Jean-Loup Izambert – Les destructeurs


Par Hervé – Source Le Saker Francophone

Jean-Loup Izambert avait bouclé sa série sur la Santé par un dernier sur les dangers de la “vaccination”. Dans ce nouveau livre, il change son angle d’analyse pour se concentrer sur l’Empire Américain, pronostiquant même sa fin et l’émergence d’un nouveau pole d’attraction à l’Est de l’Europe.

Le livre pose les bases historiques de cet Empire pour permettre au lecteur de comprendre comment les dirigeants américains officiels ou dans l’ombre ont façonné les évènements depuis au moins la chute du mur de Berlin pour pousser leur avantage, du moins c’est ce qu’ils pensaient.

Le livre vaut aussi pour les chapitres consacrés à John Perkins, dont le nom ne vous sans doute pas inconnu, car il est l’auteur du fameux livre, Les Confessions d’un assassin financier. Il nous raconte par le menu comment les multinationales américaines pouvaient avoir la main mise sur les marchés, comment l’état américain et ses organisations affiliées y compris celles officiellement neutres comme le FMI, pouvaient endetter et tenir les états cibles pour piller tout ce qui était possible. John Perkins a même cette remarque terrible sur les dérives actuelles :

Des activités qui auraient été considérées comme immorales, inacceptables et illégales à mon époque sont maintenant devenues des pratiques courantes.

Des allées de Wall-Street à celles de la Maison-Blanche, rien n’échappe à cette mafia et Jean-Loup Izambert nous montre comment ces dernières cette pourriture s’est installée dans les capitales européennes grâce notamment à la crise Covid qui aura servie de cheval de Troie aux multinationales de l’Empire. La France n’est pas en reste avec son gouvernement actuel : l’affaire Alsthom, le dépeçage du service public par les fameux cabinets de conseils et le pillage de nos armées pour envoyer tout ce qui est possible alimenter la guerre en Ukraine.

Le livre se termine sur une émergence qui se lève à l’Est. Certains pays qui avaient résisté à la pression de ces fameux destructeurs, bâtissent patiemment des structures nouvelles pour accueillir les états qui souhaitent s’émanciper de leur lourde tutelle occidentale. OCS, BRICS, Route de la soie sont les outils de cette reconquête.

Pour la France inféodée, la route sera longue mais si vous avez ce livre entre les mains, les analyses de l’auteur vous seront d’un grand secours pour comprendre les crises actuelle et être vous-même les acteurs du renouveau.


Interview

Le Saker francophone : A quel moment les USA sont-ils devenus un Empire ?

Jean-Loup Izambert : L’impérialisme des Etats-Unis commence avec la fusion entre le capital industriel et le capital bancaire et se développe au cours du XIXème siècle lorsque les grandes banques deviennent propriétaires du capital industriel. C’est à la fin de ce siècle que les plus grandes puissances capitalistes se partagent les richesses du monde au terme d’une colonisation violente des Amériques, de l’Afrique et de l’Asie.

La possession des matières premières a été une des motivations majeures de cette politique d’agression et de domination des peuples. Il est bien de la rappeler car les livres d’histoire ont perdu la mémoire de la première grande guerre impérialiste qui fut menée par les Etats-Unis à partir de mars 1918 avec les forces armées de quatorze pays dont la France. Sans aucune déclaration de guerre ces pays ont envahi la Russie, organisé son blocus, planifié des assassinats contre les dirigeants bolcheviks et tenté de s’accaparer les richesses de ses régions, or, platine, pétrole, charbon, minerais précieux, bois et autres ressources naturelles, industrielles. Il faudra quatre années de guerres pour que l’Armée rouge vienne à bout de ces corps expéditionnaires et de leurs alliés des armées blanches.

Bien avant cette agression et pendant la période de leur Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, les Etats-Unis volent leurs territoires aux Indiens et massacrent leur civilisation, exploitent près de 14 millions d’esclaves importés d’Afrique, déclenchent des guerres contre le Mexique. Par une succession d’opérations, essentiellement militaires, ils prennent la Louisiane à la France (1803), achètent la Floride à l’Espagne (1819), annexent le Texas par la guerre contre le Mexique (1845), puis la Californie (1848), s’approprient la moitié de l’Oregon sur le Canada (1848), l’île de Vancouver et d’autres comme Hawaï, l’Alaska et Cuba. Ils vont ensuite se projeter dans une multitude de guerres à travers le monde associant une diplomatie du mensonge à une multitude de guerres de rapines.

