Par Andrew Korybko – Le 31 mars 2017 – Oriental Review
Pour continuer à analyser les pays autour de la périphérie du Nigeria, il est maintenant temps de concentrer l’attention de cette recherche sur le Cameroun, l’un des pays les plus stables et relativement prospères de toute l’Afrique. En dépit d’être le pays aux 240 groupes ethno-linguistiques distincts, le Cameroun a évité la violence tribale destructrice de ses pairs continentaux en raison principalement de son leadership fort et de son économie diversifiée. Le président Paul Biya, en poste depuis 1982, a contribué à guider son pays à travers la phase de transition après la guerre froide et à imprimer une identité unifiée sur son peuple, bien que la mort ou la retraite inévitable de ce politicien âgé va devenir un moment crucial dans l’histoire du pays qui pourrait nuire à son avenir si la transition n’est pas organisée avec soin et finesse. Si les militaires et les services de sécurité se divisent et rivalisent entre eux ou commencent à promouvoir des intérêts localisés (tribaux / ethniques) au détriment de l’unité nationale pendant cette période de transition où le pays sera vulnérable, le Cameroun risque de se transformer dangereusement en une autre version du Congo à mesure qu’il s’enfonce dans une guerre civile à plusieurs fronts.
D’autre part, le Cameroun a également un potentiel très prometteur de fonctionnement en tant qu’état de contrôle trans-régional dans la liaison entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale, et son intégration décisive dans les plans de la Route de la Soie chinoise Cameroun-Tchad-Soudan (CTS) par la construction d’un chemin de fer entre ces trois états. C’est pour ces deux raisons que le Cameroun est à surveiller si attentivement par les observateurs car il peut avoir un avenir très positif ou extrêmement instable. Il semble peu probable que tout «terrain d’entente» puisse être atteint compte tenu de sa situation bien morne qui sera discutée plus tard. En outre, d’un point de vue “civilisationnel”, le Cameroun est un pays majoritairement chrétien avec une minorité musulmane géographiquement distincte qui, tout en présentant certains défis intérieurs inhérents à l’unité nationale, pourrait également constituer un avantage immatériel pour renforcer la position régionale du pays s’il peut réussir à équilibrer ces facteurs et à les utiliser comme tremplins pour une intégration plus solide avec ses voisins. Cependant, en raison de son emplacement, le Cameroun est également très sensible aux «armes de migration de masse», ce qui constitue une menace contre laquelle les services de sécurité doivent être prêts à faire face si la situation régionale devenait hors de contrôle.
Cette recherche commence par discuter de la connectivité de la Nouvelle Route de la Soie pour le Cameroun et des différents projets d’infrastructure actuellement en cours ou prévus pour le pays. Après avoir exposé l’importance géo-économique de ce pays, le travail examinera ensuite ses difficultés domestiques les plus pressantes entre les terroristes salafistes de Boko Haram et les séparatistes voisins du Biafra, ces derniers ayant le potentiel de se lier aux insurgés du “Cameroun du Sud” pour recréer le modèle nigérian de déstabilisation anti-états nord-sud / musulman-chrétien au Cameroun même. Enfin, la dernière chose qui sera discutée est la façon dont le Cameroun pourrait être jeté dans la tourmente par des «armes de migration de masse», en particulier celles qui proviennent de ses périphéries du Sud et de l’Est.
Connectivité camerounaise
L’emplacement géopolitique du Cameroun lui confère la possibilité inhérente de servir un jour comme la garde-barrière de l’Afrique de l’Ouest et Centrale en reliant ces deux régions voisines. Une partie du pays est évidemment collée à la région densément peuplée et économiquement productive du sud du Nigeria, tout en serpentant de manière intéressante vers le nord jusqu’à la frontière tchadienne, où le chemin de fer chinois CTS est envisagé pour le relier à travers le Sahara au Tchad et plus tard à la côte de la mer Rouge par le Soudan. Bien que le projet semble avoir été bloqué depuis son annonce en 2014 et que son parcours exact à travers le Cameroun et le Tchad n’ont pas encore été officiellement délimités, on sait qu’il se terminera au moins au port atlantique de Douala et traversera la capitale tchadienne de N’Djamena. Il serait logique et économique de le construire aussi parallèlement que possible au pipeline déjà existant Cameroun-Tchad qui, dans ce cas, emprunterait la route à proximité ou à travers la capitale camerounaise de Yaoundé et traverserait le sud du Tchad, évitant la plupart des régions du Nord et du Grand Nord du Cameroun (qui sont actuellement les plus menacées par Boko Haram).
Il est important de noter à propos de la Route de la Soie CTS et du pipeline Cameroun-Tchad qu’ils se terminent dans des ports différents, la première se terminant à Douala alors que ce dernier s’arrête à Kribi. Le premier des deux est le plus grand port du pays en ce moment et le plus important de toute l’Afrique centrale, tandis que le dernier est en cours de construction par les Chinois et serait le seul port en eaux profondes du Cameroun. Il est aussi été prévu d’y construire une zone industrielle. Il serait plus judicieux que ces deux ports soient connectés d’une manière ou d’une autre afin de maximiser leurs positions sur la Nouvelle Route de la Soie, ce qui est exactement prévu par plusieurs projets. Le premier concerne le chemin de fer sans escale Douala-Yaoundé lancé en 2014, tandis que le second est l’autoroute proposée Kribi-Yaoundé. Ces deux projets se croisent dans la capitale nationale, d’où ils peuvent ensuite se brancher au Tchad ou à la République centrafricaine, selon des propositions Douala-N’Djamena et Douala-Bangui.
