La Chambre des représentants a budgété 1,6 milliard de dollars pour diffuser de la propagande anti-chinoise à l’étranger


Par Marcus Stanley – Le 11 septembre 2024 – Source Responsible Statecraft

Depuis au moins 2016, l’ingérence étrangère dans les élections américaines et la société civile est devenue centrale dans le discours politique américain. La question est prise très au sérieux par le gouvernement américain, qui a imposé des sanctions et dénoncé les adversaires étrangers pour avoir semé « la discorde et le chaos » par leurs efforts de propagande.

Mais apparemment, Washington a un point de vue différent lorsqu’il s’agit d’opérations de propagande américaines dans les pays étrangers. Lundi, la Chambre a adopté la loi HR 1157, dite « Countering the PRC Malign Influence Fund », par une majorité bipartite de 351 contre 36. Cette loi autorise plus de 1,6 milliard de dollars pour le Département d’État et l’USAID au cours des cinq prochaines années, afin, entre autres, de subventionner les médias et les sources de la société civile du monde entier qui luttent contre « l’influence malveillante » chinoise à l’échelle mondiale.

C’est une dépense énorme – environ deux fois, par exemple, les dépenses de fonctionnement annuelles de CNN. Si elle est adoptée, elle représenterait également une augmentation importante des dépenses fédérales consacrées aux opérations d’influence internationales. Bien qu’il soit difficile de totaliser toutes les dépenses consacrées aux opérations d’influence américaines dans les différentes agences, le principal organisme de coordination des efforts d’information américains, le Global Engagement Center (GEC) du Département d’État, dispose d’un budget annuel de moins de 100 millions de dollars.

Il n’y a évidemment aucun problème à ce que le gouvernement américain présente publiquement sa propre vision de ce que fait la Chine dans le monde, et le fasse avec autant de force que nécessaire. Mais ce projet de loi va plus loin en subventionnant les « médias indépendants et la société civile » et d’autres opérations de guerre de l’information dans les pays étrangers. En fait, c’est déjà une pratique courante. Le Global Engagement Center, qui jouera probablement un rôle important dans la mise en œuvre du projet de loi, consacre plus de la moitié de son budget à ce type de subventions, et l’USAID, qui jouera également un rôle de premier plan, fait des subventions aux médias étrangers et aux organisations de la société civile un élément clé de ses efforts. La HR 1157 renforcerait ces programmes.

Il est crucial de noter que la HR 1157 ne semble pas contenir d’exigence selon laquelle le financement du gouvernement américain aux médias étrangers doit être rendu transparent pour les citoyens des pays étrangers (bien qu’il existe une obligation de signaler les subventions à certaines commissions du Congrès américain). Ainsi, il est possible que le programme puisse dans certains cas être utilisé pour subventionner des messages anti-chinois secrets d’une manière similaire à la façon dont la Russie est accusée de financer secrètement des messages anti-ukrainiens par des influenceurs des médias américains.

De tels messages anti-chinois pourraient couvrir un large éventail de questions politiques courantes dans les pays étrangers. La définition d’« influence malveillante » dans le projet de loi est extrêmement large. Par exemple, les fonds du programme pourraient soutenir tout effort visant à mettre en évidence « l’impact négatif » des investissements économiques et d’infrastructures chinois dans un pays étranger. Ou ils pourraient financer des messages politiques contre les entrepreneurs chinois impliqués dans la construction d’un port, d’une route ou d’un hôpital, par exemple dans le cadre de l’initiative mondiale des Nouvelles routes de la soie.

Comme certaines dimensions des opérations d’information américaines peuvent être classifiées, il peut être difficile d’obtenir une image complète de l’ensemble de ce à quoi elles ressemblent sur le terrain. Mais un « document de vision » de 2021 sur les opérations psychologiques et les affaires civiles du premier commandement des forces spéciales de Fort Bragg donne un aperçu fascinant.

Le document fournit une étude de cas (ou « vignette de compétition ») de ce à quoi pourrait ressembler un effort intégré pour contrer l’influence chinoise dans le pays africain fictif de Naruvu. Dans la vignette, les membres d’une équipe des affaires civiles des forces spéciales aperçoivent un panneau d’affichage avec l’image d’un port et des caractères chinois. Déterminant rapidement que les Chinois investissent dans un nouveau port en eau profonde à Naruvu, le 8e groupe Psyop du Centre de guerre de l’information (IWC) de Fort Bragg travaille avec des partenaires locaux et américains pour développer immédiatement une campagne d’influence visant à « discréditer les activités chinoises ».

