Par Abdel Bari Atwan – Le 5 février 2015 – Source Special Golf News
L’organisation avait besoin de rétablir sa réputation de plus sale gamin du quartier après la perte de Kobani.
Je pensais être immunisé contre les effroyables excès de violence de Daesh (Etat islamique d’Irak et du Levant) – d‘autant que je m’apprête à publier un nouveau livre sur le sujet –, mais je me suis révélé incapable de regarder jusqu’au bout leur dernière vidéo, celle où le pilote jordanien Al Muath Kaseasbeh est brûlé vif. Je l’ai arrêtée, tout tremblant de répulsion… mais non sans avoir vu les premières horribles images, le pilote suspendu dans une cage, l’homme masqué mettant le feu à la traînée d’essence menant à la cage, l’expression de terreur absolue sur le visage de la malheureuse victime.
J’ai été très troublé par l’enchaînement des séquences et la qualité des prises de vue. Chaque étape de l’exécution, chaque détail a fait l’objet de grands soins; les angles des prises de vue ont été soigneusement choisis et les épouvantables images étaient de haute définition. Je frémis d’horreur à la pensée qu’un groupe de personnes se soit tranquillement assis pour mettre cela au point, en rédigeant peut-être même un scénario comme les cinéastes de Hollywood.
La réponse a été rapide et cinglante. La Jordanie a pendu deux terroristes en détention, dont Sajida Al Rishawi, arrêtée lors d’un attentat suicide raté et dont Daesh avait exigé la libération en échange de la vie d’Al Kaseasbeh — et elle a menacé Daesh de représailles à faire trembler la terre. Le roi Abdullah était à Washington en réunion avec le Comité des relations étrangères du Sénat quand la vidéo est sortie. Le président américain Barack Obama a immédiatement modifié son emploi du temps pour rencontrer le monarque de toute urgence. Étant donné que le meurtre a été commis il y a un mois, selon la presse arabe, il semble probable que Daesh ait choisi de diffuser le film macabre au moment de la visite du roi Abdallah, espérant peut-être provoquer une réponse militaire conjointe. Le gouvernement jordanien (qui a beaucoup à craindre de Daesh) va certainement utiliser cet acte épouvantable pour rallier l’opinion publique à l’intensificatio
Premièrement, Daesh avait besoin de rétablir sa réputation de plus sale gamin du quartier après la perte de Kobani et d’environ 300 miles carrés (483 kilomètres carrés) de territoire en Irak. Cet acte sadique avait pour but d’obtenir une couverture médiatique mondiale maximum – et il l’a eue.
Deuxièmement, c’est un avertissement à tous les autres pays arabes qui se sont alliés avec les Etats-Unis contre Daesh. Des otages occidentaux ont été décapités dans des vidéos réalistes, mais l’organisation se fait un devoir de traiter ses opposants arabes de façon encore plus sensationnelle. Les 18 pilotes syriens capturés en novembre dernier ont été décapités en masse par 17 militants sans masques et sans uniformes, armés de couteaux — et un John djihadiste britannique vêtu de noir et masqué. Le message aux dirigeants arabes était que si leurs soldats étaient capturés, ils seraient exécutés d’une manière horrible et le film de leur mort atroce serait aussi diffusé dans le monde entier.
Troisièmement, Daesh applique la stratégie exposée dans un traité terroriste de 2004 intitulé La gestion de la sauvagerie, selon lequel un adversaire supérieur en nombre et mieux équipé peut être vaincu par la peur. Une violence extrême, très médiatisée, génère un niveau d’appréhension telle que l’ennemi fuira au lieu de se battre: 30 000 soldats irakiens ont déposé les armes et se sont enfuis quand une brigade de seulement 500 terroristes de Daesh a envahi Mossoul parce que la réputation de férocité de ces derniers les avait précédés — grâce à l’internet.
Contrairement aux groupes terroristes précédents, Daesh n’emploie pas de moyens détournés pour atteindre les médias traditionnels. Les messages audio et vidéo de Oussama Ben Laden, par exemple, étaient secrètement remis à Al Jazeera, qui pouvait choisir de les diffuser ou non. Le groupe a mis en place un solide réseau numérique très performant qui, à travers les médias sociaux, permet de diffuser instantanément des vidéos et d’autres supports de propagande, et de les télécharger à volonté. Il est impossible aux fournisseurs de services Internet de contrôler une activité qui implique des milliers de personnes, chacune avec son propre réseau et son propre système. Daesh communique directement et ouvertement comme s’il n’avait rien à craindre des services de sécurité internationaux. Mon journal en ligne Rai al-Youm a reçu un grand nombre de messages de ses militants mercredi parce qu’ils étaient contrariés par l’éditorial que j’avais écrit pour condamner l’assassinat d’Al Kaseasbeh. L’extrémisme de feu Abou Moussab Al Zarqawi, l’émir de la branche irakienne d’Al-Qaïda, lui a aliéné les islamistes modérés qui lui étaient plutôt favorables au départ, mais Daesh, quant à lui, ne craint pas de perdre ses soutiens à cause de sa barbarie haineuse, qui fait partie de sa marque.
Et les hommes d’Abu Bakr Al Baghdadi ne craignent pas non plus l’arrivée imminente des bottes sur le terrain des soldats de l’alliance. Comme Ben Laden avant eux, leur but est d’inciter le lourd et maladroit éléphant américain à envoyer des troupes dans leurs camps d’extermination – les drones et les avions de combat sont beaucoup plus difficiles à atteindre.
Oui vraiment, pour Daesh le jeu a un nom: provocation.
Abdel Bari Atwan
Traduit par Dominique, relu par jj et Diane pour le Saker Francophone