L’impérialisme est aussi culturel dès ses origines. Ainsi, les habitants des colonies se déclarent Américains dès 1776 comme si toutes les Amériques leur appartenaient, de l’Alaska au cap Horn, alors qu’ils ne sont qu’Etasuniens. L’impérialisme est devenu dès le début des années 1900 économique, financier, culturel et surtout militaire. J’illustre cette transformation progressive du capitalisme dans Les destructeurs avec l’invasion de Haïti. En décembre 1914, quatre années seulement avant leur agression contre la Russie révolutionnaire, les Etats-Unis pillèrent toutes les réserves d’or de Haïti qu’ils emmenèrent dans les coffres de banquiers de Wall Street, massacrèrent des milliers d’Haïtiens et imposèrent au pays une dictature sanglante après en avoir chassé les français.

De leur Déclaration d’indépendance de 1776 jusqu’en 2022, les États-Unis ont été en guerre 228 ans soit près de 94 % de leurs 246 années d’existence ! La seule fois où ils sont demeurés cinq ans sans être en guerre fut la période isolationniste de la Grande dépression (1935-1940). Pour la seule période contemporaine, toutes les opérations militaires importantes lancées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale l’ont été par les États-Unis. De 1990 à la fin 2023, de la guerre contre l’Irak à celle contre la Fédération de Russie par Ukraine interposée, plus de 10 millions de personnes sont mortes dans les guerres de Washington. C’est le seul Etat au monde a avoir agressé continuellement les peuples pour s’emparer de leurs richesses ce qui fait des Etats-Unis un véritable « Empire de la mort ».

S.F. : Jusqu’ou faut il remonter dans l’Histoire pour comprendre les racines de la domination occidentale ?

J-L.I. : Cette domination fait suite aux expéditions et aux découvertes des explorateurs occidentaux. Les monarchies occidentales vont y voir un moyen de s’enrichir et d’étendre leur pouvoir en s’emparant des territoires par le sabre et le goupillon. A leur suite, ils vont envoyer dans ces nouveaux territoires des convois plus importants, essentiellement militaires, afin d’imposer leur système de prédation, esclavagiste, leur culture et leur religion. Entre le XVe et le XVIIIe siècle, les principales puissances européennes s’opposent pour la maîtrise des terres et des ressources du Nouveau monde. Après que Christophe Colomb ait découvert l’Amérique en 1492, pendant cinq siècles les découvertes puis les pillages vont se succéder dans des aventures coloniales de toutes sortes. Les conquistadores espagnols et portugais, l’Angleterre, la France, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie vont se disputer et se partager les richesses du monde comme si celui-ci leur appartenait. Les musées occidentaux regorgent de biens appartenant à ces peuples colonisés. Selon une étude très documentée des chercheurs de l’University College of London (UCL)1, « 55 millions d’indigènes sont morts suite à la conquête européenne des Amériques à partir de 1492. Cela a conduit à l’abandon et à la succession secondaire de 56 millions d’hectares de terres » en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Amérique du Nord.

Cette colonisation a notamment eu pour conséquences la destruction plus ou moins complète de la culture de ces peuples, « l’effondrement de la population autochtone […] principalement causé par l’introduction d’ agents pathogènes inconnus sur le continent américain (« épidémies de sols vierges ») ainsi que par la guerre et l’esclavage » et l’abandon de vastes étendues de terres agricoles. Les débats qui vont agiter les classes dominantes, la noblesse puis la bourgeoisie occidentale, en disent long sur l’arrogance, la prétention et la nature impérialiste de leurs systèmes politiques : controverse de Valladolid en 1550 sur la nature, humaine ou non, des indigènes, puis plus tard les débats contre l’esclavage avec le siècle des Lumières, le développement de la traite négrière et l’esclavage pour piller les colonies et développer les économies occidentales. En Amérique du Nord, la Grande-Bretagne qui s’était assurée le contrôle des régions côtières de l’Atlantique se heurta à la présence française au Canada, dans la région des grands lacs et la vallée du Mississipi.

L’Espagne occupait alors le Sud, notamment en Floride. Les colons anglais installés dans treize colonies se débarrasseront de la couronne anglaise en proclamant leur indépendance en 1776. Il s’en suivra une guerre de sept années qui se soldera par le traité de Paris de septembre 1783 par lequel le Royaume-Uni les reconnaîtra comme des « Etats libres et souverains ». Les premiers barons financiers véreux de la bourse de Wall Street créée en mai 1792 seront les négriers et propriétaires d’esclaves. Ursula Gertrud von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, connaît bien ce sujet puisqu’elle est elle-même descendante de l’une des principales familles esclavagiste et raciste propriétaires et marchands d’esclaves des Etats-Unis des années 1760-1800, les Ladson. Son ancêtre James H. Ladson estimait qu’« améliorer le nègre est une tâche bien plus ardue que beaucoup, qui n’ont aucune expérience dans leur enseignement, ne le savent », considérant qu’ils sont « naturellement ternes et d’un intellect faible.»2 C’était bien avant que son père, Ernst Albrecht, collabore avec d’anciens nazis comme Walter Hallstein recyclés au sein de la première Commission européenne de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) de 1951. Il y sera, en 1954, attaché auprès du conseil des ministres puis chargé de la rédaction du traité de Rome avant d’être nommé chef de cabinet de l’ancien nazi Hans von der Groeben. C’est, brièvement résumé, le passage du colonialisme à celui de l’impérialisme dans le début des années 1900 avec un événement important qui va s’y opposer : la révolution russe d’octobre 1917.