La campagne d’influence « a donné à l’IWTF [Information Warfare Task Force], en coordination avec le JIIM [partenaires gouvernementaux locaux et américains], le pouvoir d’attiser les tensions de longue date entre les travailleurs de Naruvu et les entreprises chinoises. En quelques jours, des manifestations soutenues par l’ODA [Special Forces Operations Detachment Alpha] de la CFT ont éclaté autour du siège des entreprises chinoises et de leur ambassade à Ajuba. Simultanément, la campagne sur les réseaux sociaux menée par l’IWC a mis en lumière la controverse. »

Confrontée à une campagne de propagande combinée et à une intense agitation ouvrière, l’entreprise chinoise est forcée de renoncer à son projet de port. (Bien que la vignette se poursuive vers une fin encore plus hollywoodienne dans laquelle les forces spéciales américaines pénètrent dans les bureaux de l’entreprise de construction, confisquent les plans du port et découvrent qu’il s’agit en fait d’un complot chinois visant à placer des missiles à longue portée à Naruvu pour menacer la navigation américaine dans l’Atlantique).

Cette étude de cas illustre les extrêmes que la guerre de l’information pourrait atteindre. Mais bien sûr il s’agit d’une fiction et la plupart des opérations financées pour contrer l’influence chinoise seront beaucoup plus banales et moins cinématographiques. En effet, certaines ressembleront probablement aux activités que le gouvernement américain a amèrement condamnées lorsque des gouvernements étrangers les ont financées dans l’espace de la société civile américaine, comme les achats de publicités sur les réseaux sociaux ou le financement d’organisations favorables au point de vue de Washington.

Mais il vaut toujours la peine de réfléchir aux conséquences de tels efforts. Ils sont bien sûr susceptibles de faire passer les protestations américaines contre des activités similaires de gouvernements étrangers pour hypocrites. Au-delà de cela, injecter un flot d’argent potentiellement non divulgué du gouvernement américain dans des messages anti-chinois dans le monde entier pourrait se retourner contre lui en faisant apparaître toute opposition organique à l’influence chinoise comme de la propagande financée secrètement par le gouvernement américain plutôt que comme une véritable expression de préoccupations locales.

Comme les opinions publiques de nombreux pays sont susceptibles de se méfier de l’implication des États-Unis et de la Chine dans leurs affaires intérieures, cela pourrait facilement discréditer une véritable opposition populaire à l’influence chinoise. Un exemple historique est le financement par Washington de groupes de la société civile russe qui ont critiqué l’intégrité des élections parlementaires russes de 2011. Cela s’est retourné contre lui en permettant à Poutine de présenter l’opposition comme des instruments d’un complot américain et a entraîné de fortes restrictions sur l’activité américaine en Russie, y compris l’expulsion de l’USAID.

Un autre problème soulevé par la législation proposée est la possibilité que la propagande anti-chinoise financée par ce programme reflue dans l’espace médiatique américain et influence le public américain, sans que sa source initiale de financement ne soit révélée. Les protections contre le ciblage du public national par le gouvernement américain sont déjà faibles, et les protections existantes sont presque impossibles à appliquer dans un monde en réseau où les informations provenant d’autres pays sont à un clic du public américain.

Il est facile d’imaginer que les médias étrangers financés par les États-Unis soient utilisés comme preuve dans les débats nationaux sur le rôle international de la Chine, ou même pour attaquer les voix américaines qui prônent une vision différente de la Chine propagée par un gouvernement américain belliciste. Durant la présidence de Trump, le Centre d’engagement mondial (GEC) du département d’État, qui est probablement le bénéficiaire d’une grande partie de ces fonds, a soutenu les attaques contre les détracteurs de la politique iranienne de Trump. Plus récemment, les conservateurs du Congrès ont affirmé que le GEC avait préconisé la censure des voix conservatrices qui désapprouvaient la politique étrangère de Biden.

La majorité écrasante des deux partis en faveur de la HR 1157 est un instantané d’une culture à Washington qui ne semble pas voir le risque pour les valeurs et les intérêts des États-Unis lorsque nous nous engageons dans les mêmes activités secrètes que celles que nous critiquons dans d’autres pays.

Marcus Stanley

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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