Le 12 juin 2018 – Source Corporate Europe Observatory
Il n’est pas surprenant qu’AirBnB, la plateforme de location en ligne, et ses alliés, préfèrent garder les exigences politiques controversées qu’ils formulent à la Commission Européenne loin des yeux du public. Mais il est scandaleux de voir la Commission les y aider, en labellisant ces documents de lobbying comme « secrets commerciaux », et d’en refuser la publication. À l’issue de huit mois de querelles sur la publication de ces document, Corporate Europe Observatory est en mesure d’affirmer que ces documents révèlent en quoi AirBnB et ses semblables s’attaquent à toute une série de mesures mises en place par les villes pour diminuer les coûts d’accès au logement.
La Commission Européenne est en train d’évaluer si elle va émettre de nouvelles directives à destination de ses États membres, concernant les mesures qu’ils peuvent, ou ne peuvent pas prendre, en lien avec les plateformes de location à court terme comme AirBnB. Toutes informations sur la bataille de lobbying menée en ce moment par AirBnB et ses alliés sont essentielles au débat public.
Et les enjeux sont de taille. Ces plateformes de location en ligne ont eu des impacts importants sur les coûts du logement dans nombre de villes européennes, des nombres énormes de logements étant transformés en locations pour touristes, sans régulation, et deviennent inaccessibles pour les baux d’habitation dont les habitants ont besoin. Comme le montre le rapport UnFairBnB récemment publié par Corporate Europe Observatory, les plateformes de location en ligne pratiquent un lobbying intensif en ce moment, pour mettre en échec les mesures prises par des villes comme Berlin, Bruxelles, Barcelone, Paris et Amsterdam en faveur de leurs habitants, face à l’offensive AirBnB.
Aucun doute que ce sujet est une affaire d’intérêt général, mais la Commission a elle-même mis en place de sérieuses entraves au contrôle d’AirBnB et d’autres sociétés semblables. La réaction de la Commission à la demande de Corporate Europe Observatory d’accéder à des informations sur les positions des plateformes de location à court terme a été de garder un document secret pendant 8 mois, sous prétexte qu’il contiendrait des « secrets commerciaux ». À présent, la Commission a fini par remettre le document au CEO après des mois de bataille et une plainte officielle.
Et ce document vient doublement confirmer le tableau que nous avions dressé dans le rapport UnfairBnB. Le document de lobbying constitue une sorte de programme politique de l’European Holiday Home Association (EHHA) – l’association commerciale dirigée par AirBnB – et une attaque des outils utilisés par les villes pour conserver à leurs habitants un accès au logement en réponse à l’expansion rapide des plateformes de locations de courte durée.
Selon l’EHHA :
- Les plateformes ne jouent le rôle que d’intermédiaires, et les autorités devraient s’en prendre aux hébergeurs en cas de problème. Ils avancent que « les intermédiaires en ligne mettent à disposition un service d’hébergement neutre et ne peuvent être tenus responsables des activités illégales survenant sur leurs places de marchés, pas plus qu’on ne peut leur demander de rechercher pro-activement ce type d’activités ». En d’autres termes, on ne peut leur demander de prendre aucune mesure préventive aux référencements de logements illégaux.
- Aucun programme d’autorisation d’aucune sorte ne devrait exister. Selon eux, ces type de programmes ne sont pas des « régulations pertinentes ».
- La collecte de l’« impôt sur le revenu », selon l’EHHA, est « un sujet entre l’hébergeur et les autorités fiscales » : ils rejettent toute idée que ces sociétés auraient un rôle à y jouer.
- Le positionnement de seuils, tel un nombre maximum de jours pour lesquels un logement peut être mis en location, ne devrait être autorisé que sous certaines conditions, et l’EHHA a établi une liste de décisions de tribunaux de la ville de Berlin et des îles Canaries, comme preuve que ce serait illégal selon les lois nationales ou européennes.
- Les plateformes refusent les tentatives d’appliquer des règles différentes aux entités commerciales, par opposition à un particulier qui par exemple mettrait en location temporaire une chambre vacante. D’après l’EHHA, de telles mesures « ne devraient pas limiter les affaires et les entreprises ».
