Par Andrew Korybko – Le 9 décembre 2016 – Source OrientalReview
La dernière partie de la recherche sur la guerre hybride dans la région de la Corne de l’Afrique se penche sur les quatre scénarios les plus probables par lesquels toute la stabilité de la région peut être perturbée. Les deux sections précédentes ont examiné l’état des lieux dans cette partie de l’Afrique et les situations stratégiques distinctes entourant chacun des pays étudiés. Ayant établi le contexte approprié pour comprendre, il est maintenant temps de résumer les conclusions plus générales. Pour être succinct, elles se résument à quatre types différents de scénarios de conflit : une guerre chaude; une guerre hybride; une guerre terroristes-irrédentistes; et une guerre provoquée par les réfugiés.
La guerre froide éthiopienne-érythréenne devient chaude
En raison de l’imprévisibilité du gouvernement érythréen et de l’opacité de l’information à l’intérieur du pays, il est très difficile de savoir exactement quels types de plans pourraient être établis dans l’État de la mer Rouge. On peut présumer en toute sécurité que l’Éthiopie ne provoquera pas un conflit potentiellement déstabilisant avec son ancienne province parce que cela n’a aucun sens sur le plan stratégique, alors que l’Érythrée a un réel avantage subjectif à acquérir si ce pays peut renverser le gouvernement de son rival, s’il peut diviser le territoire de l’Éthiopie en dominions fédéralisés selon leur identité, et s’il peut même répéter ce scénario érythréen encore et encore jusqu’à ce que l’Éthiopie elle-même cesse d’exister en tant qu’entité géopolitique.
Faire monter les enchères autour d’un potentiel conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée est la conséquence de la nouvelle relation d’Asmara avec le CCG, qui pourrait finir par se laisser entraîner dans un conflit éventuel (que ce soit directement par des troupes ou indirectement par l’intermédiaire d’une assistance) ou comme un moyen de faire dérailler l’ascension de ce qui deviendrait autrement le leader incontesté et multipolaire de la super région. Tout soutien du CCG à l’Érythrée, voire les prétentions de celui-ci, serait sans doute de nature à ébranler la Chine, qui s’appuiera bientôt sur quelques-unes de ses forces basées dans première installation militaire d’outre-mer à Djibouti et aura un intérêt direct à voir l’un de ses plus proches alliés non asiatiques rester stable et réussir sa montée en puissance rapide. La principale préoccupation de la Chine concernant le bien-être de l’Éthiopie est le chemin de fer qu’elle a construit entre ce pays et Djibouti, la première voie d’accès fiable depuis l’indépendance de l’Érythrée en 1993, un atout majeur du géant africain pour atteindre l’économie mondiale. La Chine envisage que l’Éthiopie jouera un rôle clé en tant que nœud principal le long de la plate-forme de connectivité mondiale One Belt One Road (OBOR), et comme tel, elle répondrait probablement négativement à toute agression militaire étrangère contre son allié, pivot de cette stratégie.
Néanmoins, même s’il y a des choses que la Chine peut et est prête à faire, fournir une assistance militaire directe dans n’importe quel conflit potentiel n’en fait pas partie. Cependant, Pékin travaillerait probablement à une vitesse vertigineuse pour parvenir à une solution diplomatique afin de faire cesser les hostilités entre l’Éthiopie et l’Érythrée dès que possible, ce qui pourrait même la voir offrir ses propres troupes en tant que soldats de la paix de confiance, de la même manière qu’elle l’a déjà fait dans le Sud-Soudan voisin. Si le CCG bande ses muscles d’une manière ou d’une autre ou menace de le faire pour assister son allié érythréen, alors la Chine présenterait probablement des objections diplomatiques à ces pays et pourrait peut-être envisager des contre-mesures asymétriques, économiques ou même militaires, en leur envoyant le message qu’elle ne restera pas sans rien faire alors que les pays du Golfe mettent en danger la viabilité de la politique OBOR de toute la corne de l’Afrique. Ceci est pertinent à mentionner parce que le CCG et son allié turc affilié sont soupçonnés d’avoir ou d’être sur le point d’acquérir des bases dans les pays suivants :
- Érythrée – Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Qatar
- Djibouti – Arabie saoudite, Qatar
- Somalie (Somaliland) – Émirats arabes unis
- Somalie (Mogadiscio) – Turquie
Sur une carte, il est clair que le CCG et la Turquie forment autour de l’Éthiopie un cercle qui pourrait facilement être utilisé pour exercer une pression contre elle, que ce soit par le soutien de l’Érythrée ou peut-être même des Somaliens d’Al Shabaab. En ce qui concerne le second sujet et les Somaliens en général, si le CCG et la Turquie utilisent la Somalie comme un tremplin d’influence déstabilisatrice contre l’Éthiopie, il est évident que cela impliquerait une certaine perturbation dans la région somalienne (autrefois appelée Ogaden) qui prendrait la forme d’attaques terroristes ou de mascarades comme des « manifestants » agitant le spectre d’une révolution de couleur. En conséquence, si les deux fronts de déstabilisation sont programmés pour coïncider les uns avec les autres, une éruption de violence près des frontières érythréenne et somalienne pourrait diviser les forces armées éthiopiennes et les rendre vulnérables aux déstabilisations internes telles que les guerres hybrides qui seront décrites dans la section suivante. La violence dans la partie somalienne au nord-ouest de l’Éthiopie peut avoir des conséquences immédiates pour la Chine et son chemin de fer transnational vers Djibouti qui transite dans la région. Cela impliquerait ainsi la participation directe de Beijing dans la crise.