S.F. : Faut-il avoir peur de la fin de cette domination ? Faut il même la souhaiter ?

J-L.I. : Il faut la souhaiter afin que les peuples retrouvent leur souveraineté, effacent la guerre de leur quotidien et construisent un avenir de paix et de coopérations mutuellement avantageuses. C’est ce que font les peuples de plus en plus de pays tels ceux qui se retrouvent au sein de l’Organisation de coopération et de sécurité – dite aussi Organisation de coopération de Shanghai – OCS – (www.eng.sectsco.org) -, de l’Union économique eurasiatique – UEE – (www.eaeunion.org), des BRICS+ (www.infobrics.org) et d’autres organisations régionales. Quand vous regardez les progrès que font ces peuples, établissant des coopérations dans un respect mutuel malgré les différences de leur histoire, de leur culture, de leurs régimes politiques et de leur développement vous pouvez imaginer le monde plus beau. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité clore mon enquête sur Les destructeurs par une note optimiste en montrant quelques aspects de ce nouveau monde qui émerge.

Alors qu’ils pensaient conquérir le monde par la force, les dirigeants impérialistes de Washington sont aujourd’hui acculés à sauver leur système de domination et d’exploitation. Une quarantaine d’années plus tard, la petite phrase de Georgi Arbatov, conseiller politique de plusieurs dirigeants du Parti communiste d’Union soviétique, spécialiste en relations internationales et fin connaisseur de l’Amérique du Nord, commence à prendre tout son sens. Rencontrant en 1987 des représentants de l’Administration étasunienne, il leur déclara : « Nous allons vous rendre le pire des services : nous allons vous priver d’ennemi ! ».

Quatre ans plus tard, la prétendue « menace communiste », bien identifiée, répétée à longueur de propagande, prévisible, facile à désigner au travers du mur de Berlin, allait disparaître avec la suppression du « rideau de fer ». Ce fut un pas important pour que le continent européen retrouve dans un premier temps l’intégrité de son espace géographique, condition essentielle de ses retrouvailles politiques, économiques, culturelles d’Est en Ouest. Certains occidentaux sont aujourd’hui nostalgiques de cette période de guerre froide. Ils se mettent, comme la Finlande et les Pays Baltes, à reconstruire eux-mêmes un nouveau « rideau de fer » pour barricader leurs frontières. Ils n’ont visiblement pas retenu grand-chose des leçons de l’Histoire. Avec une âme de valet, ils laissent les dirigeants impérialistes de Washington diviser à nouveau le continent européen et décider de leurs frontières. Ceux-ci ont besoin d’ennemi pour emmener les peuples dans les guerres nécessaires à la subsistance du capitalisme. La fin de cette domination ne se fera pas sans casse.

Déjà, au-travers de l’Otan l’Union européenne accueille sur son sol des contingents entiers de soldats étrangers, multiplie des manœuvres militaires d’envergure et provocations aux portes de la Fédération de Russie. De plus elle accompagne Washington dans l’aggravation des conflits sur le Proche Orient, du Liban au Yémen en passant par la Palestine. Ces actions, caractéristiques de préparatifs de guerre, provoquent une rupture du processus de paix sur l’Europe occidentale et ont pour objectif premier de diviser les Européens entre eux. La destruction de la République fédérative de Yougoslavie, à partir de 1986, permit à l’état-major étasunien d’évaluer les réactions de leurs « alliés » européens et d’analyser jusqu’où et comment ils devaient procéder pour les emmener dans leurs guerres. Afghanistan, Yougoslavie, Irak, Libye, Ukraine, destruction d’infrastructures européennes comme le sabotage le lundi 26 septembre 2022 des gazoducs du Nord Stream 1 (NS1) et 2 (NS2) qui devaient relier la Russie à l’Europe occidentale…. Partout où flotte le drapeau de l’Otan ce ne sont que provocations, déstabilisation, guerre et destruction. Sauf à vouloir continuer de payer financièrement et humainement les guerres des impérialistes de Washington et leurs conséquences, sortir du bloc militaire de l’Otan est une urgence pour tous les Européens attachés à la paix et à la réunification du continent Européen.

