Par Andrew Korybko – Le 10 février 2017 – Source Oriental Review
En tant que troisième économie de l’Afrique sub-saharienne et premier producteur de pétrole du continent, l’Angola semble être un pays prometteur. Le pays est finalement sorti d’une guerre civile de 27 ans en 2002 et a rapidement construit son infrastructure depuis, même si son économie a conservé sa dépendance à l’exportation d’énergie. La crise économique causée par la dernière chute du pétrole a donné à Luanda une motivation pressante pour finalement diversifier sa base de revenus et commencer à explorer l’industrie manufacturière et la production d’acier. Seul le temps nous dira si c’est trop peu trop tard ou le bon mouvement au bon moment. Mais l’élément le plus fondamental de la stratégie de diversification angolaise est son ambition de servir de point terminal pour la République démocratique du Congo (RDC) et les projets ferroviaires multinationaux de la Zambie. Ensemble, ils constituent la route trans-africaine du Sud (STAR), qui est menée par la Chine, ce qui renforce le partenariat stratégique entre la Chine et l’Angola et souligne l’importance sans égale de Luanda dans la grande stratégie continentale de Pékin.
Benguela illuminera l’avenir de l’Angola
Le projet de nouvelle Route de la Soie chinoise pour l’Afrique englobe beaucoup plus que l’extraction des ressources naturelles. Il vise en fait à faciliter les capacités commerciales du continent, en tant que marché du travail et d’exportation, pour les surcapacités de la Chine. Les pays africains ne peuvent être en mesure d’acheter des produits chinois excédentaires que s’ils ont eux-mêmes une économie stable et en croissance, ce qui est impossible à maintenir dans le cadre d’un système axé sur l’exportation d’énergie. C’est là que réside la valeur stratégique des investissements chinois en Angola et dans les autres pays du Centre Sud, de l’Est et de la Corne de l’Afrique, qui devraient être reliés aux nouveaux corridors de transport multipolaires transnationaux que Pékin finance et construit sur tout le continent. Le rôle de l’Angola dans cette construction ambitieuse est de fonctionner comme terminal du STAR sur l’Atlantique Sud, via le Chemin de fer de Benguela de l’époque coloniale, que la Chine vient de réhabiliter l’an dernier.
Suite à sa (ré-)inauguration, l’Angola a maintenant le potentiel de relier son port sur la façade atlantique de Lobito à la région riche en minerais du Katanga, en RDC, ainsi qu’à la province dite de la ceinture de cuivre en Zambie. En outre, la construction du chemin de fer du Nord-Ouest dans ce dernier État sans littoral relierait directement Lusaka à Lobito et, dans un contexte encore plus large, il fournirait une alternative plus sûre que de passer par le Congo, pays toujours propice aux conflits, pour relier l’Angola à la Tanzanie ou l’Atlantique à l’océan Indien. Dans l’éventualité où l’on pourrait créer une interconnexion commercialement viable entre la Tanzanie et le Kenya, le potentiel plus vaste de la Tanzanie serait d’établir une route commerciale continentale avec l’Éthiopie, via le Corridor LAPSSET. Par extension, cela permettrait à deux des plus grandes économies du continent, l’Afrique du Sud et l’Angola, de connecter ce commerce terrestre avec celui qui croît le plus rapidement, l’Éthiopie, grâce aux États de transit stables que sont la Tanzanie et le Kenya.
La clé pour l’Angola, pour investir dans ce corridor économique trans-régional réel, est le chemin de fer de Benguela, et c’est le seul espoir, côté infrastructure, que Luanda possède pour accroître durablement son commerce intra-africain et ne pas perdre cette occasion historique de mettre en réseau son économie avec ses contre-parties continentales. Compte tenu de cette importance suprême, il n’est pas exagéré d’affirmer que l’avenir de l’Angola dépend de Benguela, puisque ce n’est qu’une question de temps avant que le jackpot énergétique ne disparaisse et / ou que la population appauvrie ne se révolte violemment, malheureuse des inégalités de revenus, aggravées par la crise économique actuelle. Sans les opportunités économiques renouvelées que l’infrastructure de transport international peut apporter à l’Angola, ses entrepreneurs auront des difficulté à pénétrer de manière rentable sur d’autres marchés. Même s’ils optent pour les routes commerciales maritimes en passant par le cap de Bonne Espérance et tout chemin vers le nord de l’Afrique, ils perdraient un temps compétitif précieux en faisant ainsi, alors qu’il pourrait autrement être optimisé en s’appuyant sur les nouveaux itinéraires ferroviaires interconnectés.
