Par Andrew Korybko – Le 17 mars 2017 – Source Oriental Review
La dernière partie du continent africain à analyser dans l’étude de la vulnérabilité de la Guerre hybride est sa région de l’Ouest centrée sur le Nigéria. Cette partie de l’Afrique est significative pour de nombreuses raisons, dont notamment son potentiel démographique et énergétique. Le Nigeria se situe au fond de ce que les observateurs délimitent traditionnellement comme l’Afrique de l’Ouest et du Centre, bien que pour la portée et la pertinence stratégique de la présente étude, les pays du Tchad et du Cameroun ─ classés régulièrement en Afrique centrale ─ sont redéfinis comme faisant partie de l’Afrique de l’Ouest parce que leurs perspectives stratégiques et de sécurité sont plus directement liées aux événements dans cette région par opposition à ceux de leur groupe central traditionnel. La recherche vise à démontrer l’importance de la définition par l’auteur de la Région centrale de l’Afrique de l’Ouest (RCAO) pour la stratégie de la Nouvelle Route de la Soie de la Chine pour le continent et révéler les nombreux risques de guerre hybride qui menacent son intégration future dans le grand projet envisagé par Pékin.
Cet article d’introduction expliquera le contexte géostratégique de l’Afrique de l’Ouest et décrira certains des facteurs d’influence en jeu les plus importants dans la région. Après cela, les chapitres suivants analyseront la situation du Tchad, du Cameroun, du Niger et du Nigeria, dans cet ordre.
Connexion des géants
Concept de base
Jusqu’à présent, la recherche a décrit les deux projets d’infrastructure de transport d’une côte à l’autre que la Chine poursuit en Afrique comme étant la Route trans-africaine du Nord (NTAR) et son homologue australe (STAR). Bien que ces deux projets soient activement poursuivis, ce ne sont pas les seules occasions que la Chine avait de relier les côtes atlantique de l’Afrique et l’océan Indien. Il se pourrait que le plan initial ait été préparé il y a longtemps, avant qu’une première proposition officielle dans cette direction n’ait été proposée. D’un point de vue stratégique, il est très logique pour la Chine de relier les deux plus grands pays africains à travers une vaste ceinture riche en ressources afin de maximiser leurs forces économiques futures en tant que futurs leaders multipolaires amis de la Chine sur le continent. En pratique, cela impliquerait de rejoindre l’Éthiopie et le Nigeria en passant par le Sud-Soudan et de la République centrafricaine (RCA), bien que la situation absolument dysfonctionnelle de ces deux États de transit déchirés par une guerre civile n’ait même pas permis à la Chine d’offrir une vague proposition pour ce faire. La carte ci-dessous illustre le concept de base pour la connexion de ces deux géants démographiques :
Les efforts déployés par les États-Unis pour contribuer à cette ceinture d’États faillis qui vient d’être discutée dans le chapitre précédent peuvent être considérés comme un coup de force rentable dans la préemption d’un passage construit par la Chine pour cette la Nouvelle Route de la Soie entre ces deux États. Les déstabilisations provoquées de l’extérieur au Sud-Soudan et en République centrafricaine ont eu un fort impact jusqu’à totalement briser l’idée d’un gouvernement unifié dans chaque État, sans parler de l’idée même d’un « gouvernement » et d’un « État » dans ces deux territoires accolés. On ne sait pas combien de temps il faudra pour remédier aux dommages infligés et renouer même avec un semblant de loi, d’ordre et de stabilité dans ces deux pays, mais, pour le moment, on peut supposer que ni le Sud-Soudan ni la République Centre-africaine ne pourraient fonctionner comme des états de transit fiables dans l’accomplissement de cette vision. Cette situation va perdurer malgré l’occasion tentante d’utiliser leurs ressources extractibles pour alimenter davantage la croissance nigériane et éthiopienne dans le cadre de la stratégie suprême de la Chine pour assurer la multipolarité soutenue de l’Afrique sous son influence directrice.