S.F. : Au delà de l’hégémon Américain, il y a l’Europe vassalisée mais aussi la Corée du Sud et le Japon. Le pillage de ces dominions assumé par le cœur de l’Empire n’est il pas une solution de court terme qui accélère la fin ?

J-L.I. : Oui, effectivement. Au-delà de la sauvegarde de leur système, les grandes puissances financières capitalistes sont concurrentes entre elles. Elles ont besoin de l’Etat pour survivre et assurer la sauvegarde de leur système déclinant. Mais celui-ci est de plus en plus appauvri par leur prédation (évitement fiscal, chiffres d’affaires de sociétés exporté dans des structures offshore, destruction des services publics, désindustrialisation, etc.). Les dirigeants dont elles ont assuré la promotion au sein du pouvoir renflouent par des aides financières de toutes sortes les trésoreries des mêmes sociétés transnationales qui évadent partie de leurs profits dans des structures offshore tout en multipliant les plans de suppression d’emplois, les délocalisations et fermetures d’entreprises. Je rappelle dans Les destructeurs que lors de la crise financière de 2008-2009, General Electric (GE) aurait déposé son bilan si le gouvernement étasunien n’avait pas injecté 139 milliards de dollars dans l’entreprise en 2008 pour la sauver de la crise des subprimes. Puis qu’en 2016, GE qui venait de s’approprier Alstom avec le soutien actif du ministre de l’Economie de l’époque, Emmanuel Macron, était à nouveau surendettée à hauteur d’environ 135 milliards de dollars et supprimera des dizaines de milliers d’emplois dans ses filiales en Europe.

C’est encore l’Etat qui intervient pour faciliter leurs opérations d’accaparement de territoires, de richesses, d’entreprises stratégiques. Et c’est toujours l’Etat qui intervient pour financer et mener les guerres indispensables à cette fuite en avant pour préserver le capitalisme. Depuis la disparition de l’Union soviétique le capitalisme appert plus fortement sous son vrai jour : l’augmentation des guerres de Washington accompagne l’accélération de l’effondrement économique, financier, politique, culturel et moral des pays occidentaux. Les manœuvres incessantes contre la République populaire de Chine, contre Taïwan et les actions diverses contre les Corées et la Japon sont loin des préoccupations des Etasuniens. Elles témoignent de l’affolement des impérialistes qui voient le monde leur échapper mois après mois. Une donnée ne doit pas être sous-estimée : de plus en plus d’Etasuniens prennent conscience que ces guerres sont complètement étrangères à leurs intérêts comme à ceux des Etats-Unis. Leur pays est en délabrement, leurs conditions de vie se détériorent, les budgets sociaux et de développement sont régulièrement amputés de centaines de milliards de dollars au bénéfice du complexe militaro-industriel alors que plus de 65 millions d’Etasuniens survivent avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, que l’insécurité alimentaire touche 40 millions d’entre eux et qu’en plus leurs enfants vont mourir dans des guerres qui ne les concernent en rien. Petit à petit la fracture s’agrandit entre le peuple et les milieux impérialistes qui ont fait main basse sur le pouvoir de Washington depuis des décennies. Comment vont-ils se débarrasser de ceux-ci est une autre histoire mais une histoire en devenir.

S.F. : Pourrait-on revoir un monde bipolaire comme on l’a connu après la 2nd Guerre mondiale ? Pour combien de temps et avec quelles porosités ?

J-L.I. : Pour l’essentiel, le temps du monde bipolaire est enterré depuis le début des années 1990. Mais l’accélération du processus de multipolarité, nécessaire pour en finir avec l’US Imperium, exige des acteurs de cette multipolarité un engagement total, sur tous les fronts – politique, financier, économique, culturel, militaire – contre les forces impérialistes. Or, les conditions ne sont pas encore complétement réunies. Le pouvoir de la Fédération de Russie s’il joue un rôle important et décisif dans cette libération des peuples de l’US Imperium reste, de mon avis, trop sur la défensive. Pourquoi avoir attendu sept années, entre 2015 et 2022, pour assurer la protection des Ukrainiens dont près de 20 000 d’entre eux ont été assassinées pour s’opposer à la dictature de Kiev, à sa violation des accords de Minsk de septembre 2014 et février 2015 et à son génocide contre toute personne s’exprimant en russe ?