L’avant-poste stratégique russo-chinois dans l’Atlantique Sud
Concept
Il a été décrit de manière détaillée comment l’Angola s’inscrit dans les plans plus large de la Chine pour l’Afrique, et cela ne prend même pas en compte le fait que ce pays est le deuxième fournisseur de pétrole de Pékin et que la Russie a également des intérêts en Angola. Alors que la Chine se concentre pour faire évoluer sa relation, de simple importateur d’énergie, à facilitateur des transports multinationaux et réceptacle des investissements dans le secteur réel, la Russie se concentre encore sur l’extraction des ressources naturelles et sur le marché mondial de l’énergie en général. Moscou entretient également des relations militaires étroites avec Luanda, qui remontent à l’ère soviétique, et utilise cette connexion stratégique pour renforcer son partenariat bilatéral et veiller à ce que la Russie ne soit pas totalement exclue de l’évolution économique du pays. Le confluent de l’attention de la Russie et de la Chine en Angola signifie que ce pays de l’Atlantique Sud accueille un partenariat à double sens, unique dans le cadre global du Russian-Chinese Strategic Partnership. Cela se joue avec l’aide à la sécurité et à la coopération de Moscou sur le marché de l’énergie, tandis que Pékin achète de manière fiable lesdites fournitures énergétiques de Luanda et travaille à la modernisation de son potentiel économique réel.
Aspect commercial
Avant d’aborder les piliers traditionnels militaro-énergétiques du partenariat stratégique russo-angolais, il est important de prendre en compte les récentes incitations commerciales qui sont apparues comme un moteur de la relation bilatérale. Le résultat de la réunion de la Commission intergouvernementale Angola-Russie, en avril, a été que les deux parties vont œuvrer à approfondir leur coopération dans les domaines de la technologie automobile, de l’industrie légère et lourde, des pêches, de la fabrication, des mines, des énergies renouvelables et non renouvelables, des composants ferroviaires et de l’agriculture. Il est à espérer qu’une collaboration plus étroite dans ces secteurs puisse conduire à une augmentation du commerce bilatéral, de 244 millions de dollars l’an dernier à quelque chose de plus significatif, vu le niveau élevé de relations stratégiques dont jouissent actuellement les deux parties, ce qui ne veut pas dire que l’état actuel des relations n’est pas louable tel qu’il est. Selon un rapport, ce taux est « quatre fois plus élevé que le rendement obtenu sur la période précédente », ce qui indique que les relations économiques sont déjà en train de croître à un rythme astronomique et qu’elles continueront vraisemblablement à suivre un chemin positif dans le futur, mais probablement pas d’une manière si exponentielle.
Aspect militaro-stratégique
La caractéristique la plus connue des relations russo-angolaises est leur coopération militaire visible, le dernier accord étant signé en 2013 pour l’exportation de 1 milliard de dollars d’avions de combats russes, de chars, d’artillerie, d’armes et de munitions vers la nation africaine. Le Président José Eduardo dos Santos, le chef d’État de l’Angola depuis 1979, a visité le Kremlin et a rencontré le Président Poutine en 2006, alors que le président Medvedev s’est déplacé en Angola en 2009, lors de sa tournée en Afrique. Ces rencontres au sommet ont souligné l’importance de l’opinion de chaque partie et ont rappelé au monde que la Russie n’avait pas oublié l’Angola, malgré l’effondrement de l’Union soviétique et le renoncement à leurs liens idéologiques communistes partagés. La diplomatie russe moderne à l’égard de l’Angola est motivée par des considérations militaires autant que par des considérations d’ordre énergétique, et rien ne l’illustre plus clairement qu’un article brillant écrit par Gustavo Plácido Dos Santos pour Eurasia Review.
Énergie
Dans son article Offensive de charme de la Russie en Afrique : Le cas de l’Angola – Analyse, le chercheur écrit que l’Afrique sub-saharienne est déjà inondée de pétrole et devrait produire plus de gaz que la Russie d’ici 2040, ce qui en fait une source alternative attrayante pour l’UE, en ce qui concerne les importations d’énergie non russes. Il estime que la coopération énergétique de la Russie avec l’Angola est axée sur sa position dans le golfe de Guinée, riche en hydrocarbures, ce qui lui permet d’exercer une influence indirecte sur le prochain réservoir de l’UE, annulant ironiquement l’espoir de Bruxelles que la région ne serait jamais sous l’influence de Moscou. Il s’agit d’une approche ingénieuse du corps énergétique russe, qui complète parfaitement ce que le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Défense ont à l’esprit pour l’Angola.
