Le 18 janvier 2017 – Source Systemic Disorder
Juste au moment où il semblait que nous étions à court de superlatifs pour démontrer les inégalités monstrueuses du capitalisme d’aujourd’hui, Oxfam en a fourni l’exemple le plus frappant : huit individus, tous des hommes, possèdent autant de richesse que les 50% plus pauvres de l’humanité.
Huit personnes ont autant que 3.7 milliards d’êtres humains.
Comment est-ce possible ? Oxfam a calculé que 85 personnes étaient aussi riches que la moitié de l’humanité la plus pauvre en 2014, une constatation stupéfiante que les chercheurs qui travaillent avec l’organisation de lutte contre la pauvreté ont découverte en analysant les chiffres fournis par le magazine Forbes dans sa liste des riches et par la banque d’investissement Crédit Suisse dans son rapport sur la répartition de la richesse mondiale. Oxfam a trouvé que la répartition de la richesse est encore plus inégale que ledit Crédit Suisse, qui a calculé que le 1% du haut était égal aux 50% du bas. Oxfam, dans son rapport, An Economy for the 99% [Une économie pour les 99%], publié ce mois, explique :
« Cette année, nous constatons que la richesse des 50% inférieurs de la population mondiale était plus basse qu’estimé précédemment, et il suffit de seulement huit individus pour égaler la totalité de leur richesse. Chaque année, Crédit Suisse obtient de nouvelles et meilleures sources de données à partir desquelles évaluer la répartition de la richesse mondiale : son dernier rapport montre qu’il y a plus de dettes dans le groupe des pays les plus pauvres et moins d’actifs dans les 30% à 50% de la population mondiale. L’an dernier on a estimé que la part cumulée de la richesse des 50% les plus pauvres était de 0.7% ; cette année elle est de 0.2%. » [page 11]
Oxfam inclut dans les 50% inférieurs des personnes des pays capitalistes avancés de l’hémisphère nord qui ont une valeur nette de moins de zéro due à la dette, et donc certains critiques pourraient soutenir que ces gens sont quand même « riches en revenus » parce qu’ils peuvent accéder au crédit et donc distordre le résultat de l’inégalité. Oxfam, cependant, dit que presque trois quarts de ceux qui forment les 50% inférieurs vivent dans des pays à faibles revenus, et qu’exclure les gens du Nord avec une richesse négative ferait peu de différence dans l’inégalité globale. La dette totale est égale à seulement 0.4% de la richesse mondiale. Le rapport d’Oxfam dit :
« Tout en haut, les données de cette année révèlent qu’ensemble les huit individus les plus riches ont une fortune nette de 426 milliards de dollars, ce qui est la même chose que la richesse nette de la moitié inférieure de l’humanité […] Des estimations de Crédit Suisse révèlent que pris ensemble, collectivement, les 50% des personnes les plus pauvres ont moins d’un quart de 1% de la richesse mondiale nette. 9% des personnes dans ce groupe ont une richesse négative, et la plupart d’entre elles vivent dans des pays plus riches où les emprunts étudiants et autres facilités de crédit sont accessibles. Mais même si nous écartons les dettes de gens vivant en Europe et en Amérique du Nord, la richesse totale des 50% du bas est toujours inférieure à 1%. » [page 10]
Profiter de la main d’œuvre bon marché et du travail forcé
Nous avons l’habitude d’entendre que les grands dirigeants des entreprises basées aux États-Unis gagnent des centaines de fois plus que la moyenne de leurs employés, mais on trouve aussi cette dynamique dans le monde [dit] en développement. Peu importe où vivent les PDG, l’exploitation brutale et sans frein des travailleurs est le moteur de l’inégalité. Oxfam rapporte :
« Le PDG de la première entreprise d’informatique d’Inde gagne 416 fois le salaire d’un employé type dans sa société. Dans les années 1980, les producteurs de cacao recevaient 18% de la valeur d’une barre de chocolat – aujourd’hui ils n’en obtiennent que 6%. Dans les cas extrêmes, le travail forcé ou l’esclavage peuvent être utilisés pour réduire les coûts de l’entreprise. L’Organisation internationale du travail estime que 21 millions de personnes sont des travailleurs forcés, générant 150 milliards de dollars de bénéfices estimés chaque année. Les plus grandes entreprises de textile au monde ont toutes été associées à des filatures de coton en Inde, qui utilisent régulièrement le travail forcé de fillettes. » [page 3]
Les gens entrent comme ouvriers dans les sweatshops [littéralement les ateliers de la sueur, NdT] par désespoir ; souvent ce sont des hommes et des femmes chassés de la terre que leurs familles cultivaient depuis des générations. La terre, même de petites parcelles qui n’assurent la subsistance qu’à ceux qui la travaillent, représente la richesse soustraite lorsque ces paysans sont forcés d’émigrer dans les bidonvilles urbains. Les déplacements dus au réchauffement climatique sont un autre facteur.