Le commerce d’armes et de technologies de pointe sont encore en cours par des pays membres de l’OCS ou des BRICS+ avec les Etats-Unis et des pays occidentaux au prétexte déclaré par quelques uns d’équilibre des relations et de neutralité. Mais quel « équilibre » et quelle « neutralité » peut-il bien y avoir avec des dirigeants d’Etats comme ceux des Etats-Unis ou de la plupart des pays membres de l’Union européenne qui passent leur temps à piétiner les conventions et accords internationaux ? On ne peut vouloir agir à la fois pour un monde de paix et de coopération et maintenir de telles relations avec des dirigeants qui n’ont de cesse de contaminer les peuples avec leur crise et de vouloir les soumettre par leurs guerres. La Fédération de Russie peut se passer des pays d’Europe occidentale et centrale. Elle n’a pas besoin de leurs capitaux ni de leurs entreprises mais ceux-ci semblent oublier qu’ils ont besoin de la Russie.

Il est évident que l’organisation du monde multipolaire est un long processus qui est en bonne voie tant il est vrai qu’il faut plus de temps pour gagner les consciences sur des faits réels et complexes, faisant appel à l’intelligence, que pour les chloroformer par des campagnes politico-médiatiques comme le font les centres de propagande des Etats-Unis et de l’Union européenne. Dans ce chaos qui gagne en ampleur la dédollarisation continue des économies favorise le processus d’émancipation des pays de l’US Imperium. Selon les statistiques publiées par le Fonds Monétaire international (FMI) en décembre 2023, la part du dollar US dans les réserves des banques centrales a chuté de 70 % à 59,2 %, son plus bas niveau depuis 25 ans. De même l’euro, deuxième monnaie la plus détenue dans les réserves mondiales, a également connu une baisse en tombant juste en dessous de 20 %.

Ce processus doit s’inscrire dans la durée tout en développant dans le même temps une monnaie commune aux pays souhaitant en finir avec l’US Imperium. Au sein du groupe des pays BRICS+ qui représente près de 50% de la population mondiale au 1er janvier 2024 un système de paiement se met en place qui permet à tous ses pays membres, mais également à leurs partenaires, de procéder à des échanges économiques et financiers à partir de leurs propres devises. La Nouvelle banque de développement (NDB) créée en 2014 comme alternative à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI) a ouvert ses portes à de nouveaux membres et poursuit son développement avec succès. L’un des constats essentiels de ces vingt dernières années est qu’il ne peut plus y avoir de monde bipolaire dans un monde ou quelques Etats occidentaux, emmenés par les impérialistes de Washington, foulent systématiquement le droit international pour guerroyer contre les peuples et s’approprier leurs richesses. Ces pays s’isolent d’eux-mêmes du reste du monde qui rejette leur arrogance, leurs prétentions hégémoniques et leurs guerres. Bien entendu, compte tenu de l’impuissance de l’ONU à résoudre les conflits et à assurer la paix, il est nécessaire que les dirigeants russes et étasuniens puissent se parler pour de multiples raisons. Mais ce ne peut être le cas actuellement en raison de l’infirmité cérébrale aggravée de l’occupant du bureau ovale qu’il l’empêche de voir le monde tel qu’il est mais cela peut changer avec les élections présidentielles à venir.

S.F. : Ou autre scénario, pourrait-on voir l’Europe occidentale basculer vers l’Asie dans un sursaut pour s’arrimer à cet espoir qui se lève à l’Est comme vous l’écrivez ?

J-L.I. : C’est un scénario envisageable mais celui-ci ne peut se réaliser qu’avec la marginalisation et la liquidation politique des dirigeants atlantistes au pouvoir porteurs de l’US Imperium. Il appartient aux peuples de l’Union européenne de faire leur choix. La sortie de l’Union européenne et l’arrivée au pouvoir de dirigeants soucieux des intérêts de leurs pays, de sa souveraineté, de la démocratie et de la coopération entre pays européens favoriserait cette situation. L’intérêt des peuples européens, de la mer d’Irlande au détroit de Béring, est d’assurer la paix sur le continent Européen et de développer des coopérations mutuellement avantageuses.

C’est ce que veulent empêcher à tout prix les dirigeants impérialistes de Washington car ils savent que cette grande Europe réelle deviendrait alors la première puissance mondiale, situation qui mettrait fin à leur hégémonie au-travers de l’Union européenne. Mais, dès aujourd’hui, on pourrait très bien imaginer que des représentants de partis opposés à l’US Imperium s’intéressent au fonctionnement de l’Union économique eurasiatique et de l’OCS par le fait que ces organisations joueront un jour un rôle important dans les relations que pourraient développer une France souveraine, débarrassée du carcan de l’Union européenne, avec les autres pays libres d’Europe. Mais il faut pour cela des dirigeants qui réfléchissent au développement de leur pays sur le moyen et long terme et à son rôle dans l’Europe réelle.

