La liberté d’expression, victime de la censure sur Internet


Par Chris Wright – Le 26 janvier 2019 – Source Dissident voice

Le fait que nous vivions dans un monde où la diffusion de l’information est largement sous le contrôle de sociétés privées (et de gouvernements très largement influencés par ces grandes corporations) constitue en soi une mise en accusation suffisante de notre civilisation. Même si, de manière inconcevable, aucun autre crime n’était jamais commis nulle part et que les systèmes de pouvoir étaient généralement bienveillants envers les citoyens, un contrôle et une diffusion de l’information concentrés dans une poignée de mains privées justifieraient des tentatives de reconstruction de la société sur de nouvelles bases.

Un tel contrôle est tout simplement trop contraire aux principes de la liberté d’expression et du libre accès à l’information pour être toléré par un peuple attaché à la démocratie, à la vérité et à une communication rationnelle et sans entrave. Mais c’est bien pire encore lorsque le contrôle de l’information par quelques consortiums & milliardaires est une condition préalable essentielle à ce que des crimes systématiques contre l’humanité soient commis sans cesse par ces mêmes entreprises et gouvernements. Si le public savait tout ce qui se passe, il est peu probable qu’il le tolère longtemps.

Dans les faits, c’est comme si nous vivions dans une farce planétaire, victimes d’une intelligence cosmique malveillante dotée d’un sens de l’humour pervers : organiser la dissidence politique, lutter pour le progrès social et mieux faire connaître les crimes commis par les entreprises et les gouvernements semble une tâche aussi nécessaire qu’impossible. Car au quotidien, nous dépendons en grande partie de réseaux gérés et contrôlés par ces criminels eux-mêmes. Nous sommes à la merci de leur bonne volonté. Les fournisseurs de services Internet peuvent, quand ils le souhaitent, refuser leurs services à un individu ou à un groupe jugés « dangereux » selon des critères obscurs ; les plates-formes médiatiques telles que Facebook et YouTube peuvent suspendre un utilisateur dès qu’elles décident qu’elles n’aiment pas ce qu’il dit, ou s’il ne respecte pas un algorithme mystérieux, évolutif et rétroactif ; Google peut détourner le trafic de certains sites Web, comme il l’a fait récemment pour les sites de gauche tels que World Socialist Website, AlterNet, Democracy Now et CounterPunch. Et les victimes de cette censure n’ont, dans les faits, aucun recours, si ce n’est de faire appel au public pour faire pression sur les censeurs.

Facebook a censuré un nombre incalculable d’utilisateurs qui ne le méritaient pas, par exemple en ciblant de manière disproportionnée des activistes de couleur, en suspendant les diffusions en direct d’images de policiers tirant sur des civils, en supprimant temporairement la page anglaise de TeleSur et en supprimant la page de VenezuelAnalysis jusqu’à ce que le tollé public qui s’est ensuivi les ait contraints à faire marche arrière – et dernièrement, citons la suppression du compte officiel Whatsapp du parti espagnol Podemos, juste avant les élections… L’armée de modérateurs de Facebook censure constamment des messages individuels selon un ensemble de règles énoncées sur 27 pages, entraînant la suppression de messages concernant, par exemple, les atrocités indiennes au Cachemire, Geronimo et Zapata en tant que héros de la « guerre de 500 ans contre le colonialisme », ou encore un contre-rassemblement de gauche pour l’anniversaire des violences à Charlottesville, en Virginie.

La censure politique (visant à la fois la gauche et la droite) est incontrôlable : cette année, des centaines de comptes et de pages ont été supprimés au prétexte qu’ils seraient faux ou « inauthentiques ». Ou, comme toujours, « extrémistes ». Sans surprise, beaucoup étaient tout à fait légitimes, dirigés par de vraies personnes qui utilisaient des pseudonymes pour des raisons de sécurité, ou dont les perspectives sont simplement qualifiées d’inacceptables parce qu’elles sont contraires aux récits officiels. Après avoir supprimé des dizaines de comptes et de pages « inauthentiques » l’été dernier, Facebook a déclaré que les coupables avaient « cherché à attiser les tensions sociales et politiques aux États-Unis », et déclaré que leur activité était « similaire, voire parfois liée, à celle des comptes russes lors de l’élection de 2016. » En d’autres termes, il est désormais interdit aux utilisateurs « d’enflammer les tensions » ou d’agir « de la même manière » que les comptes russes – allez savoir ce que ça veut dire.

Au moins, nous sommes toujours autorisés à partager des mèmes de chats et des photos de bébés.