Assistance au leadership
En devenant une puissance énergétique de plus en plus importante avec l’expertise et l’investissement de Moscou dans ce domaine, Luanda peut alors être en meilleure position pour acheter plus d’armement pour défendre ses intérêts, combinant énergie et puissance militaire menant à l’expansion inévitable de son influence politique dans toute la région. L’aide de la Chine pour guider la transition de l’Angola, d’une économie vulnérable, limitée aux seules exportations de ressources à une économie plus stable et commercialement reliée via les Nouvelles Routes de la Soie, est essentielle au maintien du leadership projeté de Luanda et c’est là que le partenariat stratégique russo-chinois se chevauche dans l’Atlantique Sud et donne aux États-Unis une nouvelle raison de vouloir saboter la montée en puissance de l’Angola.
Les jeux africains autour de l’énergie de l’Angola
L’Angola est l’une des puissances africaines qui croît le plus vite, et elle a saisi l’occasion de bander ses muscles à l’étranger plus d’une fois, même pendant les périodes où elle était en guerre civile. Voici un aperçu des cas où Luanda a fait sentir l’influence angolaise dans différentes parties de l’Afrique
Shaba I et II
Après la crise suivant l’indépendance du Congo, Mobutu, le nouveau chef de file, a renommé son pays Zaïre et a interdit à sa province du Katanga, située au sud-est du pays, de garder son nom original, la rebaptisant Shaba. Ce chef d’État pro-américain a activement coopéré avec l’Occident pour transformer son pays en forteresse géostratégique africaine, ce qui lui a naturellement permis de soutenir les rebelles alliés pro-américains de l’UNITA qui ont combattu dans la guerre civile angolaise. En réponse, le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA) et ses patrons soviétiques et cubains sont soupçonnés d’avoir aidé le groupe rebelle zaïrois Front pour la libération nationale du Congo, lors de leur invasion de Shaba en 1977 depuis le sol angolais. Les États-Unis et la France ont chacun envoyé un soutien matériel et militaire, et l’invasion a été repoussée, mais une nouvelle tentative a été faite un an plus tard, lors de laquelle la France s’est à nouveau associée aux États-Unis pour sauver leur armée par procuration.
São Tomé et Príncipe
L’ex-colonie portugaise du golfe de Guinée a obtenu son indépendance en 1975, en même temps que l’Angola. Trois ans plus tard seulement, en 1978, elle a demandé à ses troupes de combattants de la Liberté de contrer un coup d’État. Les relations ont depuis été très fortes entre les deux États lusophones, et les îles constituent un vecteur prioritaire de la grande stratégie angolaise. Situées dans des eaux riches en pétrole au large des côtes du Nigeria, ces îles sont perçues comme pouvant servir de tremplin à l’influence angolaise le long de la voie navigable et autour de la courbe ouest-africaine. En effet, São Tomé et Príncipe est très important pour l’Angola, parce qu’il représente le premier nœud d’une Chaîne lusophone de lignes de communication (SLOC) de l’Afrique de l’Ouest vers les États-Unis et l’UE, tous à des degrés divers sous l’influence de Luanda.
Avec Cabo Verde (anciennement Cap-Vert jusqu’en 2013) et la Guinée-Bissau, São Tomé et Príncipe pourrait un jour constituer collectivement une « chaîne de perles » ouest-africaine le long de la Route de la Soie maritime, d’autant plus que l’Angola est aligné sur les forces multipolaires et continue de recevoir l’assistance du Partenariat stratégique russo-chinois dans sa quête pour devenir une puissance africaine. Chacun de ces États pourrait remplir son propre rôle logistique, en accueillant des entrepôts et des installations de stockage qui facilitent le transbordement des marchandises africaines vers les États-Unis, dans le cadre de l’AGOA. Un tel accord pourrait être signé dans le futur entre l’UE et différents pays ou régions africaines. C’est à ce moment que cette SLOC lusophone deviendrait doublement importante.