La Route de la soie au Sahel
À la lumière des obstacles évidents que la Ceinture des États faillis pose à cette vision, une deuxième solution est conceptuellement possible, mais également marquée par une déstabilisation encouragée par les Américains. En partant du nord du Nigeria, puis passant par le Tchad et le Soudan, ce type de « détour » pourrait se terminer à Port-Soudan et / ou continuer en Éthiopie, bien que ce dernier trajet est incertain en raison des relations souvent tendues de Khartoum avec Addis-Abeba au sujet du projet du barrage de la Grande Renaissance de l’Éthiopie. Bien que le ministre soudanais des Affaires étrangères a déclaré récemment que les différences de son pays avec l’Éthiopie sur ce projet difficile sont réglées, le Soudan peut ne pas être intéressé par une liaison avec l’Éthiopie au niveau de confiance que son intégration sur cette Route de la Soie du Sahel nécessite. Avant d’aller plus loin, voici une description utile de ce chemin :
Khartoum serait le nœud central dans cette construction, que ce soit vers un terminal à Port Soudan et / ou à Addis-Abeba. Les deux sites sont facilement accessibles par les commerçants chinois, en ce sens où le premier peut être directement atteint par la mer Rouge, tandis que le dernier est lié à l’océan par le chemin de fer Djibouti-Éthiopie. Le deuxième scénario pourrait être plus difficile à mettre en œuvre à long terme, car il n’existe actuellement aucun chemin de fer entre l’Éthiopie et le Soudan et il ne sera probablement pas construit avant un certain temps, s’il se construit jamais, en raison de la méfiance résiduelle persistante autour de la controverse du barrage de la Grande Renaissance de l’Éthiopie. Par conséquent, alors qu’il est idéalement dans l’intérêt supérieur de la Chine d’étendre la Route de la Soie du Sahel à l’Éthiopie, de manière plus que probable, Addis-Abeba ne sera pas directement connecté à ce cadre via un système uni-modal avant de nombreuses années, bien que l’Éthiopie puisse en théorie y accéder par un itinéraire routier.
Cela étant dit, même la Route de la soie du Sahel entre le Nigeria, le Tchad et le Soudan est confrontée à des problèmes d’influence américaine avant que tout travail réel ne puisse être entrepris. La question du Darfour est apparue à l’avant-garde de l’attention mondiale au milieu des années 2000 et a été célébrée par de nombreuses personnalités qui voulaient diversifier leur carrière de stars du cinéma hollywoodien en y ajoutant un rôle d’« humanitaire » factice. Ces personnes ont-elle agi de leurs propres initiatives intéressées ou sont-elles liées à l’« État profond » des États-Unis (bureaucraties permanentes de la diplomatie militaire et des service d’intelligence) à la manière d’Angelina Jolie qui appartient au Council of Foreign Relations (CFR). Ce qui est sûr, c’est que ces « idiots utiles » ont promu une crise qui a eu pour effet de sabrer de manière préventive les plans chinois de Route de la soie du Sahel pour construire une route terrestre reliant le Nigeria à la mer Rouge.
De Port Soudan à Douala
Une fois que la question du Darfour a fini par se calmer et que les tensions entre le Soudan et le Tchad ont été résolues, Boko Haram est apparu comme une menace transnationale d’une ampleur encore plus grande que celle du Darfour, ce qui a suspendu indéfiniment tous les espoirs que la Chine aurait pu avoir pour actualiser sa vision. Néanmoins, les Chinois sont assidus et n’ont pas pour habitude d’être arrêtés dans leurs plans. C’est pourquoi ils ont improvisé une nouvelle solution pour contourner ce nouvel ensemble d’obstacles dans leurs dessins de Route de la Soie. Au lieu de relier directement l’Éthiopie au Nigeria, les Chinois semblent maintenant vouloir relier Port Soudan au port de Douala au Cameroun sur l’Atlantique au moyen d’un futur chemin de fer au Tchad. Il a été annoncé à l’été 2014 que la Chine fournirait un financement de 2 milliards de dollars pour cette entreprise, mais depuis lors, très peu d’informations ont filtré sur ce projet dans la presse internationale.
Le dernier point fiable à ce sujet est venu en août 2016 lorsque l’ambassadeur soudanais au Tchad a déclaré que « des dispositions sont en cours » pour la partie tchadienne de l’initiative, tandis que la partie Tchad-Cameroun de ce couloir continue à être construite, supportée par un prêt de 71 millions de dollars de la Banque mondiale à Yaoundé. En ce qui concerne la composante soudanaise, une infrastructure ferroviaire existe déjà reliant la ville frontalière de Nyala au Darfour à Khartoum et à Port Soudan.