En associant ces deux principales villes portuaires, le Cameroun envisage l’aide chinoise pour la construction d’un chemin de fer entre Edea, Kribi et Lolabe. La première ville étant située près de Douala est déjà reliée par rail, tandis que la dernière se trouve près de Kribi et serait reliée avec le sud-est du Cameroun, riche en fer, grâce au corridor ferroviaire Mbalam-Nabeda proposé. Dans l’ensemble, la vision de connectivité qui prend forme progressivement au Cameroun est celle par laquelle ses ports les plus importants de Douala et Kribi seraient reliés par rail entre eux et à la capitale, Yaoundé. De là, les biens pourraient se déplacer vers et depuis la capitale tchadienne de N’Djamena le long de la Route de la Soie CTS ou vers Bangui, la capitale de la République centrafricaine. Pour que cela soit plus facile à visualiser pour le lecteur, la carte personnalisée ci-dessous a été créée pour documenter le chemin approximatif de chaque corridor respectif.
La menace à la “démocratie nationale” du Cameroun
Après avoir exposé l’importance géo-économique du Cameroun, tant en ce qui concerne ses potentiels de connectivité domestiques qu’internationaux, la recherche examinera maintenant les problèmes internes potentiels pour relativiser ces visions d’interconnection. L’idée en résumé est que le Cameroun est affligé par les mêmes types de déstabilisations structurelles que le Nigeria, même si c’est à petite échelle, et même si cela pourrait se finir avec un effondrement à Yaoundé qui catalyserait celui d’Abuja et non l’inverse.
Cela s’explique principalement par le caractère politique et administratif de l’État camerounais, qui peut être décrit comme un système centralisé dans lequel une personnalité individuelle (Président Paul Biya) a une importance stratégique exceptionnelle dans la prise de décision. L’Occident se réfère habituellement à ces modèles comme des «dictatures», mais ils pourraient être décrits plus objectivement comme des «démocraties nationales» qui improvisent selon les conditions domestiques et ne suivent pas aveuglément le modèle standard occidental. Dans un pays aussi diversifié que le Cameroun, et avec chaque groupe ayant en général des zones géographiques définies qui pourraient un jour servir de base à des revendications politiques et territoriales (que ce soit en tant que sultanats indépendants ou autonomes, groupes régionaux, villes-états, entités tribales, etc. ), il est crucial pour une force centralisée et fédérative d’exister pour tenir le tout ensemble.
En ce qui concerne l’administration politique et le symbolisme de l’État, il s’agit sans réserve du président Biya, mais en termes pratiques sur le terrain, ce sont les militaires et les services de sécurité. Tout comme pour les décès de Niyazov et Karimov au Turkménistan et en Ouzbékistan respectivement, les événements suivants dépendront de l’unité des militaires et des services de sécurité et de la rapidité avec laquelle l’élite va se rallier à un remplacement convenu. Si tout se passe selon le plan et s’il y a peu de perturbations et un fort sens d’unité de l’“État Profond” (unité militaire, renseignements et bureaucraties diplomatiques permanentes), une transition en douceur peut être assurée comme dans les deux cas susmentionnés. Mais si ambitions personnelles ou basées sur l’identité prennent le meilleur sur les groupes prenant les décisions et / ou gérant la sécurité, alors les conséquences pourraient être désastreuses.
Dans presque tous les exemples de «démocratie nationale», le décès ou la démission du dirigeant du pays constitue un événement potentiellement déclencheur de guerre hybride avec le déchaînement d’une série de déstabilisations pré-planifiées. Les variables qui cernent la situation sont à la fois l’unité militaire-élite précédemment discutée et la confiance que les organisateurs anti-gouvernementaux ont dans leurs projets. Le meilleur scénario est que l’«État Profond» reste unifié et que les provocateurs soient pris au dépourvu et non préparés par un événement structurellement avantageux, tandis qu’à l’opposé, l’«État Profond» serait férocement divisé et les «révolutionnaires» entièrement préparés pour le lancement d’une guerre hybride. Parfois, cependant, la réalité est quelque part au milieu, l’«État Profond» est divisé et les organisateurs hostiles non préparés pour exploiter ce scénario, ou les militaires et les élites sont unifiés malgré les proxies pour le changement de régime qui se sentent assez confiant pour aller de l’avant dans leurs initiatives.
Il n’est pas clair en ce moment de savoir comment le déroulement des événements progresserait dans le cas du Cameroun, car il est difficile de trouver des informations fiables et objectives sur l’un ou l’autre de ces deux déterminants (l’unité militaire-élite et la confiance des organisateurs anti-gouvernementaux). Il reste donc à voir comment le Cameroun s’inscrit dans ce modèle. Ce qui est certain, c’est que l’élimination du président Biya de l’équation politique (que ce soit par sa mort éventuelle ou sa démission) servirait d’événement déclencheur pour exacerber les vulnérabilités existantes de la guerre hybride, présentes dans les régions du nord et sur l’ancien territoire du “Cameroun britannique”, dont on va maintenant discuter en profondeur. Il convient de rappeler au lecteur que ces deux leviers de déstabilisation peuvent être tirés à des degrés différents indépendamment de l’événement de déclenchement autour de Biya, mais que la chance d’atteindre leurs objectifs prévus augmente considérablement s’il le tempo coïncide avec ce scénario.
