argumentaires des référendums de 1980 et de 1995 étaient loin d’être à la hauteur. Il s’agit donc d’une chantier inédit qui concerne dans sa profondeur le statut politique d’un peuple. Et en outre, la seule avenue praticable pour un changement de statut des laissés pour compte (les Premières nations) et de ceux dont la bonne foi a été abusée par la Confédération (les descendants des vaincus d’ascendance française, incluant les Acadiens).
Il faut comprendre que nous devons nous rapprocher de toutes les victimes du Canada anglo-saxon-orangiste, pour être en mesure de forcer un jour le jeu et d’assurer notre avenir. Il faut réaliser que nous vivons dans un monde devenu plus dangereux et moins porté à respecter les droits et les libertés civiles, et cela concerne aussi le Canada. La difficulté de déclarer l’indépendance, peu importe la façon, s’est considérablement accrue depuis les années 1960. De surcroît, la marge de manœuvre des petits indépendants, leur espace d’indépendance, s’est considérablement rétréci. Il faut intégrer ces nouvelles réalités.
Comme me disait un correspondant : « Si tu n’es pas le chouchou de l’OTAN, comme le Kosovo − où tous les jugements internationaux ont déjà été rendus en ta faveur avant même que les audiences commencent − même si tu ne fais pas de référendum, même si les indépendantistes sont des terroristes doublés de bandes mafieuses, ton indépendance va passer si c’est à l’agenda de l’OTAN. » Il faut vraiment être un illettré pour croire que l’indépendance du Kosovo a représenté une avancée du droit international, comme certains continuent de le prétendre ici au Québec. L’OTAN fera tout pour « organiser » des indépendances pour déstabiliser le proche extérieur de la Russie et la Chine mais, de manière prévisible, ne les soutiendra pas dans les pays sous son contrôle. Donc, dans le cas de pays de l’OTAN, comme le Canada et l’Espagne, toute tentative de sécession ne peut mener qu’à l’impasse, à la répression ou la combinaison de répression avec des mesures qui relèvent de la guerre de quatrième génération 3.
C’est pourquoi une approche de mise en difficulté du Canada par le dévoilement des faits véridiques qui ébranlent sa légitimité est de loin l’approche la plus prudente et celle qui risque le moins de faire pschitt ! C’est, de plus, une approche qui aurait le potentiel de gagner le maximum d’appuis populaires partout au Canada, parmi tous les intéressés à une refondation constitutionnelle sur la base des réalités nationales socio-historiques, sans faire de menaces à la sécession, menaces qui d’ailleurs au Québec n’ont toujours été que des prétentions vides de sens. L’approche la plus légitime et la mieux fondée serait possiblement de demander que les promesses faites en 1865 soient tenues. Quoi de plus innocent.
Notes
- Le caractère binational du Québec n’a jamais été admis par le PQ (Canadiens français ou Québécois francophones d’un coté et Canadiens de l’autre ) mais cette réalité a toujours été sous-jacente et plus évidente depuis 1995. Ce qui représente un glissement de la nature de l’autonomisme québécois depuis Groulx, Duplessis, Daniel Johnson, etc. qui ambitionnaient de construire un État canadien français. Groulx parlera dans Notre avenir politique (1923) « de prendre place dans le monde international en qualité d’État souverain français d’Amérique ». Aujourd’hui, sans le dire, le Québec indépendant serait bilingue en pratique et multiculturel ; à l’image du Canada. C’est ce que confirmerait une future constitution québécoise, si nous étions assez mal avisés de réclamer une telle chose ↩
- Cela importe peu. Contrairement à l’idée reçue, ce n’est pas la forme politique de la pleine reconnaissance nationale des Canadiens français québécois qui compte, mais l’essence de cette reconnaissance ↩
- Guerre de quatrième génération – comme ici au Québec il n’y a pas si longtemps : incendies de fermes par la police, attentats qui restent inexpliqués, arrestation de masse, etc. Fausses nouvelles, etc. Et pareil en Catalogne où des naïfs ont pensé qu’un processus démocratique, pacifique et transparent leur rapporterait l’indépendance ↩