La «batardisation» des partis traditionnels, de droite comme de gauche


Par Wayne Madsen – Le 25 décembre 2019 – Source Strategic Culture

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Les deux principaux partis politiques, les conservateurs et les travaillistes, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Tout juste sorti d’une victoire écrasante en Angleterre, le Parti conservateur, dirigé par le premier ministre Boris Johnson, est devenu un parti d’extrême droite. Les conservateurs traditionnels comme Nicholas Soames, le petit-fils de Winston Churchill, et Kenneth Clarke, le grand vieil homme de la stratégie du Parti conservateur, ont été expulsés des rangs des conservateurs siégeant à la Chambre des communes à la suite de leur vote de septembre 2019 contre le gouvernement de Johnson et leurs positions pro-européennes. Avec la victoire de Johnson aux élections du 12 décembre, son soutien vient de partisans d’extrême droite comme le chef du parti Brexit, Nigel Farage, et le mouvement Britain First du voyou de rue néofasciste, Tommy Robinson.

Johnson a transformé le Parti conservateur en un parti qui le suit pratiquement à la trace. Une situation similaire s’est produite avec le Parti républicain aux États-Unis. Il a été transformé en un parti qui vénère Donald Trump comme un chef de secte. Les républicains traditionnels comme les anciens gouverneurs John Kasich, William Weld, Arnold Schwarzenegger, Tom Ridge, Christine Todd Whitman et d’autres anciens gouverneurs, sénateurs et députés américains n’ont plus de domicile politique dans ce qui est devenu le “Trump Party”, un parti qui voue aux gémonies la politique d’anciens présidents républicains comme Abraham Lincoln, Theodore Roosevelt, Dwight Eisenhower et George H. W. Bush.
L’autre grand parti britannique, le Parti travailliste, était revenu à ses racines socialistes traditionnelles sous la direction de Jeremy Corbyn. Une série de dirigeants du “New Labor“, dont Neil Kinnock, Tony Blair, Gordon Brown et Ed Milliband, avaient transformé le parti travailliste en un parti favorable aux multinationales et au libre-échange, à peine différent du Parti conservateur traditionnel. Après avoir été élu chef du parti travailliste en 2015, Corbyn a dû faire face à une attaque de désinformation médiatique et politique pendant laquelle il a été traité de communiste et d’antisémite. Ce barrage de mensonges a entraîné la pire défaite du Parti travailliste depuis 1935 lors des élections générales du 12 décembre dernier.

S’acharnant à restaurer le Parti travailliste dans son passé pro-corporate/pro-Israël, l’ancien Premier ministre Blair a mis en garde contre la politique de “gauche dure” du “corbynisme”. Blair a ensuite poignardé Corbyn en déclarant que ce dernier “personnifiait une idée, une marque de socialisme quasi-révolutionnaire, mélangeant une politique économique d’extrême gauche avec une profonde hostilité à la politique étrangère occidentale, qui n’a jamais attiré les électeurs travaillistes traditionnels et ne les attirera jamais car elle représente pour eux une combinaison d’idéologie malavisée et d’ineptie terminale qu’ils trouvent insultante. Aucun parti politique sain d’esprit ne présente aux élections un dirigeant ayant un taux d’approbation net de 40%.»

De plus, c’est Blair qui a été à l’origine de la campagne médiatique et de propagande concertée contre Corbyn. Corbyn a souffert du même genre d’attaque insidieuse de la part de la droite du parti travailliste que celle dont ont souffert les anciens politiciens travaillistes socialistes de base comme Aneurin Bevan, Harold Wilson, Michael Foot et Tony Benn. Des individus comme Blair et ses semblables oublient commodément que le Parti travailliste a été formé au début du siècle dernier par des collègues de Karl Marx, quelqu’un qui ne voyait certainement pas de place dans un parti ouvrier pour ceux qui cherchent à les exploiter.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la faction de droite du Parti travailliste a veillé à ce que tout dirigeant travailliste qui s’opposait à l’OTAN et à la politique étrangère américaine soit exclu des rangs de la direction du parti. L’opposition du premier ministre Harold Wilson à la guerre du Vietnam a contribué à sceller son sort, tout comme l’opposition initiale de Bevan aux armes nucléaires britanniques. Foot favorisait le désarmement unilatéral, ayant pour résultat la prise de pouvoir de Kinnock après la défaite électorale du parti en 1983. Benn n’avait pas oublié le passé socialiste du Parti travailliste et cela l’empêcha de devenir Premier ministre. Non seulement les services de renseignements britanniques MI-5 et MI-6 ont constamment placé Benn sous surveillance, mais le bureau de propagande de la Central Intelligence Agency américaine, aidé par les médias britanniques, a organisé une campagne mensongère disant que Benn était un agent du KGB soviétique. Le même genre de désinformation provenant de la CIA a visé Wilson, Foot et Bevan.