Déterminants géo-démographiques et tactiques militaires
Pour rafraîchir la mémoire du lecteur sur la fracture interne «religieuse et civilisationnelle» du Cameroun, environ un cinquième des citoyens du pays sont musulmans, la plupart résidant dans les régions du Nord densément peuplées, près des frontières nigériane et tchadienne. Les chrétiens, d’autre part, représentent environ 70% de la population et vivent principalement dans les régions occidentales et méridionales du Cameroun. Il est important de noter, comme dans le cas du Tchad qui a été analysé dans le chapitre précédent, que la géographie physique de chaque communauté est intrinsèquement distincte et comporte des avantages et des difficultés respectifs en matière de guerre hybride. Les musulmans du Nord habitent des terres désertiques et des prairies facilement traversables et susceptibles de faciliter l’expansionnisme rapide du Daesh local, Boko Haram, si le Cameroun devait connaître une panne de l’État à grande échelle (par exemple, au milieu des divisions pour la succession à Biya), alors que les chrétiens du Sud vivent dans des zones beaucoup plus forestière qui fonctionnent très différemment selon n’importe quel scénario de guerre hybride. Au lieu du modèle de conquête territoriale de Daesh que Boko Haram chercherait à imiter, les séparatistes du «Conseil national du Cameroun du Sud» (SCNC) pourraient infliger une guerre de guérilla débilitante dans leurs régions d’origine, composée d’un épaisse forêt, n’attaquant que sélectivement certaines villes et ayant recours au terrorisme urbain.
Du point de vue militaire tactique, il existe deux types de guerres complètement différentes auxquelles les forces armées camerounaises doivent se préparer, ce qui nécessite une formation hautement professionnelle et une compréhension approfondie du terrain local. Les militaires qui sont formés pour opérer dans le désert du nord, musulman, contre Boko Haram pourraient ne pas être convenablement adaptés à la lutte contre le SCNC et son organisation militante «Organisation du peuple du Cameroun du Sud» (SCAPO) dans le Sud chrétien forestier et vice versa. En outre, le Cameroun est susceptible de vivre des troubles traditionnels de type révolution de couleur à Yaoundé et à Douala, qu’ils soient liés à l’événement déclencheur de Biya ou non, ce qui nécessite que les militaires soient également préparés pour la guerre urbaine et les contingences de contrôle des foules. En somme, les forces armées et les services de sécurité camerounais doivent être préparés pour la guerre du désert, dans la jungle et la guerre urbaine, soulignant en outre la nécessité pour cette institution nationale intégrale de rester unifiée pendant toute incertitude pendant une Guerre Hybride et / ou une succession incertaine Post-Biya puisque les divisions internes parmi elles au cours d’un moment critique paralyseraient l’état et l’empêcheraient de lutter efficacement contre ces menaces existentielles.
Compte tenu de l’importance irremplaçable de l’unité de l’armée pour maintenir un Cameroun très diversifié ensemble pendant des périodes prolongées d’incertitude (Par ex: rivalité autour de la succession de Biya), il pourrait même s’avérer qu’un représentant actuel ou ancien de cette institution prenne la tête pendant cette période guidant le pays en dehors ou loin de l’abîme de la guerre hybride et vers une transition stable et démocratique. Aucune autre classe d’élites n’a la capacité d’assurer la sécurité et une unité globale pour le pays que ne le ferait l’armée. Cela explique pourquoi l’armée est plus spécialement prête à jouer un rôle aussi responsable pendant la transition post-Biya, pourvu qu’elle puisse rester unifiée pendant cette période et prendre conscience de son importance pour déterminer le déroulement des événements. Rien de tout cela ne peut être évalué avec un certain degré de confiance par l’auteur étant donné son manque de familiarité avec une telle institution spécifique, de sorte que d’autres recherches sur ce vecteur devraient être menées d’urgence par les experts appropriés pour évaluer la probabilité de ce scénario, puisque l’alternative à l’unité militaire-élite (surtout en ce qui concerne les premiers) serait probablement le chaos et une réplique structurelle du conflit du Congo dans cet espace pivot de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Boko Haram frappe au Nord
Les deux sections précédentes ont été essentielles pour établir le contexte approprié à travers lequel le lecteur peut désormais analyser les scénarios de la guerre hybride les plus susceptibles de se développer à l’intérieur du Cameroun. Après avoir expliqué la toile de fond en détail, il convient de poursuivre l’examen des deux possibilités pertinentes qui pourraient se produire. La première et la plus connue est Boko Haram, qui s’est avéré être une menace dans les régions du Grand Nord et du Nord du Cameroun, c’est-à-dire le Nord musulman des prairies désertique qui est intrinsèquement menacé par l’expansionnisme d’un acteur non étatiques. Le problème de Boko Haram et ses solutions prospectives peuvent être divisés en catégories externes et internes, les deux devant être précisés.
Pressions externes
Du point de vue international, le Cameroun du Nord risque constamment d’être déstabilisé par tout conflit débordant des régions adjacentes de ses voisins nigérian et tchadien en raison de son identité démographique et de sa géographie facilement évolutive. En face de la capitulation et de l’incompétence nigérianes, le Cameroun a dû compter sur le Tchad pour l’aider à expulser les terroristes et à sécuriser sa frontière occidentale, avec l’intérêt pour son voisin de sécuriser sa capitale proche en créant une zone tampon stable entre elle-même et la partie occupée du Nigeria par Boko Haram. Toute rupture prolongée de l’état dans le nord du Cameroun mettrait instantanément en danger le Tchad en mettant N’Djamena sous pression, ce qui explique pourquoi les autorités ont joué de manière proactive le rôle principal dans la sécurisation de l’ensemble du bassin du lac Tchad, bien que à des degrés différents dans le nord-est du Nigeria en raison de l’évidence des sensibilités là-bas.