Aucune surprise quant au fait que l’EHAA a hésité a laisser le public prendre connaissance de ses positions. Les positions exprimées dans ce document sont tout à fait scandaleuses, quand on considère les problèmes que posent les plateformes comme AirBnB partout en Europe. L’EHHA a défendu bec et ongles sa position de lobbying dure, loin des yeux du public, et les tentatives de la Commission de tenir dissimulées les positions politiques de ce secteur de l’industrie, sous couvert du « secret commercial », sont indignes.
De fait, le processus que nous avons du suivre pour accéder à ces informations a été bizarre depuis le début. La première fois que la Commission a rejeté notre demande d’accès aux documents, en octobre 2017, le message était que par respect des « secrets commerciaux », pas moins de 21 documents ne nous seraient pas communiqués. Parmi ceux-ci, un document qui allait figurer parmi les propositions de la Commission sur les nouvelles pratiques de régulation des plateformes de location de courte durée.
Des secrets commerciaux ? Vraiment ? Il s’agissait clairement d’un document de lobbying, émis par un groupe de pression, au sujet de politiques publiques, qui si les mots ont un sens n’aurait jamais du se retrouver protégé au titre du secret des affaires. Outre ce point, l’EHHA est une association rassemblant les plus grands acteurs de ce marché, parmi lesquels AirBnB, HomeAway, WIMDU, Schibsted ; et dans ce cadre ils ne se positionnent pas du tout comme concurrents ayant des secrets à protéger les uns des autres, mais au contraire comme groupe de pression émettant une position commune. Ce qu’ils craignaient n’était pas que des concurrents prennent conscience de leurs positions, mais que les dirigeants des villes et les activistes du logement en aient connaissance. La réalité, c’est que l’EHHA avait des raisons politiques de vouloir conserver ce document loin des yeux du public, et que la Commission l’a aidée.
Quand l’association commerciale a envoyé ce document exprimant ses positions à la Commission en juillet 2017, elle insistait sur son statut de brouillon, arguant qu’« il ne s’agit pas d’un document public, mais d’un document que nous n’envoyons qu’à la Commission Européenne, et nous vous demandons de la considérer [comme] confidentiel ». Deux mois plus tard, cependant, le lobby confirmait que ce document constituait sa position officielle. Mais même alors, la Commission continuait d’en refuser l’accès au CEO pendant 8 longs mois, arguant de « secrets commerciaux », jusqu’à ce que nous constituions une plainte auprès du Secrétariat général. La Commission a finalement été forcée de nous remettre ce document à l’issue de nouvelles tergiversations qui ont pris deux mois de plus.
On s’attendrait à ce que l’EHHA n’ait pas envie que le public puisse consulter ses positions, vu les dégâts et les controverses qu’ont générés les « effets AirBnB » partout en Europe, portant à conséquences sur la viabilité des environnements urbains et sur l’accessibilité du logement pour les locaux. Mais pour ce qui est du rôle de la Commission, il n’existe aucune base dans les lois de l’UE permettant aux groupes de pressions de faire marquer leurs positions de lobbying comme « secrets commerciaux », en vue de garder le public dans le noir. De telles pratiques devraient évidemment être considérées comme hors la loi, et il devrait évidemment être interdit de faire traîner les demandes d’accès à des documents publics pendant des mois.
Et, au fait, la Commission continue à ce jour de faire tout ce qu’elle peut pour garder ce document hors du champ de connaissance du public. Dans le message remis au CEO, accompagnant la remise de ce document, la Commission nous indique que ce document est remis « pour information uniquement, il est défendu de ré-utiliser ce document sans autorisation de l’émetteur, qui dispose d’un droit d’auteur sur ce document ». Cette dernière tentative de garder le document secret est considérée par le CEO comme une tactique d’intimidation. Un document politique comme celui-ci ne peut en aucune manière se trouver couvert par une loi sur les copyrights. Cette affaire sera signalée au médiateur européen.
Note du Saker Francophone Comme souvent avec cette source, du factuel, des dénonciations intéressantes, et une conclusion d'une naïveté impressionnante, dans le style « je vais me plaindre à la maîtresse », comme si ces pratiques ne duraient pas depuis des dizaines d'années et si les institutions européennes pouvaient être nettoyées de la corruption.
Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Fracophone
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