La Libye : de Khaddafi à Haftar


2015-05-21_11h17_05Par Moon of Alabama − Le 6 avril 2019

La Libye est de retour dans l’actualité alors que la soi-disant Armée nationale libyenne du général Haftar se prépare à attaquer Tripoli. Comment en est-on arrivé là ?

En mars 2011, le Royaume-Uni, la France et les États-Unis ont entrepris de détruire le gouvernement libyen. La milice des Frères musulmans et les forces alignées avec Al-Qaïda, équipées par le Qatar et soutenues par la Grande-Bretagne, ont pris la ville de Benghazi, dans l’est du pays. L’armée de l’air américaine a détruit les troupes gouvernementales sur le terrain et a aidé les militants à capturer et à assassiner Muhammar Khaddafi. Le chaos s’en est suivi alors que diverses forces tribales, milices locales et islamistes se disputaient le contrôle des villes et du butin.

L’ancien général Khalifa Haftar a tenté de s’immiscer dans le chaos en tant que nouveau chef de la Libye. Il avait pris part au coup d’État qui avait amené Khaddafi au pouvoir, mais s’était brouillé par la suite avec lui et avait changé de camp. La CIA l’a parrainé pour provoquer un coup d’État contre Khaddafi. Le coup a échoué et depuis 1990, Haftar vit en Virginie où il est également devenu citoyen américain.

La tentative de Haftar de prendre le pouvoir dans le chaos de 2011 a échoué. La milice alignée des Frères musulmans le considérait comme un partisan laïc de Khaddafi et le rejetait. La situation a changé en 2014 après que l’armée égyptienne a chassé du pouvoir le président Morsi, soutenu par les Frères musulmans. L’Égypte, sous le nouveau président Sissi, craignait les gangs islamistes en Libye et voulait les éliminer. Haftar a été appelé à constituer une armée et à prendre le contrôle de Benghazi. Les Émirats arabes unis ont financé le projet. Avec l’argent des EAU, le soutien aérien égyptien, les fournitures russes, les services de renseignement français et les forces spéciales, Haftar a peu à peu défait les divers gangs islamistes et pris le contrôle de Benghazi.

Il lui a fallu plus de trois ans pour consolider son contrôle et mettre en place son armée nationale libyenne (LNA) qui lui permettrait de prendre les régions occidentales de la Libye.

Ces régions occidentales, y compris la capitale Tripoli, sont contrôlées par diverses familles, clans et tribus en conflit, chacun possédant sa propre milice. Il existe également un gouvernement nominal d’accord national dirigé par Fayez al-Sarraj. Il est reconnu par l’ONU mais n’a pas de forces propres. Il dépend du soutien de la milice locale à Tripoli et du soutien de la ville côtière de Misrata. Cette ville a une forte milice tribale qui exploite même une petite force aérienne.

La Libye – 1er janvier 2019. Agrandir

C’est aussi la ville de Misrata qui a empêché Haftar de déplacer ses troupes de Benghazi à l’est le long de la côte en direction de Tripoli à l’ouest. Le blocage a obligé Haftar à traverser la région très peuplée du sud, puis de l’ouest et de nouveau vers le nord, en direction de Tripoli. Une tentative en ce sens en 2018 a échoué lorsque les forces locales du sud-ouest (en rose), soutenues par l’armée algérienne, ont résisté au mouvement de Haftar.

Cette année, l’Algérie a ses propres problèmes, des manifestations de masse ayant contraint son président, Abdelaziz Bouteflika, à se retirer. L’armée algérienne est occupée chez elle à installer un nouveau président. Haftar, avec l’aide de l’argent des EAU, a racheté les forces du sud-ouest et a ainsi ouvert la route vers Tripoli. Il a également pris le contrôle de Syrte au nord et des champs de pétrole El Sharara, près de Wasi al Hayaa au sud. Le champ produit environ 300 000 barils de pétrole par jour et peut être exporté via le port de Syrte. Le contrôle de ces actifs a donné à Haftar une énorme puissance.

La Libye – 6 avril 2019. Agrandir

L’Armée nationale libyenne (LNA) de Haftar est maintenant à environ 30 km de Tripoli mais la résistance de la milice locale et des forces envoyées de Misrata se renforce. Hier, l’armée de Haftar a brièvement pris le contrôle du défunt aéroport international de Tripoli, mais a rapidement été évincée. Aujourd’hui, des jets de combat venant de Misrata ont attaqué ses forces.

Tripoli – 6 avril 2019 Agrandir

Si Haftar veut réussir, il devra prendre la route entre Tripoli et Misrata pour diviser ses ennemis. Il pourra alors prendre Tripoli et annoncer son propre gouvernement national. Il y a des rumeurs selon lesquelles certains des chefs de guerre de Tripoli seraient disposés à changer de camp et à rejoindre Haftar.

Haftar bénéficie du soutien ouvert de la France, des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et de la Russie. L’administration Trump n’est pas intéressée à entrer dans le désordre. Haftar est un vieil atout de la CIA et s’il prend le contrôle, il y a de fortes chances que les États-Unis aient une influence sur lui. Tant que le pétrole libyen coule et maintient le prix mondial à la baisse, Trump sera heureux. La Russie tente de rester dans les coulisses pour ne pas donner aux forces anti-russes à Washington un prétexte pour intervenir.

Les Frères musulmans, soutenus par la Turquie et le Qatar, sont toujours présents à Misrata mais ont par ailleurs perdu leur influence sur le terrain.

Haftar et ses troupes semblent avoir presque tous les avantages de leur côté. Leur route de ravitaillement depuis Benghazi par le sud vers Tripoli est trop longue, mais la France aide à la protéger en maintenant sous contrôle les rebelles du Tchad et du Mali dans le sud de la Libye. L’armée de l’air égyptienne pourrait bien aider à nouveau et détruire tout ce qui reste de la force aérienne de Misrata.

Mais la guerre est imprévisible et les milices libyennes ont souvent changé d’avis sans crier gare. Cela peut durer dix jours pour prendre Tripoli sans faire beaucoup de victimes ou cent jours de combats intenses. La tentative pourrait même échouer.

La Libye est un pays tribal diversifié qui a peu de chances de fonctionner en démocratie. Un homme fort comme Muhammad Khaddafi pouvait la contrôler en distribuant les revenus tirés de ses ressources minérales et en maîtrisant les islamistes. Haftar pourrait peut-être faire comme lui.

Mais il a 75 ans. Il y a un an, il a été évacué en France pour des interventions médicales d’urgence. Ses fils, dont deux dirigent une partie de sa milice, sont de qualité inconnue. Un autre problème est la fermentation à Benghazi, où des prédicateurs Wahabbites, formés en Arabie saoudite, ont remplacé les prédicateurs des Frères musulmans et introduisent désormais un régime de style saoudien concernant les femmes et la culture locale.

Un homme fort gouvernant toute la Libye depuis Tripoli est certainement meilleur pour le pays et son peuple que le long chaos qui a suivi la guerre menée par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. Avec le temps, Haftar pourrait bien atteindre cet objectif. Mais ce n’est pas une solution à long terme. Le mieux que l’on puisse espérer, c’est qu’il gagne suffisamment de temps pour que la Libye revienne à la raison et pour que la guerre civile s’éteigne.

Moon of Alabama

Traduit par jj, relu par wayan pour le Saker Francophone

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