La seule conséquence involontairement négative de l’influence croissante de Luanda à São Tomé et Príncipe est que cela risque de provoquer un dilemme stratégique entre l’Angola et le Nigeria. Ceci sera abordé à la fin de cette section, mais l’auteur voudrait attirer l’attention du lecteur sur un article complet, écrit par le politologue portugais Gustavo Plácido dos Santo, intitulé Nigeria et Sao Tomé-et-Principe : une relation centrée sur le pétrole et la géostratégie – Analyse. Ce chercheur a compilé une collection diversifiée de faits sur les relations bilatérales entre ces deux États, en particulier en ce qui concerne la sphère de l’énergie et les mesures de sécurité anti-piraterie futures dans le golfe de Guinée, pour postuler qu’Abouja [capitale du Nigeria, NdT] a un intérêt perceptible dans les îles, mais que la coopération militaire et d’investissement en hausse de l’Angola avec ces mêmes îles, pourrait amener le Nigeria à se sentir menacé.
Namibie
Le MPLA a hébergé l’Organisation du peuple de l’Afrique du Sud-Ouest (SWAPO), qui a lutté pendant la plus grande partie de la guerre froide contre l’occupation de l’Afrique du Sud, durant l’apartheid de ce qu’on appelle aujourd’hui la Namibie. Pendant ce temps, les militaires sud-africains ont régulièrement violé le territoire angolais et ont participé à de nombreuses batailles contre l’armée de ce pays. Les liens angolo-namibiens ont continué de se renforcer après l’indépendance et ont fortuitement fourni une plate-forme géographique commune pour rapprocher Luanda et Pretoria, après quoi leurs relations ont commencé à décoller au tournant de ce siècle. Juste avant cette date, l’Angola et la Namibie ont signé en 1999 un pacte multilatéral plus large de défense mutuelle, qui comprenait également le Zimbabwe et la République démocratique du Congo (RDC). Afin d’expliquer la particularité de la façon dont les rivaux angolais et congolais en sont venus à s’entraider militairement, il faut analyser la première et la deuxième guerre du Congo qui ont fait rage dans la seconde moitié des années 1990.
Première et deuxième guerre du Congo
L’Angola a envahi le Zaïre en 1997, pour venger le soutien de Mobutu depuis des décennies aux rebelles pro-américains de l’UNITA. Ce n’est pas le premier pays à s’impliquer, mais sa participation à grande échelle pourrait être considérée comme un point d’inflexion pour la coalition anti-Mobutu, due à la proximité angolaise de la capitale du pays et à l’ouverture d’une second front à l’Ouest pour accompagner le premier à l’Est. Le Rwanda et l’Ouganda avaient déjà avancé vers Kinshasa, dans le cadre de leur blitzkrieg dans la jungle. Mobutu a abdiqué peu de temps après et le chef rebelle Laurent Kabila est devenu le président du pays, après avoir renommé le pays République démocratique du Congo.
Ses anciens alliés rwandais et ougandais ont essayé de le transformer en marionnette tout de suite, mais il s’est rebellé et a expulsé leurs forces de son pays récemment libéré, ce qui a déclenché la deuxième guerre du Congo. C’est grâce à ce conflit, que certains ont qualifié de « guerre mondiale de l’Afrique », que l’Angola et la RDC sont devenus des partenaires de défense mutuelle et que Luanda a envoyé des soldats à l’aide de Kabila. Au cours des deux décennies qui ont suivi, la relation a connu des hauts et des bas, comme lorsque l’Angola et la RDC ont résolu le conflit frontalier entre eux en 2007, cependant l’Angola a continué à expulser massivement les citoyens congolais, sous prétexte qu’ils étaient des immigrants illégaux.
On verra plus tard, quand on parlera du scénario de la Guerre Hybride du « Révisionnisme du Royaume du Congo« , pourquoi cette décision stratégique peut-être beaucoup plus tournée vers l’avenir que celle présentée comme à courte vue, telle qu’elle est perçue par beaucoup en ce moment. Mais pour l’instant, c’est assez de dire que les relations entre l’Angola et la RDC sont stables et s’améliorent, malgré le blocage de l’immigration illégale. Chaque partie améliore progressivement sa coopération avec l’autre en matière de connectivité et de sécurité, à la lumière de la rénovation du chemin de fer de Benguela et des avantages croisés intersectoriels de la Nouvelle Route de la Soie qu’elle mettra à la disposition des deux pays dans les années à venir, ce qui pourrait éventuellement mettre fin à la rivalité à faible échelle qui existe encore entre eux.