Pour dire la vérité , on peut en déduire que le Cameroun a également des sensibilités en ce qui concerne la présence militaire en faveur du Tchad dans la région de la frontière, car certains chrétiens du Sud pourraient soupçonner que N’Djamena ait des dessins futurs sur les régions musulmanes du Nord, comme la sculpture d’une sphère d’influence plus forte que la souveraineté que Yaoundé exerce à ses propres frontières. Pour le moment, au moins, cela n’a pas abouti à des problèmes d’état à état, et le Cameroun apparaît au contraire comme étant tout à fait satisfait du soutien militaire du Tchad et désireux de compter sur son voisin lors d’un futur événement si la situation glisse à nouveau au bord d’une perte de contrôle. Ce qui peut être appris de cela, c’est qu’il existe une certaine interdépendance militaire tchado-camerounaise dans les combats contre Boko Haram, avec Yaoundé qui a besoin de N’Djamena comme sauvegarde nécessaire en cas ou la situation déraperait alors que ce dernier a besoin que son partenaire soit aussi stable et efficace que possible pour fonctionner comme une zone tampon fiable pour protéger sa capitale.
Pressions internes
Sur le front local, le Cameroun doit réaliser trois objectifs militaires principaux et adopter une politique socio-économique pour le Nord musulman. En ce qui concerne les objectifs militaires, les forces armées doivent 1) prévenir les infiltrations aux frontières; 2) répondre aux infiltrés qui passeraient et aux cellules dormantes; Et 3) assurer la sécurité urbaine. elles peuvent remplir ces tâches en coopérant avec ses voisins nigérian et tchadien; Préparer des forces d’intervention rapide pour les raids ciblés; Et renforcer les capacités (et donc payer) des milices locales pro-gouvernementales. Yaoundé doit absolument faire progresser ces trois objectifs interconnectés afin de s’assurer que le Nord musulman reste aussi sécurisé que possible sur le plan militaire face aux menaces asymétriques, bien que ce ne soit évidemment que la moitié de ce qu’il faut faire pour éviter un déclenchement de la déstabilisation régionale en général. Alors que Boko Haram est principalement une menace extérieure de nature physique, il en existe aussi une interne avec leur idéologie. Les deux doivent être simultanément combattus.
Le gouvernement camerounais doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour remédier au sentiment de différenciation que ressentent les Musulmans du Nord envers les chrétiens du Sud et le reste du pays. La marginalisation sociale, économique et politique dont certains éléments de cette expérience communautaire pourraient facilement tirer un profit de démagogues affamés de pouvoir et / ou de forces extérieures pour générer un mécontentement anti-gouvernemental qui pourrait un jour mijoter son propre scénario de guerre hybride séparé de celui de Boko Haram. Même dans un environnement idéalement sécurisé, cela présente toujours un défi troublant qui pourrait éclater sur un front régional avancé pendant la transition post-Biya et se manifester de manière politique par le fédéralisme identitaire ou par le séparatisme absolu, c’est pourquoi le gouvernement doit travailler en profondeur et faire de l’information en continu pour réaffirmer un patriotisme inclusif qui accompagne un plan socio-économique complet pour la région et sa démographie. Afin de réaliser pleinement ses objectifs idéologiques internes pour le Nord musulman, le Cameroun doit de nouveau se tourner vers son voisin tchadien, comme il l’a fait en ce qui concerne ses objectifs extérieurs, comme décrit dans la section ci-dessus.
Solution d’intégration régionale
La meilleure façon pour le Cameroun de protéger sa sécurité interne et externe est d’intégrer autant que possible avec le Tchad, la zone musulmane du Nord fonctionnant comme une zone expérimentale pour construire une région commune du lac Tchad entre elle-même et l’ouest du Tchad (N’Djamena et ses environs) qui pourrait ensuite être étendue au reste de leurs territoires avec le temps. La coalition anti-Boko Haram est un point de départ solide pour cela dans le sens militaire et elle a déjà donné de nombreux résultats positifs pour les deux parties, mais la composante socio-économique de cette vision manque énormément d’efficacité. Avec une idée aussi positive que la Route de la Soie Cameroun-Tchad-Soudan (CTS), à peine ont-ils été réalisés des travaux sur les deux premières parties qui intégreraient plus étroitement ces pays du lac Tchad. Un partenariat militaire solide entre deux États voisins sans une fondation socio-économique risque d’être récupéré par une des parties avec le temps et courre le risque de conduire à un dilemme de sécurité après que la motivation partagée pour leur coopération (dans ce cas, Boko Haram) ne soit plus aussi pertinente. C’est pourquoi il est dans l’intérêt de la sécurité régionale à long terme (sous ses formes dures et douces) que la Route de la Soie CTS soit prise plus au sérieux par les deux pays.
La vision plus grande qui se manifeste ici est la construction d’un espace intégré solide à l’Est du Nigeria qui pourrait servir de rempart militaro-économique contre le débordement des nombreux problèmes du Nord du Nigeria. Le Cameroun et le Tchad sont d’accord implicitement sur l’urgence de le faire à partir de leurs propres intérêts mutuellement bénéfiques et le besoin responsable de répondre de manière proactive aux menaces les plus vraisemblables émanant de cette région. En outre, même dans le cas hasardeux où le Nord du Nigeria et le reste du pays pourraient être stabilisés durablement, ce serait l’avantage objectif du Cameroun et du Tchad de s’occuper collectivement de leur voisin beaucoup plus fort que de le faire individuellement. Il est donc préférable de commencer le processus d’intégration le plus tôt possible que de ne pas se trouver non préparé lorsque/si ce moment opératoire arrivera. La première étape de ce processus est de reconnaître que la continuité géo-démographique entre le Cameroun du Nord et le Tchad occidental et les efforts militaires collectifs des deux pays dans la région du lac Tchad offrent une opportunité unique pour que les deux dirigeants des États assurent une collaboration a ce niveau, qui puisse être réalisée de manière plus tangible en développant un élan positif dans la ré-étalonnage de la Route de Soie CTS entre eux.