Selon le moment où cela se passera, plus une éventuelle guerre de continuité entre l’Éthiopie et l’Érythrée durera, plus il y aura de temps pour que le CCG renforce sa position stratégique en Érythrée et apporte une aide décisive à son nouvel allié pour contrebalancer le pouvoir contre l’Éthiopie. Si tel est le cas, les chances que la Chine apporte un soutien plus vigoureux et visible à l’Éthiopie augmenteraient également, ce qui pourrait même déboucher sur l’envoi de conseillers militaires en première ligne et l’envoi en urgence d’équipement à la pointe de la technologie sur le champ de bataille. Essentiellement, ce qui pourrait facilement germer, c’est une guerre de pouvoir entre le CCG et la Chine sur le contrôle de la Corne de l’Afrique. Dans la perspective de cette éventualité, les deux parties pourraient même renforcer frénétiquement les capacités militaires de leurs partenaires par une rapide course aux armements dans la région. Finalement, il se pourrait que le CCG oblige l’Érythrée à « tester les limites » d’une paix chaude avec l’Éthiopie afin d’accroitre les capacités militaire de son partenaire sur le champ de bataille pour ce qui pourrait être ses dernières munitions. Cela pourrait bien sûr sortir involontairement de tout contrôle et inaugurer une conflagration régionale qui aiguiserait les tensions entre le CCG et la Chine jusqu’au point de rupture, par extension.
De la révolution de couleur à la guerre non conventionnelle
Le prochain scénario réaliste de déstabilisation régionale est le lancement de guerres hybrides à Djibouti et en Éthiopie. Les deux pays ont déjà subi des tumultes simultanés de révolution de couleur à petite échelle à la fin décembre 2015, que l’auteur a examinés à l’époque pour le think tank Katehon. Avec le recul, les États-Unis ont envoyé aux deux gouvernements le message clair qu’ils étaient plus que capables d’augmenter l’intensité de leur agitation provoquée, essentiellement en essayant de mettre ces pays dans une position de chantage stratégique indéfini. Aucun d’eux n’a mordu à l’appât et leurs services de sécurité ont continué à répondre aux émeutes, ne les laissant pas hors de contrôle au point où ils auraient mis en danger la stabilité à grande échelle de leur État ou le chemin de fer chinois, construit entre eux. Cependant, Addis-Abeba et Djibouti n’ont pas été en mesure d’éliminer la source de leurs menaces de Révolution de couleur et il est possible qu’une répétition de ces événements puisse suffire pour catalyser un mouvement de ce type florissant et autosuffisant, qui pourrait finir par générer une grave crise. Dans ce cas, les autorités répondraient probablement à toutes les menaces militantes contre elles avec une force proportionnée, cherchant à neutraliser les provocateurs terroristes intégrés dans les foules « pro-démocratiques » et « protestantes« , alarmant involontairement les masses ignorantes, naïves et dupées à participer à des manifestations et piratant par opportunisme leur ferveur anti-gouvernementale.