Mais la principale victime de ce maccarthysme rampant a bien sûr été la cause palestinienne, et plus généralement tous ceux qui s’opposent à la longue orgie sanglante insatiable perpétrée par Israël. Que ce soit sur Twitter, YouTube, Facebook ou d’autres plate-formes, les personnes, personnalités ou groupes résistant à Israël se voient régulièrement refuser leur droit à la parole. La branche armée du Hamas n’a pas le droit de créer un compte sur Twitter, contrairement à l’armée israélienne. Facebook bloque si souvent des groupes palestiniens – y compris le Fatah, pourtant reconnu sur la scène internationale, et les principaux médias de Cisjordanie – qu’ils ont leur propre hashtag, #FBcensorsPalestine. Étant donné que ces réseaux sociaux, qui ont un quasi-monopole mondial, sont un moyen essentiel de toucher une audience et de diffuser un message, une telle censure a un effet particulièrement dévastateur.

Un scandale récent concerne la répression de la voix du Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Il y a un an, YouTube a suspendu une chaîne reconnue qui diffusait et traduisait depuis 5 ans les discours de Hassan Nasrallah, ainsi que d’autres dirigeants « anti-américains » (Poutine, Assad, etc.), en français et en anglais. La chaîne Sayed Hasan, qui comptait plus de 400 vidéos, avait 10 000 abonnés et avait recueilli plus de six millions de vues, devenait de plus en plus populaire. Le prétexte de YouTube pour sa suspension fut « une violation des règles concernant le contenu graphique ou violent ». Plus précisément, trois extraits de discours de Nasrallah ont été jugés offensants : la première vidéo était intitulée « Daech est l’allié d’Israël et vise La Mecque et Médine », la seconde « Nous sommes sur le point de libérer Al-Qods (Jérusalem) et toute la Palestine », et la troisième « La prochaine guerre changera la face de la région ». Il serait difficile d’affirmer que ces discours contenaient des propos particulièrement « graphiques ou violents », car il ne s’agit que d’analyses politiques convaincantes et d’exhortations à résister à un État voisin particulièrement brutal et violent.

Le propriétaire de la chaîne a ensuite créé une page Facebook pour publier un contenu similaire, Le Cri des Peuples, qui compte à ce jour plus de 9 000 abonnés, et une version anglaise appelée Resistance News Uniltered. Un an plus tard, cette dernière a été supprimée à son tour. Sans aucune explication. Elle comptait plus de 6 000 abonnés et fournissait un service important en traduisant les discours d’un analyste politique très perspicace. Norman Finkelstein a publié une déclaration de soutien au traducteur dénonçant cette censure de Nasrallah :

Il est scandaleux que les discours de Hassan Nasrallah soient interdits sur Youtube. Quoi que l’on pense de sa politique, il ne fait aucun doute que Nasrallah compte parmi les observateurs politiques les plus sagaces et les plus sérieux au monde aujourd’hui. Les dirigeants israéliens scrutent attentivement le moindre mot de Nasrallah. Pourquoi le public se voit-il refuser ce droit ? On ne peut s’empêcher de se demander si les discours de Nasrallah ne sont pas censurés simplement parce qu’il ne correspond pas au stéréotype du dirigeant arabe dégénéré, ignorant et fanfaron. Il semble que les médias et réseaux sociaux occidentaux ne soient pas encore prêts pour un dirigeant arabe digne tant dans sa personne que dans son esprit.

En plus des deux pages Facebook (la version anglaise vient d’être recréée), on peut retrouver les traductions de Sayed Hasan en français sur Vimeo et sur son blog sayed7asan.blogspot.fr, et en anglais sur Dailymotion et sur son blog resistancenewsunfiltered.blogspot.com. Le traducteur peut être soutenu dans son travail bénévole trilingue via son compte Paypal.

Le New York Times a rapporté que « les agences de sécurité israéliennes surveillent Facebook et envoient à l’entreprise les messages qu’elles considèrent comme de l’incitation à la haine. Facebook a réagi en supprimant la plupart d’entre eux. » En fait, plus de 90% d’entre eux. Pendant ce temps, comme le remarque Glenn Greenwald, « les Israéliens ont pratiquement toute liberté pour publier tout ce qu’ils veulent sur les Palestiniens », y compris des appels au génocide et les célébrations les plus outrageuses de la torture et du meurtre d’enfants palestiniens.

Tout cela est parfaitement prévisible, car les puissants en matière économique coopéreront toujours avec les puissants en matière politique pour censurer les dissidents. Des entreprises telles que Facebook et Google (qui possède YouTube),  seront toujours enclines à complaire au gouvernement des États-Unis et à ses alliés. Ce fait constitue néanmoins un danger terrible pour la liberté d’expression, un véritable proto-fascisme, auquel il convient de résister aussi énergiquement que face à tout crime contre l’humanité qui est dissimulé par une telle collaboration corporatiste.

Ce n’est qu’en inondant Google, Facebook, Twitter et les autres de plaintes que nous auront la possibilité de faire entendre des voix nécessaires comme celle de Hassan Nasrallah. Notre objectif ultime devrait être d’éliminer ces sociétés elles-mêmes et de transférer l’infrastructure médiatique qu’elles possèdent au public, mais pour atteindre cet objectif, nous devons continuer à percer des failles dans le blackout de ces sociétés afin de laisser passer un peu de lumière.

Chris Wright

Traduction : sayed7asan.blogspot.fr

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