Les séparatistes glissent vers le sud
Contexte
L’autre menace importante de la guerre hybride vis-à-vis du Cameroun est le “Conseil national du Cameroun du Sud” (SCNC) et leurs militants de l’Organisation du peuple du Cameroun (SCAPO) qui luttent pour annuler la réunification du Cameroun en 1961 de l’ancienne colonie britannique du “Cameroun du Sud” et créer leur propre « pays » appelé « Ambazonia ». En tant que document d’information historique, l’occupation du Royaume-Uni de cette partie du pays finalement uni s’est produite après la Première Guerre mondiale lorsque la colonie germano-allemande du Kamerun a été partagée entre les Britanniques et les Français. Londres a également acquis une autre région appelée «Cameroun du Nord», mais cette région à majorité musulmane a choisi de rejoindre le Nigeria lors de l’indépendance et n’a donc pas été unifiée avec son pays homonyme comme son homologue du sud.
De nos jours, l’ancien territoire du «Cameroun du Sud» est divisé en régions du nord-ouest et du sud-ouest et abrite environ 3 millions de personnes, soit environ 1/7 de la population totale du pays. Bien que n’intégrant pas le port stratégique de Douala, les revendications d’“Ambazonia” se situent très près du terminal atlantique de la route de la soie de la CTS et cela deviendrait évidemment un objectif tentant pour les futurs insurgés si jamais ils devaient relancer leur campagne. En outre, il existe également une multitude de cibles faciles à proximité dans les régions adjacentes de l’Ouest et du littoral qui pourraient être attaquées par la SCAPO pour élargir toute guerre à venir et obtenir des concessions du gouvernement.
Si la situation de sécurité se détériorait dans ces régions en raison d’un certain nombre d’attaques bien menées, on pourrait s’attendre à ce que les investissements étrangers et le commerce international diminuent, ce qui pourrait contribuer à des défis se combinant que le gouvernement camerounais subirait simultanément. C’est aussi sans parler de l’impact indirect désastreux que cela aurait sur l’économie tchadienne. Il convient de rappeler que le voisin du nord-est du Cameroun dépend de Douala pour environ 80% de son commerce extérieur, donc il serait disproportionnellement plus touché que peut-être le Cameroun lui-même si les militants SCNC / SCAPO lançaient une attaque à grande échelle ou une campagne intermittente de terreur contre le port entraînant une forte diminution de son activité commerciale.
Peurs fédéralistes
Le Cameroun lui-même a subi deux changements politiques et administratifs directement liés à la question du «Cameroun du Sud». Le pays était d’abord une république fédérale à l’époque de la réunification de 1961 jusqu’en 1972, après quoi elle s’est transformée en une république unie jusqu’en 1984, époque où elle a pris sa forme actuelle comme simple république.
La tendance évidente est que la centralisation de l’État s’est renforcée tout au long des décennies et que la zone réintégrée du «Cameroun du Sud» a commencé à être considérée comme une partie normale et égale du pays à égalité avec tout le reste, par opposition à tout statut fédéral spécial tel que celui dont il jouissait initialement. Il n’y a rien de fondamentalement erroné, mais il est intéressant que le Cameroun aille dans une direction opposée à celle de la plupart des autres pays, c’est-à-dire de transférer progressivement le pouvoir aux provinces au lieu de la centraliser.
Le SCNC et la SCAPO, tout en luttant pour «l’indépendance», pourraient un jour atténuer leurs demandes de fédéralisation, ce qui permettrait au scénario du fédéralisme identitaire de se répandre dans tout le pays. En un sens, cela pourrait être pire pour le Cameroun de se «fédérer» (donc de se partitionner intérieurement) lui-même dans une collection de quasi-états ethno-culturels, de sultanats et d’entités tribales que de simplement «perdre» le «Cameroun du Sud», mais en tout cas, Yaoundé fera tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que cette catastrophe ne se produise.
Impact régional
Pour l’instant, le problème SCNC / SCAPO est sous contrôle et ne montre aucun signe d’escalade, mais le problème est que personne ne sait vraiment quel est le niveau de soutien de ce mouvement parmi les habitants du “Cameroun du Sud” et si des «sympathisants en sommeil» pourraient éclore et se mettre en action lors d’un événement de déclenchement post-Biya. Une menace plus pressante, cependant, est que la récente montée dans le Sud du Nigeria d’une violence néo-Biafra par les “Avengers du Delta du Niger“ (NDA) qui pourrait se répandre à travers la frontière et encourager le duo SCNC / SCAPO, les deux groupes séparatistes militants ayant dangereusement l’opportunité de se relier et d’unir leurs forces pour maximiser leur pouvoir et provoquer un conflit international.
La NDA est une collection de bandits en haillons qui suivent les traces du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND) qui, à son tour, est née des forces précédemment responsables du lancement de la guerre civile nigériane, également connue sous le nom de Guerre du Biafra, de 1967 à 1970. Leur principale plainte était que les habitants du sud-est du Nigeria, région riche en pétrole, ne recevaient pas leur juste part de la rente financière sur les ressources énergétiques de leur sous-sol et près de leurs côtes, ce qui est l’une des principales raisons pour lesquelles ils ont commencé à agiter la région de l’Est pour revendiquer son indépendance comme État du “Biafra”. À travers la frontière de nos jours, leurs homologues SCNC / SCAPO n’ont pas de ressources énergétiques aussi riches à réclamer pour eux pour leur «Ambazonia» dont ils demandent l’indépendance, mais ils ont un héritage historique et linguistique de séparation car la colonie anglophone britannique du «Camerouns du Sud» pourraient être manipulée pour diviser davantage la population du reste de leurs pairs camerounais francophones et inciter à un plus grand soutien pour la sécession.