« Beaucoup de gens victimes de la pauvreté dans le monde voient une érosion de leur principale source de richesse – à savoir la terre, les ressources naturelles et leurs maisons – en raison de droits fonciers précaires, de l’accaparement des terres, de la fragmentation et de l’érosion des terres, du changement climatique, des expulsions des villes et des déplacements forcés. Tandis que le total des terres agricoles a augmenté à l’échelle mondiale, les petites fermes familiales exploitent une part décroissante de leur terre. La propriété de la terre dans le quantile de la richesse le plus pauvre a chuté à 7.3% entre les années 1990 et les années 2000. Les changements dans la propriété foncière dans les pays en développement sont généralement dus à des acquisitions à grande échelle, qui voient le transfert des terres de petits paysans à de grands investisseurs et leur conversion de l’agriculture de subsistance à une exploitation commerciale. Jusqu’à 59% des transactions foncières couvrent des terres communales revendiquées par des peuples autochtones et de petites communautés, ce qui se traduit par le déplacement potentiel de millions de gens. Pourtant, seuls 14% des transactions ont passé par un processus approprié pour obtenir « un consentement libre et éclairé ». La répartition des terres est la plus inégale en Amérique latine, où 64% de la richesse totale est liée à de la terre ou à des maisons et où 1% de « super-fermes » contrôlent maintenant des terres plus productives que les 99% restantes. » [page 10]
Alors que des zones entières du monde, comme l’Amérique latine, ont été pillées au bénéfice de sociétés multinationales basées dans l’hémisphère Nord, avec les avantages qui en résultent pour les directeurs et les financiers qui contrôlent ces sociétés, il n’est pas surprenant que la plus grande partie de la richesse reste concentrée dans les pays capitalistes avancés. Bien que se gardant de la moindre allusion à la nature impérialiste du développement inégal, le rapport de Crédit Suisse cité par Oxfam note que l’Amérique du Nord et l’Europe représentent ensemble 65% de la richesse totale des ménages avec seulement 18% de la population adulte mondiale.
Le sociologue James Petras estime que les grandes entreprises et les banques du Nord ont extrait 950 milliards de dollars de l’Amérique latine pour la période allant de 1975 à 2005. Ce n’est donc pas une surprise si les inégalités mondiales, lorsqu’elles sont mesurées avec les méthodes statistiques standard de la répartition des revenus, le coefficient de Gini, soient supérieures aux inégalités dans chaque pays.
De nouveaux programmes pour aggraver encore les inégalités
Peu de pays de l’hémisphère Nord sont plus inégaux que les États-Unis, le centre impérial du système capitaliste mondial qui cherche à imposer ses voies et sa culture au reste du monde. La nouvelle administration Trump est déterminée à rendre les inégalités aux États-Unis encore pires. Non seulement par ses intentions de réduire les impôts sur la fortune et pour les grandes entreprises, mais par de nombreuses méthodes moins évidentes.
Par exemple, le Centre pour les priorités budgétaires et politiques rapporte que l’abrogation de la Loi sur les soins abordables de Barack Obama, un processus déjà entamé, entraînerait des réductions d’impôts de 2.8 milliards de dollars par année pour les 400 contribuables aux plus hauts revenus du pays. Les taxes spéciales pour Medicare qui financent les subsides pour les Étasuniens à bas revenus afin qu’ils puissent contracter une assurance en vertu de la loi sont basées seulement sur ceux dont les revenus annuels dépassent 200 000 dollars. Inversement, la perte des réductions d’impôts pour contracter une assurance déboucherait sur une hausse pour environ sept millions de familles à bas revenus ou à revenus modestes.
Jusqu’à la fin de 2016, les banques centrales de Grande-Bretagne, de l’Union européenne, du Japon et des États-Unis ont déversé un total colossal de 8 000 milliards de dollars US (€7.4 trillion) dans leurs programmes de « quantitative easing » – c’est-à-dire des programmes qui achètent des obligations d’État et d’autres dettes dans un effort pour stimuler l’économie, mais qui ne font pas grand chose d’autre que d’alimenter les bulles spéculatives sur les marchés boursiers et, accessoirement, les bulles immobilières. Une large reconstruction de l’infrastructure en ruine – un programme qui mettrait réellement les gens au travail – aurait coûté moins cher.
L’idéologie économique dominante insiste sur le fait que le vrai problème vient de ce que les salaires n’ont pas assez baissé ! Cohérente avec cette position, la Réserve fédérale a publié un article en 2015 affirmant que les « rigidités » « empêchent les entreprises de réduire les salaires autant qu’elles le voudraient » pendant les périodes de ralentissement économique.
C’est ça, des salaires qui baissent au lieu de salaires qui stagnent apporteront des temps heureux ! Peu importe que la productivité soit montée en flèche depuis 40 ans, tandis que les salaires ne suivaient pas systématiquement. Les ménages canadiens et étasuniens moyens gagneraient des centaines de dollars de plus par semaine si les salaires avaient suivi les gains de productivité, tandis que les salaires en Grande-Bretagne et dans de nombreux autres pays sont aussi à la traîne.
Que faire ? Dans ses conclusions le rapport d’Oxfam préconise un passage à une « économie humaine », dans laquelle les gouvernements « rendent des comptes aux 99% », où les entreprises s’orienteraient vers des politiques qui « profitent à tout le monde », où la durabilité et l’égalité seraient primordiales.
« Oxfam croit fermement que l’humanité peut faire mieux », conclut le rapport. Nous pouvons certainement faire mieux. Mais pas sous le capitalisme. Quelqu’un croit-il que les élites mondiales qui profitent de manière si monstrueuse et qui croient qu’elles peuvent construire un mur assez haut pour éloigner les problèmes sociaux et environnementaux vont subitement accepter que le business as usual ne peut plus durer et renoncer volontairement à leurs immenses privilèges ?
Note du Saker Francophone On peut bien sur contester certains arguments avancés mais le constat global est saisissant. On a aussi en ce moment l'apparition dans les médias avec Hamon et Junker d'une idée qui est en discussion sur le Web, le revenu de base. Je vous laisse avec Gérard Foucher qui décrypte pour nous les arrières pensées de nos dirigeants pour détourner des idées venant du bas.
Traduit par Diane, vérifié par Julie, relu par Cat pour le Saker francophone
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