S.F. : Quels sont les critères que les gens peuvent observer pour mesurer dans quelle mesure l’Empire se renforce ou se délite ?

J-L.I. : Les meilleurs critères résident dans leur vécu de la politique de l’Union européenne. Dans un ouvrage à paraître aux Editions Jean-Cyrille Godefroy le 7 mai prochain sous le titre Bilan noir – L’Union européenne contre la France – je fais le point, secteur par secteur, de 74 années de supranationalité dont 32 d’Union européenne. Je ne vais pas évoquer ici en détail la situation des Français dont 7 sur 10 renoncent à se soigner en raison de l’éloignement géographique, de délais d’attente trop longs pour obtenir une consultation ou d’un reste à charge trop important, ni celle des 15 millions de citoyens touchés d’une manière ou d’une autre par la politique désastreuse du logement, la désindustrialisation continue du pays, le déficit agricole sans précédent depuis 1945, celui du commerce extérieur également en déficit de 105 milliards d’euros pour l’année 2023 ou la détresse des marins pêcheurs menés en bateau par l’Union européenne.

Je citerai simplement un rapport du Système européen d’analyse politique et stratégique (ESPAS). Cet organisme ne peut être soupçonné d’être communiste et révolutionnaire puisqu’il est l’expression de la collaboration institutionnelle entre les fonctionnaires du Conseil européen, de la Commission européenne, du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne et du Service européen pour l’action extérieure avec différents organismes de l’Union. Ce rapport prévoit à l’horizon 2030 « une augmentation de 45 % du chômage, un risque accru de pauvreté touchant près de 130 millions d’Européens et l’exclusion des jeunes – dont 14 millions ne sont ni étudiants ni employés -». Cette étude souligne notamment que « de manière plus générale, les membres vulnérables de la société – jeunes, femmes, travailleurs en fin de carrière, immigrants – seront les plus touchés par l’augmentation des inégalités en Europe. » 3

Cette projection statistique confirme les grandes tendances actuelles. Rester dans l’Union européenne ne fera donc qu’aggraver encore plus la situation des peuples de l’Union. C’est l’une des raisons pour lesquelles je pense que le boycott des élections des eurodéputés qui doivent se tenir au mois de juin et auquel appelle le Pôle de renaissance communiste en France (PRCF) doit être suivi. Les dirigeants de partis politiques comme le Pcf qui prétendent depuis les années 2000 « réorienter la politique de l’Union européenne » et d’autres qui présentent des « eurodéputés résistants » trompent les citoyens. Qu’ils aient au moins l’honnêteté de faire leur bilan ! Ce n’est pas en cautionnant l’Union européenne, organisation atlantiste, anti-nationale, anti-démocratique et militariste que l’on sortira de la domination de la grande finance.

Et même si chacun de ces groupes avaient 15 ou 20 eurodéputés élus que pourraient-ils faire d’autre que des discours sans lendemain dans une organisation conçue dès les origines de la supranationalité, entre 1940 et 1950, pour être dominé par les forces atlantistes ?! C’est l’occasion de créer par l’abstention les conditions pour quitter l’Union européenne, la zone euro et l’Otan afin de prolonger les luttes qui se développent et faire de la France un pays souverain rétablissant la paix sur le continent. Il n’y a pas d’autre alternative pour sortir de la crise et de la guerre que de chasser du pouvoir ceux que Jacques Chirac stigmatisa dans son Appel de Cochin, en décembre 1978, comme « les partisans du renoncement et les auxiliaires de la décadence du parti de l’étranger. »

S.F. : Ce livre est un hymne à l’Europe des peuples Mais sont-ils toujours là ?

J-L.I. : A force de renoncements, égaré par un déluge de propagande politico-médiatique, en l’absence de grand parti révolutionnaire influent et d’abandons successifs du parti gaulliste, le peuple français s’est laissé neutraliser dans sa masse. Un fait peu médiatisé illustre en 2024 la décadence des peuples de l’Union européenne dont les hauts fonctionnaires de l’Union européenne enlèvent jusqu’à leur dignité : A la demande d’Eurostat – la direction de la Commission européenne chargée de l’information statistique à l’échelle communautaire –, depuis le mois de mai 2018 l’Insee a intégré le produit financier du trafic de drogue, illégal, dans le calcul de la croissance (Produit intérieur brut – PIB). Ce système permet de camoufler le recul du niveau de vie au sein des pays membres de l’Union européenne par la production de statistiques biaisées.