Ni la NDA ni la SCAPO ne sont suffisamment puissantes pour réussir par elles-mêmes, c’est pourquoi les deux doivent s’allier tactiquement avec d’autres acteurs non étatiques afin d’atteindre leurs objectifs séparatistes. Si l’un ou l’autre de ces mouvements coordonnait ses activités anti-gouvernementales avec Boko Haram, cela compliquerait sérieusement les efforts de leurs gouvernements respectifs pour faire face aux deux groupes d’insurgés en divisant leur attention dans deux directions et sur deux zones géographiques distinctes du champ de bataille. Il n’y a pas de preuve convaincante que cela s’est produit, du moins pas encore, mais c’est une possibilité troublante qui doit être envisagée par les décideurs dans les deux états. Tout aussi déconcertant est le rapport de février 2016 d’International Business Times sur la façon dont les «Biafrais» et les «Ambazoniens» pourraient faire équipe pour transformer leurs insurrections respectives en une campagne unifiée qui, dans ce cas, produirait immédiatement une crise internationale dans le golfe de Guinée que ni le Nigeria ni le Cameroun pourraient convenablement gérer, sans parler de le faire de manière coordonnée.
L’internationalisation des insurrections du “Biafra” et de l’“Ambazonia” et leur fusion en une seule crise pourraient constituer le catalyseur d’une nouvelle défaillance de l’État tant au Nigeria qu’au Cameroun, et face à l’urgence de l’attention que Abuja et Yaoundé devront mettre face à ce problème, cela pourrait créer un espace d’opportunité pour une campagne de retour aux affaires de Boko Haram. En outre, la sensibilité des opérations transfrontalières dans les territoires de l’autre pays pourrait entraîner des désaccords et des tensions entre les deux voisins, quel que soit leur objectif partagé de pacifiant l’espace transnational, ce qui pourrait entraver l’efficacité de toute action censée coordonner et faire le jeu des insurgés.
Solution
Le mouvement du “Cameroun du Sud” a été largement inactif pendant un bon moment, mais en soi cela peut ne pas être considéré comme un signe infaillible qu’il soit politiquement inactif. Le manque de soutien visible pour le duo SCNC / SCAPO pourrait être simplement du à l’illégalité des groupes et les efforts inlassables de Yaoundé pour les éliminer de la société, mais les séparatistes pourraient soudain émerger comme une force à prendre en compte lors de toute période d’incertitude politique nationale et de déstabilisation (par exemple, la transition post-Biya). Pour cette raison, les fonctionnaires camerounais doivent non seulement être attentifs à tous les signes du retour physique du groupe, mais aussi être proactifs pour l’éliminer comme recours une fois pour toutes, ce qui implique de combler les objectifs militaires et idéologiques en un paquet anti-insurrectionnel complet.
Par principe, la solution la plus évidente est d’approfondir l’intégration complète du Cameroun avec le Nigeria et d’utiliser l’“Ambazonia” et le “Biafra” comme tremplins pour y parvenir, mais actuellement, il n’est pas sûr de le faire d’une manière aussi rapide et ouverte que cela devrait être nécessaire en raison du renouvellement du militantisme de la NDA et du risque qu’il a de se répandre à travers la frontière et d’encourager la SCAPO. Il est inévitable que ces deux pays se débrouilleront tôt ou tard autour d’une logique économique naturelle et de l’impulsion que la Route de la Soie CTS financée par les Chinois fournira, mais il est crucial à ce moment que tout mouvement progressif dans cette direction soit équilibré et prudent dans le but d’éviter les pièges prévisibles précédemment décrits ci-dessus.
Par conséquent, il est conseillé que le Cameroun commence par construire des contacts de travail et une coordination opérationnelle qu’il a avec l’armée nigériane grâce à sa participation conjointe à la Coalition anti-Boko Haram pour initier quelque chose de similaire, à moindre échelle et plus proportionné le long de leur frontière sud “Ambazonia” – “Biafra”. Il n’y aurait manifestement pas de frappe transfrontalière à ce stade, car la situation ne se détériore pas encore à ce niveau et ne peut être suffisamment entremêlée pour le justifier, mais ce serait une première étape proactive dans le cas où cela se produirait. Après avoir sécurisé leurs frontières, le Cameroun et le Nigeria pourraient alors se tourner vers l’amélioration de leurs liens économiques et socioculturels afin de se préparer à la survenue de la connectivité qui se produira une fois que la Route de la Soie CTS sera finalement achevée.
Cameroun comme garde-barrière trans-régional
L’un des principaux arguments de cette recherche est que le Cameroun a le potentiel de débloquer l’espace trans-régional de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, avec un résultat fonction de la façon dont il peut gérer les menaces de guerre hybride de Boko Haram et du SCNC / SCAPO . Si Yaoundé échoue à gérer ces problèmes, le Cameroun pourrait imploser et sa déstabilisation subséquente pourrait envoyer des répliques immédiates dans tout l’espace trans-régional, provoquant ainsi une éventuelle réaction en chaîne au Nigeria et au Tchad. D’autre part, le Cameroun pourrait rapprocher ces deux pays et relier l’espace entre eux et au-delà en raison de sa géographie unique et de l’énorme potentiel que la Route de la Soie CTS a, en transformant fondamentalement la géopolitique centre-ouest-africaine, pourvu qu’elle soit finalement terminée.