République du Congo
L’opération militaire la plus audacieuse de l’Angola a probablement été celle où il a envoyé ses troupes pour soutenir les rebelles de l’ancien président congolais Denis Sassou Nguesso en reprenant la capitale de la République du Congo, Brazzaville, à la fin de 1997. Aucune autre force étrangère n’a participé à cette campagne, contrairement à celle de sa voisine, la République démocratique du Congo, mais, tout comme lors de la Première Guerre du Congo, les rebelles n’auraient probablement pas prévalu sans l’intervention angolaise. L’objectif stratégique de Luanda dans cette campagne était d’installer un gouvernement ami à Brazzaville, qui ne fournirait pas d’aide ni de sanctuaire au Front pour la Libération de l’Enclave de Cabinda (FLEC), qui lutte pour l’indépendance de sa province à quelques kilomètres au nord du fleuve Congo.
Bien que ce ne fut évidemment pas un facteur déterminant à l’époque, l’influence angolaise sur le Président Nguesso pourrait indirectement donner à Luanda un autre atout sur Kinshasa, en ce qui concerne les itinéraires transafricains soutenus par la Chine, développés en RDC. La route trans-africaine du Sud (STAR) prend fin au port atlantique de Lobito, tandis que la route africaine du Nord (NTAR) atteindra l’océan soit à Matadi, port pauvre et géographiquement inadapté de la RDC, soit au port de Pointe-Noire, en eau profonde et beaucoup plus accessible, de la République du Congo. Étant donné que Matadi ne devrait jamais être plus qu’une option de secours à Pointe-Noire, la République du Congo se prononcera finalement sur la route commerciale transcontinentale de la RDC, ce qui donnera par extension à Brazzaville, gouvernement allié à Luanda, un mot sur Kinshasa.
Guinée-Bissau
La dernière projection significative d’influence incluant une participation de l’Angola a été en Guinée-Bissau, bien que celle-ci ait été beaucoup plus cachée et ait à peine fait les manchettes. L’ancienne colonie portugaise est située le long de la SLOC lusophone prévisible d’Afrique occidentale vers les États-Unis et l’UE, et c’est aussi un point de contrebande de drogue célèbre pour la cocaïne sud-américaine en Europe. Ce pays est si profondément enraciné dans le trafic de drogue que The Guardian l’a même déclaré premier « narco-État » en 2008, soulignant que le cinquième pays le plus pauvre du monde était pratiquement contrôlé par les cartels colombiens et leurs partenaires militaires corrompus.
Le pays, victime d’un coup d’État, a connu une prise de pouvoir militaire réussie en 2012, apparemment en réaction à ce que les conspirateurs dénonçaient comme un « accord secret » entre les gouvernements angolais et de Guinée-Bissau, pour permettre à « l’Angola d’attaquer l’armée de la Guinée-Bissau ». Pour mieux comprendre le contexte de ce qui pourrait autrement ressembler à une allégation non étayée, l’Angola a déployé 270 soldats dans le pays pour aider à réformer les forces armées, en espérant mettre fin à cette institution qui affaiblit continuellement les autorités politiques. Que Luanda ait essayé effectivement de « détruire » les militaires par ce moyen ou non, elle les considérait de toute façon comme une menace pour sa future influence sur l’État, d’où la raison de ce coup d’État. L’Angola a retiré ses troupes quelques mois plus tard (ce départ a été annoncé quelques jours avant le changement de régime).
L’attention que l’Angola porte à cet État à la gouvernance apparemment opaque est motivée par son histoire coloniale partagée, son identité lusophone familière et sa position stratégique le long du SLOC. Luanda pensait probablement qu’elle pourrait facilement réformer les militaires de Guinée-Bissau et transformer cet État en un avant-poste pour projeter une double influence maritime continentale. Quelle que soit sa motivation à s’engager avec la Guinée-Bissau, l’Angola n’a manifestement pas réussi à atteindre ses objectifs et, bien que les deux États aient normalisé leurs relations et décidé de les renforcer, il est fort peu probable que Luanda se lance avant longtemps dans un nouveau jeu de puissance. Cela ne veut pas dire que les deux pays ne peuvent pas coopérer de manière pragmatique sur des projets communs, mais que les militaires angolais ne seront probablement jamais redéployés dans ce pays, empêchant ainsi une répétition des événements du pré-coup d’État qui ont déclenché le changement de régime, pour maintenir des relations à un niveau respectueux, libre de distractions inutiles et de spéculations futures.
Une rivalité angolaise-nigériane?