Il se peut que les services de sécurité ne puissent pas faire grand chose pour empêcher ce scénario de se dérouler, parce que si le mouvement de révolution de couleur pré-planifié devait déjà servir de front temporaire à une inévitable campagne de guerre non conventionnelle, les actions de pacification seront délibérément mal interprétées comme une « agression » et utilisées pour alimenter les flammes de la guerre hybride, peu importe la méthode relativement restreinte et professionnelle que les réponses que les États à ces déstabilisations pourraient effectivement donner. Cela signifie que l’Éthiopie et Djibouti doivent se préparer à ce genre d’événement et que toutes les révolutions de couleur contre eux ne seront que des fronts pour élaborer soigneusement un prétexte « plausiblement justifiable » pour le début de la guerre terroriste à grande échelle contre l’État. Ils serviraient à gagner « les cœurs et les esprits » des observateurs étrangers influents sur les médias de masse. En produisant une « acceptation » internationale de ces développements par la manipulation délibérée des réalités sur le terrain, les leaders étrangers derrière ces troubles chercheraient à recréer le modèle de guerre hybride qu’ils ont déjà déclenché en Syrie et en Ukraine et à cultiver une coalition « pilotée dans l’ombre » d’États pour aider à leur mission de changement de régime.
En ce qui concerne Djibouti, il a été prévu dans la section précédente comment le pays pourrait à nouveau se diviser selon les lignes géographiques ethniques comme il l’a été lors de la guerre civile 1991-1994, où les Afars du Nord ont fait face au Somali-Issas au Sud. Si l’une ou l’autre des parties ne parvient pas à mettre fin rapidement au conflit (que ce soit par des mesures diplomatiques ou énergiques), il est possible que le pays finisse par être un État fédéré par l’identité ou divisé entre un sous-État « Grand Afar » dominé par les Éthiopiens et une « Grande Somalie », cette dernière possibilité déclenchant inévitablement une guerre de prolongation entre l’Éthiopie et l’Érythrée alors qu’Asmara lutte pour empêcher Addis-Abeba d’absorber le territoire oriental de son voisin, autrefois djiboutien. Bien qu’il ne semble pas à un observateur moyen que les États-Unis aient quelque chose à gagner en déstabilisant Djibouti, ce qui pourrait finir par lui couter aussi beaucoup, c’est un fait démontré que la guerre hybride entraîne habituellement une série de conséquences involontaires avec des dividendes surprenants.
En ce qui concerne la guerre hybride interne en Éthiopie, on ne sait pas exactement de quelle façon cela peut tourner ou la façon spécifique avec laquelle elle serait combattue, bien qu’il soit très probable que l’alliance de l’an dernier entre cinq groupes terroristes ethno-régionaux (y compris le pan-national Ginbot 7) pourrait mener à une formidable coalition « libérale » – « nationaliste » d’intérêts élargis qui réussirait à recruter et finirait par présenter un défi menaçant aux autorités, surtout si chaque aile géographique de ce syndicat entre dans une coordination militante globale et planifie étroitement des actions avec les autres. Si des pays voisins comme l’Érythrée, le Soudan et le Sud-Soudan participent à des activités officielles ou non étatiques pour aider ce front terroriste, tout comme la Turquie et le CCG l’ont fait avec les terroristes anti-syriens au Levant, cela pourrait catapulter de façon exponentielle l’efficacité mortelle et débilitante de ce groupement anti-gouvernemental et annoncer un conflit plus prolongé dans l’État central et crucial de la Corne de l’Afrique. Si le chaos migre dans la partie nord-ouest de la Somalie et enflamme également la partie orientale de son homologue Oroman, cela pourrait porter un coup assez sérieux au chemin de fer transnational débouchant à Djibouti, à tel point que ses services deviendraient indéfiniment inutilisables et que la Chine subirait un important recul de ses plans OBOR globaux.