Le lecteur a peut-être repris le fait que les solutions proposées par l’auteur pour traiter Boko Haram et SCNC / SCAPO sont structurellement identiques et ne diffèrent que par les spécificités locales et régionales de leur application. Le point principal proposé dans les deux cas est que la transnationalisation de l’un ou l’autre espace – qu’il s’agisse du Nord musulman ou de l’Ouest anglophone – ne doit pas nécessairement être une mauvaise chose si c’est géré de la bonne manière, ce qui, dans le cas présent, est l’intention de favoriser une intégration multidimensionnelle robuste entre le Cameroun et ses voisins tchadiens et nigérians. S’appuyant sur l’impulsion de sécurité qui unit le pays de la manière la plus urgente à chaque homologue, il est possible d’élargir la structure de la coopération militaire dans les directions économiques et socioculturelles. La Route de la Soie CTS fonctionneraient alors comme l’épine dorsale de cette entreprise transnationale.
La vision conceptuelle est que le Cameroun tire parti de sa diversité civilisationnelle en tant qu’instrument pour se rapprocher de chacun de ses deux principaux voisins, dans le but final de devenir la «barrière» de géo-identité qui les maintient ensemble et fonctionne comme une entité trans-régionale de base reliant Afrique de l’Ouest et du Centre. La position géographiquement centrale du Cameroun dans cette construction, composée du potentiel de connectivité que ses régions musulmanes du Nord et anglophone de l’Ouest ont dans l’intégration avec leurs homologues transfrontaliers, offre à Yaoundé une opportunité stratégique de transformer ce qui pourrait être un désavantage de la guerre hybride en un vent nouveau de la Route de la Soie. Si les autorités compétentes prennent conscience des attributs stratégiques de leur pays et prennent des mesures concrètes pour atténuer les dangers évidents tout en adaptant les potentiels d’intégration, le Cameroun pourrait devenir l’un des pays les plus prospères d’Afrique et faire l’envie des Grandes Puissances du monde.
Le joker des “armes de migration de masse”
La dernière chose à discuter lors de la description des vulnérabilités de la guerre hybride du Cameroun est le caractère générique des «armes de migration de masse» (AMM), arme de guerre asymétrique (par inadvertance ou délibérée) décrite pour la première fois par la chercheuse Kelly M. Greenhill de Harvard en 2010. Le Cameroun est incapable d’influencer directement les affaires de ses voisins en dehors du débordement involontaire de ses propres problèmes domestiques, il est donc impuissant à déterminer si un conflit producteur d’AMM se produit ou non dans sa zone trans-régionale. C’est pourquoi une instance d’AMM est un joker car ces “armes” sont tout simplement hors du contrôle des autorités camerounaises, mais le gouvernement est toujours obligé d’y répondre immédiatement dès son apparition si elles devaient se répandre. L’afflux incontrôlable de réfugiés ou d’insurgés dissimulés dans les régions frontalières du Cameroun pourrait contribuer à une plus grande déstabilisation domestique et pousser l’un ou l’autre des principaux scénarios de la guerre hybride du pays au-delà du point de basculement et devenir un problème à part entière.
Menace de toutes parts
Les AMM pourrait arriver sur le Cameroun de n’importe quelle direction, les causes suivantes étant les causes les plus probables pour la déstabilisation de chaque point de la boussole:
- Nord – Boko Haram
- Est – Guerre civile en République d’Afrique centrale (RCA)
- Sud – Effondrement de l’État de Guinée Équatoriale lors d’une transition tumultueuse post-Mbasogo
- Ouest – Violence au “Biafra”
Les vecteurs du nord et de l’ouest ont déjà été décrits ci-dessus lors de l’analyse des conséquences de Boko Haram et d’une insurrection transnationale “Biafra” – “Ambazonia”, de sorte que la recherche abordera les menaces de l’Est et du Sud dans les deux dernières sous-sections.
La guerre civile de la République centrafricaine
La guerre civile qui a rendu la République centrafricaine (RCA) ingouvernable et l’a transformé en un état failli (ou certains diront, non existant) est un problème pressant pour la stabilité du Cameroun en raison de la menace très réelle qu’elle a de produire vague après vague des AMM. Le Cameroun accueille déjà 300 000 réfugiés de ce pays, dont la plupart par déduction logique sont basés dans la région de la frontière orientale. Bien que le Cameroun possède une population de plus de 22 millions de personnes, moins d’un tiers de million de réfugiés peut sembler une quantité non substantielle et facile à gérer. La réalité est que la région de l’Est où la plupart d’entre eux résident probablement a une population de seulement 800 000 habitants environ.
Cela signifie qu’un nombre significativement proportionnel des personnes dans cette partie du pays ne sont pas des citoyens, mais des réfugiés, ce qui peut évidemment entraîner des problèmes entre les nouveaux arrivants et les habitants indigènes si leurs interactions ne sont pas étroitement contrôlées. Par exemple, si les réfugiés de la RCA vivent dans des camps situés en dehors des principales villes et villages, il est moins probable que tout camerounais local soit conscient de leur présence ou d’un impact tangible. Mais si ces nouveaux arrivants vivent dans les mêmes villes et les mêmes villages que les habitants et rivalisent visiblement avec eux pour les emplois et les ressources, alors cela pourrait conduire vraisemblablement à une éruption de violence un de ces jours, que le gouvernement aimerait évidemment éviter.