En 2020, alors que la dépense de consommation finale totale des ménages présentait « une chute sans précédent dans l’histoire des comptes nationaux français » de – 7,1 % avec une chute du PIB de -7,9 % – celle-ci était réduite par l’augmentation de la consommation de drogues. L’Insee estime alors à 51,5 milliards d’euros les dépenses des Français pour l’alcool, le tabac et la drogue. Dans ce budget, 4,2 milliards d’euros sont estimés destinés à l’achat de drogues. De plus la France ne devrait pas manquer de s’aligner sur les recommandations de la Commission européenne et d’Eurostat de prendre également en compte le produit d’autres activités criminelles comme la prostitution. Déjà, des pays – Autriche, Estonie, Finlande, Norvège, Slovénie, Suède, Espagne, Italie – intègrent les revenus de la prostitution et/ou de la drogue dans le calcul de leur PIB comme une simple activité économique. J’explique dans Les destructeurs comment l’Etat manipule ces statistiques économiques de la comptabilité nationale en faisant des drogués et des prostituées une richesse nationale.

Pour les dirigeants de l’Union européenne qui n’arrêtent pas de discourir sur les droits de l’Homme, sans doute est-il normal qu’une femme soit contrainte d’être réduite à l’état de « travailleuse de sexe » pour survivre ou rembourser les passeurs qui lui ont permis de goûter au « rêve occidental » ? Autre aspect de la décadence : des hommes se font transformer en femme, des femmes en hommes, se marient et achètent des enfants vendus par des agences spécialisées, sorte de trafic d’êtres humains légalisé. Et, comme le décrit l’écrivain Claude Janvier, « le wokisme, la théorie du genre et le lobby du LGBétisme (LGBTQIA+63) sont largement promus par des multinationales. »4

L’affaire Jeffrey Epstein5 dont le volet français fut très vite oublié par les médias, la pédophilie impliquant des milliers de prêtres dans les structures de l’église catholique, les relations de la mafia avec des dirigeants de la Maison Blanche6, la pénétration du secteur financier par l’argent criminel tout particulièrement dans les places offshore, le développement du trafic des drogues ne sont plus de simples faits divers sporadiques. Tout n’a pas encore été dit sur le réseau Epstein que côtoyaient de plus ou moins près, les uns pour leurs relations mondaines entre milliardaires, d’autres pour profiter sexuellement de jeunes filles mineures dans des partouzes, des personnages comme les Clinton et leur fondation, des membres de la couronne anglaise, des ministres, des magistrats, des dirigeants de grandes banques et de sociétés importantes de nombreux pays.

Ce sont les symptômes du pourrissement des sociétés par le capitalisme auquel le crime organisé est de plus en plus étroitement lié. Ces derniers temps de nombreux ouvrages paraissent sur ces questions importantes qui ont en commun d’être systématiquement ignorés par les médias subventionnés. C’est le cas de l’enquête du journaliste Xavier Raufer sur Jeffrey Epstein publiée aux Editions du Cerf ou de l’un des plus importants travaux sur la criminalité financière débridée réalisé par Jean-François Gayraud. Ce haut fonctionnaire de la police nationale décrit fort bien et de manière très accessible ces phénomènes très complexes dans son ouvrage Le nouveau capitalisme criminel7. Pendant ce temps, comme je le montre dans Les destructeurs en passant en revue le développement des relations entre les nombreux pays de l’OCS, des BRICS+ et de l’Union économique eurasiatique (UEE), la jeunesse de ces peuples travaille aux grands chantiers de l’avenir. Par exemple, dans le cadre d’un programme conjoint entre la République populaire de Chine et la Fédération de Russie, les étudiants qui se spécialisent dans les matières phares en Russie telles que l’aviation et l’espace, la fabrication mécanique et l’ingénierie des nouveaux matériaux pétroliers ont la priorité de sélection lorsqu’ils postulent pour étudier en Fédération de Russie. La totalité des frais de scolarité est payée par la partie russe tandis que le gouvernement chinois finance les voyages et fournit des subventions. Où en sont les peules français et russe, pour ne prendre que ces deux exemples ? Au plan économique, le président Macron déclarait en mars 2022 que « la Russie est en cessation de paiement », ce qui était un mensonge grossier. Son « sinistre » de l’Economie, l’esbroufeur Bruno le Maire, et la présidente Von der Leyen de la Commission européenne rêvaient tout haut de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ».