Al Shabaab et La Grande Somalie
Cette étude a déjà exploré ce sujet de manière assez complète, mais pour l’inclure sommairement dans la dernière section, il est utile de revoir quelques-unes des idées de base. Al Shabaab utilise une combinaison de nationalisme de la Grande Somalie, de sentiment anti-éthiopien et d’extrémisme islamique afin de mélanger ces ingrédients dans un cocktail idéologique qui s’adresse à un groupe diversifié d’adhérents potentiels, surtout parmi la population musulmane somalienne. La guerre froide a vu l’État-nation somalien entrer en guerre contre l’Éthiopie afin de promouvoir ses idées irrédentistes ethniques d’une Grande Somalie. Bien qu’il n’existe pas une capacité de créer cet État pour appliquer cette politique aujourd’hui, cela n’a pas empêché des acteurs nationalistes non étatiques de maintenir l’idée en vie. De même, l’intervention antiterroriste éthiopienne en Somalie et la prolongation de la présence militaire de 2006 à 2009 ont généré une immense dose de sentiment anti-éthiopien qui s’est fondu avec la vision transfrontalière de la Grande Somalie et a mené à l’émergence d’une menace latente. Tout ceci est mêlé a la promotion par le CCG des idéologies islamiques radicales telles que le wahhabisme afin de poursuivre ses objectifs géopolitiques dans diverses régions mondiales, la Corne de l’Afrique n’étant pas une exception. Ces trois facteurs de déstabilisation régionaux ont fusionné sous la forme d’Al Shabaab, bien que l’organisation terroriste ne se soit pas encore pleinement positionnée « commercialement » sur chacun de ses principaux groupes idéologiques et reste largement connue comme étant un groupe salafiste.
Cela dit, Al Shabaab, même dans son état théoriquement sous-performant, peut générer une crise massive dans la Corne de l’Afrique si cette organisation réussit à lancer des attaques à l’intérieur de l’Éthiopie, que ce soit des attaques suicides ou une forme inspirée de Daesh de conquête physique territoriale. Si l’Éthiopie est connue pour avoir mis en place des mesures de sécurité très efficaces pour prévenir ces éventualités, il est impossible d’être totalement à l’abri de ces attaques, en particulier en cas d’attentats suicide ou d’assauts contre une ville comme à Paris et Mumbai. Il est plus que probable que l’une ou l’autre de ces agressions conduise à une réaction éthiopienne ferme, qui pourrait même voir Addis-Abeba lancer des attaques aériennes, de drones, de forces spéciales ou même des attaques terrestres conventionnelles en Somalie afin de cibler les « sanctuaires » d’Al Shabaab. De plus, si pour quelque raison que ce soit, les terroristes pouvaient gagner un nombre important de victoires dans la région somalienne de l’Éthiopie, cela pourrait nécessiter une présence militaire encore plus importante que celle actuellement en vigueur. Cela pourrait éventuellement bloquer les forces armées dans le désert oriental à faible densité de population pour cibler potentiellement al-Shabaab au lieu de leur permettre de se concentrer davantage sur les zones urbaines densément peuplées dans le centre du pays, ou dans des régions occidentales qui pourrait alors devenir ethniquement « agitées » avec les groupes terroristes affiliés qui se sont récemment alliés à Ginbot 7.
Al Shabaab, comme il a été écrit plus tôt dans l’analyse, est le perturbateur régional ultime, car il est si imprévisible dans ses actions et a aussi un tel potentiel pour devenir une menace de sécurité extrêmement variée dans un futur proche. Pour le moment, il trouve surtout ses recrues parmi des wahhabites endoctrinés et des mercenaires motivés par l’argent, mais il pourrait adapter ses techniques de recrutement pour accroître son attrait autour des idées de «grande Somalie» et anti-Éthiopie. Si le groupe accroît sa solidité et conserve ses liens soupçonnés avec l’Érythrée et le Qatar, il finira probablement par être utilisé comme une « arme secrète » pour eux si une guerre larvée était lancée contre l’Éthiopie, fournissant aux agresseurs la possibilité d’ouvrir un deuxième front stratégiquement précieux en divisant le foyer des forces armées de leur cible et en encourageant les menaces domestiques de guerre hybride énumérées précédemment, avant d’augmenter le niveau de la guerre.
« Les armes de migration de masse«
Le dernier modèle de déstabilisation à l’échelle régionale qui pourrait être appliqué dans la Corne de l’Afrique est l’utilisation des deux formes d' »armes de migration de masse » contre l’Éthiopie et l’Érythrée qui ont été décrites plus tôt dans la recherche. En ce qui concerne l’Éthiopie, l’afflux de près d’un quart de millions de réfugiés sud-soudanais dans la région de Gambella (qui a une population à peine plus importante) pourrait devenir un élément perturbateur s’il n’est pas correctement traité. Les particularités géographiques de Gambella sont telles que sa géographie se trouve aussi à cheval sur le Sud-Soudan, séparé du reste de l’Éthiopie par les montagnes qui s’étendent le long de son axe orienté vers l’ouest du nord au sud. Cette réalité est à la fois un facteur de facilitation pour les réfugiés entrants et un facteur potentiellement inhibiteur pour les forces armées en réponse aux éventuelles perturbations à venir.