La montée de l’Angola, en tant que puissance africaine, fait pression sur les ambitions futures du Nigeria dans l’espace du Grand Golfe de Guinée et dans l’ensemble de la région ouest-centrafricaine en général, bien qu’elle n’ait pas encore atteint un niveau de rivalité observable entre les deux parties. L’Angola et le Nigeria ont le potentiel de rassembler leurs capacités et de devenir les cœurs d’un réseau multipolaire plus étendu dans toute l’Afrique atlantique, et n’ont objectivement n’a rien à craindre de l’autre. Il est possible de développer une compétition amicale, dans laquelle Abuja et Luanda mettent en place leurs propres sphères d’influence et travaillent ensuite à les intégrer de manière pragmatique dans un cadre collectif, qui complète en fin de compte une vision multipolaire pour le continent. Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle direction iront les relations angolo-nigerianes, mais les États-Unis ont certainement intérêt à alimenter un dilemme stratégique entre les deux parties pour qu’elles se méfient l’une de l’autre, au point d’encourager une guerre froide qui les divise.
São Tomé et Príncipe est l’endroit idéal pour que cela se produise. C’est le moment qu’a choisi Dos Santos pour nous mettre en garde, avec son article pour Eurasia Review. Il serait logique que les îles collaborent plus étroitement avec le Nigeria, en raison de leur intérêt commun en matière de lutte contre la piraterie pour la protection de leurs eaux riches en pétrole et de l’Autorité conjointe de développement qu’elles partagent. Mais les facteurs socioculturels qui relient ces îles à l’Angola pourraient signifier que Luanda pourrait interpréter toute coopération prospective en matière de sécurité entre les deux, comme étant contraire à ses intérêts ou vice versa pour Abuja, si São Tomé et Príncipe invite Luanda à assumer ce rôle à la place. À l’heure actuelle, l’état des affaires angolo-nigerianes en ce qui concerne São Tomé et Príncipe est calme. Il ne semble pas y avoir de raison de s’inquiéter, mais tout pourrait changer si une quelconque victoire ou tentative de détournements réussissait, avant que l’initiative conjointe contre la piraterie suggérée par Dos Santos ne soit mise en place comme axe prioritaire dans la géopolitique du Golfe.
Du point de vue angolais, tout progression de l’influence nigériane dans ce qu’il considère comme constituant sa sphère d’influence culturelle et politique (l’espace lusophone), ainsi que d’un autre pays exportateur de pétrole (bien qu’étant loin d’être aussi grand que l’un ou l’autre des deux grands que sont le Nigeria ou l’Angola), pourrait aboutir à une éventuelle baisse de l’influence angolaise dans des États de même origine (par exemple la Guinée-Bissau et la Guinée équatoriale) et annuler les plans de Luanda pour son leadership régional. Du point de vue inverse, le Nigeria sait que si l’Angola se positionnait à la tête de toute compétition prospective pour São Tomé, cela pourrait indirectement lui permettre de faire croître son influence dans les eaux de sa zone économique exclusive stratégiquement placée, qui, si on jette un regard sur la carte, montre que cette influence borderait le Nigeria le long de sa périphérie maritime méridionale et donnerait de l’influence à Luanda à proximité de sa zone de production de pétrole du Delta du fleuve Niger. Si les navires anti-piraterie angolais devaient commencer à patrouiller dans les eaux proches, en dehors de toute collaboration militaire multilatérale qui comprendrait le Nigeria, ce serait certainement évalué comme une menace stratégique à Abuja.
Si les États-Unis réussissaient à provoquer une guerre froide entre l’Angola et le Nigeria pour le contrôle de São Tomé et Príncipe, cela ferait directement le jeu stratégique de Washington, en mettant en opposition deux des puissances africaines de la côte ouest, dans un scénario mutuellement désavantageux. Le Nigeria est déjà un géant affaibli, à la fois en raison de son dysfonctionnement politico-identitaire et de la croissance de Boko Haram (soutenue par l’Occident) qui en résulte. Et même si l’Angola est clairement sur une dynamique ascendante, sa montée pourrait être sérieusement entravée par une inutile et potentiellement coûteuse rivalité avec le Nigeria. Les États-Unis préféreraient avoir deux États en conflit qui se contiennent mutuellement, que d’avoir une situation pacifique avec deux pays qui réussiraient et cultiveraient un paysage politique plus propice à la multipolarité. Voyant comment le Nigeria est actuellement assailli par une multitude de problèmes sérieux issus de Boko Haram et d’autres menaces régionales telles que les « Avengers » basés sur le delta du Niger, ainsi que d’autres organisations similaires séparatistes criminelles, cela prendra un moment avant qu’il puisse réaffirmer ses ambitions de leader, laissant ainsi l’Angola comme dernière cible du duo à déstabiliser pour les USA.
Andrew Korybko est un commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone
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