Lorsque Corbyn a tenté de rétablir dans les rangs du parti travailliste l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, Corbyn a été accusé d’être antisémite, simplement parce que Livingstone a comparé certaines des politiques d’Israël contre les Palestiniens à celles des nazis dans les pays occupés. Livingstone, surnommé “Ken le Rouge” par ses détracteurs, était considéré comme faisant partie de la même faction de gauche travailliste que Corbyn. Il y a un certain nombre de responsables travaillistes qui rivalisent pour succéder à Corbyn. Bien qu’ils aient fait partie de l’équipe de Corbyn, la plupart de ces héritiers apparents négocient pour obtenir le soutien de la faction blairiste. Le plus important d’entre eux est Keir Starmer, le shadow Secrétaire au Brexit de Corbyn, que la faction anti-Corbyn favorise en tant que nouveau leader travailliste.

La reconnaissance par Benn des racines marxistes du Parti travailliste est démontrée par le passage suivant :

"Le Manifeste Communiste, et beaucoup d'autres ouvrages de philosophie marxiste, ont toujours profondément influencé le mouvement ouvrier britannique et le Parti Travailliste britannique, et ont renforcé notre compréhension et enrichi notre pensée. Il serait aussi impensable d'essayer de construire un Parti Travailliste sans Marx que d'établir des facultés universitaires d'astronomie, d'anthropologie ou de psychologie sans permettre l'étude de Copernic, Darwin ou Freud, et de s'attendre pourtant à ce que ces facultés soient prises au sérieux".

La coalition libérale-nationale au pouvoir en Australie a régulièrement évolué vers l’extrême droite sous la direction de deux premiers ministres chrétiens fondamentalistes – Tony Abbott et le premier ministre actuel, Scott Morrison. Tout comme la direction du Parti républicain américain et du Parti conservateur canadien, la “Coalition”, comme on l’appelle, est devenue un foyer de xénophobes et de négationnistes du changement climatique. L’ignorance de Morrison sur les dangers du changement climatique a été récemment mise en évidence lorsque les températures les plus chaudes de l’histoire météorologique ont été enregistrées en Australie. Alors que les Australiens souffrant de problèmes respiratoires et autres problèmes de santé souffraient de la chaleur extrême et qu’une épidémie massive de feux de brousse balayait l’Australie, Morrison a décidé d’écourter ses vacances familiales à Hawaï à la mi-décembre. Contrairement aux anciens premiers ministres de la Coalition, dont Malcolm Fraser et Malcolm Turnbull, Morrison est totalement redevable aux intérêts miniers de l’Australie, y compris l’industrie du charbon [dont le 1er acheteur est la Chine, NdSF]. En ce qui concerne Morrison, il n’y a pas de changement climatique et les Australiens qui souffrent de ses effets peuvent être damnés.

Quant au Parti travailliste australien, il n’a pas exercé de mandat socialiste depuis 1975, année où le Premier ministre Gough Whitlam a été évincé lors d’un coup d’État constitutionnel provoqué par la CIA, les services de sécurité et le gouverneur général australiens. Jamais plus il n’y aura de gouvernement travailliste comme celui du premier ministre d’après-guerre Ben Chifley, qui a tenté de nationaliser les banques australiennes, ou de Whitlam, qui a fait évoluer l’Australie vers une politique étrangère moins alignée. Aujourd’hui, les partis travaillistes et de coalition australiens ne diffèrent que légèrement en matière de politique étrangère et cherchent à obtenir des dons de campagne auprès des mêmes intérêts commerciaux.

La dérive continue des partis conservateurs traditionnels vers l’extrême droite et le néofascisme et l’insistance des partis sociaux-démocrates et ouvriers traditionnels à adopter des positions pro-business et anti-ouvrières expliquent pourquoi de grands blocs d’électeurs se sentent abandonnés. C’est précisément parce que les partis travaillistes et sociaux-démocrates ont purgé de leur dogme toute mention du contrôle de l’État sur les services publics, les transports en commun, les soins de santé et d’autres secteurs publics clés qu’ils sont maintenant à leur plus bas taux électoral en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, en Autriche, en Suède et en Finlande. Et c’est parce que les partis conservateurs traditionnels ont rejeté les principes fondamentaux du conservatisme pour la nature et de la protection de l’environnement, le multilatéralisme tel que pratiqué par les dirigeants conservateurs d’après-guerre et la stabilité économique sans inflation, que de nombreux conservateurs errent sans but entre les néofascistes qui ont pris le contrôle des partis conservateurs et les partis progressistes qui ne semblent pas défendre quoi que ce soit.

Wayne Madsen

Note du Saker Francophone

On vous laisse seul juge de la pertinence des commentaires de cet auteur ou non. Il a sa vision du monde et le souverainisme ne fait visiblement pas parti de ces critères positifs. Cela met aussi en perspective ses autres prises de positions sur la géopolitique mondiale.

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

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