A supposer qu’il n’y ait pas d’autres conflits internes significatifs au même moment, les services de sécurité éthiopiens devraient pouvoir concentrer leurs forces suffisamment pour maintenir la paix à Gambella, bien que le Mouvement populaire de libération de Gambella soit l’un des cinq groupes terroristes récemment réunis l’année dernière sous le parapluie activiste, et qu’il va probablement essayer d’utiliser les réfugiés d’une manière intéressée sous forme de guerre hybride. Par exemple, cette organisation pourrait s’efforcer soit de les armer, eux ou des gens du pays, en cherchant à semer les graines de haine entre les nouveaux arrivants et leurs hôtes endémiques afin de favoriser une provocation sanglante qui forcerait une réponse militaire. À son tour, cela pourrait être utilisé selon les techniques éprouvées de révolution de couleur afin de chauffer les militaires pour les amener à « tuer des civils et / ou des réfugiés » et propager cela comme un symbole de ralliement pour provoquer intérieurement une révolution de couleur (dans la région mais aussi dans la capitale, ou tout au long du pays en coordination avec les alliés pour le changement de régime), « isoler » internationalement les autorités, et les peindre sous une lumière négative qui pré-conditionnerait le public mondial à accepter l’intensification du changement de régime via cette guerre hybride. De plus, Gambella est aussi importante parce qu’elle est voisine de la Région des Nations du Sud avec ses nationalités et ses peuples, et pourrait être à l’origine d’une contagion déstabilisatrice de violence ethnique qui transforme cette région éthiopienne en bain de sang comme au Sud-Soudan.
L’autre version des « armes de migration massive » qui sont déployées dans la Corne de l’Afrique est la stratégie occidentale visant à provoquer une sortie massive de « réfugiés » en provenance d’Érythrée. Le facteur de poussée interne de la politique de service militaire indéfini mélangé avec le facteur d’attraction du taux d’acceptation de l’UE de 91% à 93% des « réfugiés » érythréens a créé une telle crise démographique massive pour le pays que 400 000 personnes sur un peu plus de 6 millions de citoyens ont déjà quitté le pays au cours des six dernières années. L’effet a été d’affaiblir la force économique, militaire et sociale du pays avec l’anticipation de provoquer une crise politique, à moyen terme. Cet effet pourrait être beaucoup plus imprévisible, à long terme, que ce à quoi l’Occident pourrait s’attendre, lui qui ne vise qu’une simple opération de changement de régime via une révolution colorée. Il est plus que probable, en raison des circonstances spécifiques nationales et régionales dans lesquelles l’Érythrée se trouve présentement, qu’un mouvement anti-gouvernemental concerté dans le pays (qu’il s’agisse de manifestants de révolution de couleur et / ou de rebelles par une guerre hybride) entraine un effondrement total du gouvernement, qui pourrait lui-même libérer un essaim de réfugiés en Éthiopie et en Europe et peut-être même susciter une réponse militarisée de son rival, Addis-Abeba.
En outre, l’équilibre stratégique entre l’Éthiopie et l’Érythrée résultant de la crise démographique créée artificiellement pourrait amener Asmara à chercher à compenser stratégiquement en intensifiant ses nouveaux liens avec le CCG qui, comme on l’a vu plus haut, pourrait même ensuite déclencher une guerre potentielle CCG–Chine par un armement indirect de groupes. Indépendamment de la mesure par laquelle ce scénario finirait par arriver, cela conduirait certainement à ce que ces acteurs extérieurs à la région doublent leur soutien à leurs alliés respectifs, avec un scénario distinct fait de mesures de renforcement que le CCG pourrait prendre en soutenant son allié Asmara pour lui éviter un effondrement en raison de la souche démographique « armée » qu’elle subira certainement si les flots de population sortante ne sont pas interrompus dans un proche avenir. Une fois de plus, cela entraînerait un dilemme de sécurité conjoncturel pour le CCG qui augmenterait son aide à l’Érythrée alors que la Chine en ferait autant pour l’Éthiopie, ce qui placerait la région dans une situation proche d’une guerre sans fin, même si elle doit sa cause la plus immédiate au cumul des effets de l’affaiblissement de l’Érythrée via les « armes de migration massive » de l’Occident et le besoin pour sa direction de compenser stratégiquement en recherchant l’aide du CCG.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par xxx pour le Saker Francophone
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