Où en sommes-nous deux ans plus tard ? Début 2024, alors l’Union européenne s’enfonce dans la récession, que la France connaît un déficit commercial et agricole historique, une dette publique de plus de 3000 milliards d’euros auxquels s’ajoute un endettement des entreprises et des ménages de 4000 milliards d’euros, que la désindustrialisation se poursuit et que le chômage, la précarité et la pauvreté augmentent, la Fédération de Russie est en plein développement économique. Quelques chiffres de l’année 2023 en témoignent : progression économique avec un PIB en augmentation de + 3,7%, augmentation moyenne du salaire réel de 12% avec une montée du pouvoir d’achat dans les régions qui étaient défavorisées, un développement de la construction, de l’agriculture, de l’industrie – notamment manufacturière -, du commerce de détail8

Au point que la Fédération de Russie est devenue en parité de pouvoir d’achat la première puissance économique européenne et s’approche de l’autosuffisance alimentaire malgré les sanctions occidentales ! Le départ de certaines entreprises occidentales à la demande de Washington et de l’Union européenne a été bénéfique puisque les entreprises russes y ont vu l’opportunité de gagner des parts de marchés. La croissance importante de leurs investissements pour développer leurs systèmes de production locaux a déjà produit des retombées en 2023 et en aura bien plus dans les années à venir. Il faut remercier les sanctionneurs occidentaux qui ont finalement permis à la fois à la Fédération de Russie de renforcer plus rapidement sa souveraineté économique et financière et de développer ses relations en les diversifiant avec de très nombreux pays d’Asie, d’Afrique, du Golfe et d’Amérique latine et centrale.

De plus ces sanctions ont vraiment mis « l’économie russe à genoux » en favorisant… le développement de l’emploi jusqu’à une situation de plein emploi. Les 72 millions de travailleurs russes employés en décembre 2022 dans les entreprises de tous secteurs sont 74 millions en décembre 2023 soit une augmentation exceptionnelle de 2 millions de travailleurs en seulement une année ! Cela a également provoqué une amélioration de la qualité de l’emploi puisque les 2,8% de chômeurs actuels sont des personnes à la recherche d’un emploi plus rémunérateur et/ou plus qualifié leur convenant mieux.

Combien la France et les pays de l’Union européenne ont-ils perdus d’entreprises délocalisées, fermées et d’emplois dans la même période ?!… Le peuple russe est donc bien debout et ses relations s’accélèrent aujourd’hui avec les autres peuples du groupe BRICS+ et de l’OCS notamment. De manière plus générale, en début d’année 2023, ils représentaient 32,1 % du PIB mondial. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que cette part va continuer d’augmenter par le fait que la croissance des pays du groupe BRICS+ soutenue par la Fédération de Russie, la République de l’Inde et la République populaire de Chine est beaucoup plus forte que celle des pays occidentaux et celle-ci pourrait représenter 33,6 % du PIB mondial9 en 2028. De plus, cette projection ne tient pas compte de la future adhésion de nouveaux pays au groupe BRICS+. Il y a donc des pays où les peuples sont bien vivants et s’efforcent de construire un avenir meilleur dans la paix pendant que ceux des Etats-Unis et de l’Union européenne sombrent dans la crise et s’enlisent dans les guerres de Washington.

  1. Earth system impacts of the European arrival and Great Dying in the Americas after 1492 (Impacts sur le système terrestre de l’arrivée des Européens et de la grande mort dans les Amériques après 1492), par Alexander Koch, Chris Brierley, Matk M.Maslin, Simon L.Lewis, dans Quaternary Science Reviews, Volume 207, 2019, pages 13-36, ISSN 0277 3791. https://doi.org/10.1016/j.quascirev.2018.12.004 (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277379118307261)
  2. L’instruction religieuse des nègres, par James H. Ladson (1845). Parmi les ancêtres de Von der Leyen, née Albrecht, figurent notamment Joseph Wragg et Benjamin Smith, deux des plus grands marchands d’esclaves en Amérique du Nord britannique. Au moment où l’esclavage fut aboli aux États-Unis, son ancêtre James H. Ladson (1795–1868) détenait environ deux cents esclaves. Source : The history of Georgetown County, South Carolina, University of South Carolina Press, 1970, p. 297.
  3. ESPAS (European Strategy and Policy Analysis System), Rapport Tendances mondiales à l’horizon 2030 : l’Union européenne peut-elle relever les défis à venir ? p.65, Luxembourg, Office des publications de l’Union européenne, 2015. www.espas.secure.europarl.europa.eu
  4. Les démasqués, par Claude Janvier, KA’Editions
  5. Jeffrey Epstein, l’âme damnée de la IIIè culture, par Xavier Raufer, éd. du Cerf
  6. La mafia et la Maison Blanche, un secret bien gardé de Roosevelt à nos jours, par Jean-François Gayraud, éd. Plon
  7. Le nouveau capitalisme criminel, par Jean-François Gayraud, préface de Paul Jorion, éd. Odile Jacob.
  8. Voir l’émission La fin de l’économie russe ? avec l’interview de l’économiste Jacques Sapir sur République souveraine (www.republique-souveraine.fr)
  9. Source : Données du FMI, 12 avril 2023
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