La solution la plus durable à travers laquelle le Cameroun pourrait s’efforcer de prévenir une poussée d’AMM venant de la RCA serait de prendre l’initiative d’aider à résoudre la guerre civile du pays. Pour le rappeler au lecteur, la RCA est déchirée par une violence «civilisationnelle» conçue autour des divisions géographiques chrétiennes et musulmanes (non démographiquement égales), et c’est ici que la majorité chrétienne du Cameroun pourrait intervenir parallèlement avec son allié stratégique majoritairement musulman, le Tchad, pour intervenir comme ensemble médiateur dans le conflit du pays. Les détails ne sont pas clairs à ce stade pour savoir comment cela fonctionnerait dans la pratique, mais la stratégie est que le Cameroun et le Tchad pourraient travailler en partenariat pour tirer parti de leurs «lettres de créance civilisationnelles» comme moyen de gagner la confiance de chaque communauté confessionnelle respective. Ensuite Yaoundé et N’Djamena appliqueraient leur nouvelle influence pour encourager leurs alliés locaux à conclure un compromis durable qui permettrait des avantages multilatéraux de chaque côtés.
Du point de vue du Cameroun, plus vite la paix reviendra en RCA, plus tôt le couloir Douala-Bangui pourra être construit, alors que l’intérêt du Tchad est de maintenir la stabilité le long de sa frontière sud, poreuse et démographiquement très sensible pour les raisons expliquées dans le précédent chapitre. Les deux parties bénéficieront évidemment d’un potentiel d’AMM réduit, mais ce pourrait être les incitations de sécurité économique immédiates qui motivent les décideurs à Yaoundé et N’Djamena à prendre enfin les mesures audacieuses et coordonnées nécessaires pour résoudre le conflit «civilisationnel» de leur voisin commun.
Des violences éclatent en Guinée Équatoriale
Le deuxième joker qui pourrait se produire dans la production d’essaims d’AMM contre le Cameroun serait que des violences éclatent en Guinée équatoriale voisine lors d’une transition tumultueuse post-Mbasogo. Le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo dirige depuis 1979 son pays petit mais riche en pétrole et en gaz. Depuis lors, il a cultivé des relations très étroites avec les États-Unis. Bien que la Guinée équatoriale soit très faible géographiquement, elle a donc une importance géostratégique exceptionnelle dans les affaires régionales. Ce qui fait son caractère le plus particulier, en dehors de son chef d’état qui a été au pouvoir pendant près de quatre décennies (et son oncle a régné pendant dix ans avant d’être renversé), c’est que le pays est géographiquement discontinu et divisé entre les insulaires et une autre moitié littorale.
Chaque fois qu’un vieux leader meurt ou démissionne ce qui arrive inévitablement, le même scénario de «démocratie nationale» décrit ci-dessus pour le Cameroun entre en vigueur, de sorte que la stabilité du pays est largement déterminée par l’unité militaire et des élites au cours de la période de transition subséquente. Si une guerre hybride est lancée contre les autorités et / ou que la lutte entre des factions entraîne une éclosion de conflits et de troubles à l’échelle nationale, il est prévisible que beaucoup de gens du pays puissent essayer de fuir leur pays à l’étranger, la part du lion arrivant de manière prévisible au Cameroun en raison de la proximité pratique du pays. Même l’île principale de Bioko se trouve à seulement 32 kilomètres de la côte continentale et très proche du principal port atlantique de Douala, soulignant ainsi combien il serait facile pour une AMM d’échapper à son pays pour venir au Cameroun.
Ce qui pourrait être plus important que la préparation de tout AMM potentielle venant de Guinée équatoriale serait de décider quel rôle le Cameroun pourrait jouer pour influencer l’avenir post-Mbasogo du pays. En soi, le Cameroun n’a aucune influence sur ce qui se passe dans les affaires de son voisin, mais sa géographie lui offre une chance facile de le faire lors d’une éventuelle crise humanitaire, qu’il intervienne directement ou indirectement pour permette à son territoire d’être utilisé par d’autres qui le feraient à sa place. On ne sait pas quelles sont les mesures de contingence des forces armées camerounaises dans le cas d’un tel scénario, mais compte tenu du rôle actif que joue la France dans la région, il est prévisible qu’elle ordonne à ses troupes basées à Libreville dans la capitale gabonaise au Sud de s’impliquer sur le territoire de la Guinée équatoriale tout en demandant des droits de passage au Cameroun pour faciliter ses activités sur l’île de Bioko.
Si le Cameroun était invité à répondre à ce genre de circonstances en évolution rapide, il devra calculer ses bénéfices attendus de chaque action, ce qui pourrait être simplifié en ne faisant rien du tout et en ne réagissant qu’aux événements dans ses propres frontières ou alors en prenant la tête des opération ou en facilitant une intervention dans le pays voisin. De manière plus que probable, Yaoundé ne se comportera pas unilatéralement en ce qui concerne ce deuxième scénario, et ne bougerait vraisemblablement dans cette direction que si elle avait le soutien de Paris et / ou le ferait dans le cadre d’une opération conjointe avec la France. Dans ce cas, le Cameroun doit réfléchir à ce qu’il pourrait y gagner et comment il pourrait négocier sa position future afin de tirer le meilleur parti de son ancien maître colonial. Après un examen minutieux, on peut même décider que c’est l’avantage ultime du Cameroun de rester à l’écart de ce conflit éventuel et de conserver sa neutralité en matière de politique étrangère.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie “Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime” (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici
Traduit par Hervé pour le Saker Francophone
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