À la surface des choses, il pourrait être déroutant de comprendre pourquoi la Chine voudrait relier Port Soudan à Douala alors que sa stratégie originale et la plus logique l’oblige à lier l’Éthiopie et le Nigeria. Mais en fait, ce que la Chine fait, est de s’adapter aux conditions géostratégiques changées par les Américains et essayer de relier le Nigeria à Port Soudan d’une autre manière. Superficiellement, bien sûr, rien de ceci ne se passe, car le chemin de fer devrait se terminer au Cameroun et non au Nigeria, mais dans la pratique, Douala est assez proche du sud du Nigeria pour être accessible à ce marché et ainsi intégrer la partie du pays africain le plus peuplé dans le projet d’infrastructure conjoncturelle multipolaire de la Chine sans trop de difficulté. Voici une visualisation de cette nouvelle route :
Comme on peut le constater, un retour du conflit au Darfour risque de compromettre ces plans, bien qu’il semble de manière convaincante que le Soudan ait beaucoup plus de contrôle sur la situation à l’heure actuelle que précédemment, tout en luttant contre une autre guerre dans ce qui est aujourd’hui le territoire du Sud-Soudan. En outre, la capitale tchadienne de N’Djamena est un nœud clé véritablement menacé par Boko Haram, mais compte tenu de la force et des mesures proactives du Tchad pour contrer cette menace, il ne semble pas probable que le projet soit mis en danger. Ce qui est le plus intéressant à propos de cette nouvelle proposition de Route de la soie, c’est qu’elle est un mélange des deux routes discutées précédemment entre l’Éthiopie et le Nigeria d’une part et le Soudan et le Nigeria d’autre part, que ce soit par l’intermédiaire de la Ceinture des États faillis ou du Sahel, respectivement.
Une observation intrigante est que la route Éthiopie-Sud-Soudan-République Centrafricaine-Cameroun-Sud du Nigeria traverse un territoire majoritairement chrétien tandis que son homologue nord du Nigeria-Tchad-Soudan passe par un territoire majoritairement habité par les musulmans. Aucun jugement stratégique ne se fait d’une manière ou d’une autre à cet égard et ces faits n’ont pas joué de façon réaliste dans les chemins prévus de ces deux routes, mais ils sont néanmoins intéressants à noter. Par conséquent, le chemin de fer mixte de Port-Soudan à Douala traverse un territoire majoritairement musulman au Soudan et au nord du Tchad avant de traverser un territoire principalement chrétien au sud du Tchad et dans les parties du Cameroun par lequel il passe. Du point de vue du plan du « Choc des civilisations » que les États-Unis suivent en divisant et en régissant l’hémisphère oriental, cela signifierait que toute aggravation de la tension identitaire (religieuse) entre les populations du nord / centre et du sud du Tchad pourrait perturber l’ensemble projet.
Dynamique centrale
La situation géostratégique de cette région, le cœur de l’Afrique de l’Ouest (WACR) doit être exposée afin que le lecteur puisse bien comprendre la dynamique pertinente dans cette partie du continent. Pour commencer, le Nigeria est évidemment le noyau de toute la région, avec les pays voisins du Bénin, du Niger, du Tchad et du Cameroun représentant son « étranger proche » en termes géopolitiques. Ce sont ces états qui sont les plus directement touchés par tout ce qui se passe au Nigeria et vice-versa, voilà donc pourquoi ils sont tous regroupés dans cette étude comme formant le WACR. Après avoir établi les paramètres de cette sous-région pivot, plusieurs inférences pertinentes peuvent ainsi être faites pour aider à comprendre comment chaque partie se rapporte à l’autre.
Néo-impérialisme français
L’observation la plus remarquable est que le Nigeria est un pays anglophone entouré d’États francophones. Les différences entre ces deux groupes de pays vont au-delà des domaines linguistique et politico-économique. Il est clair que chaque entité était auparavant colonisée par une puissance européenne différente, mais une autre subdivision peut également être faite parmi les quatre états français. Le Bénin et le Niger font partie du Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest qui est utilisé parmi les membres de l’Union monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA), tandis que le Tchad et le Cameroun sont membres de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) qui utilisent le Franc CFA de l’Afrique centrale. Les deux monnaies sont directement contrôlées par Paris, de sorte que la France exerce ainsi une influence néo-coloniale suprême sur les affaires de presque toutes ses anciennes colonies africaines. L’importance de cet étonnant niveau de contrôle est sa composante militaire telle qu’exprimée dans l’Opération Barkhane. C’est ainsi que la France a maintenant nommé son déploiement africain transnational à la suite de l’intervention malienne 2013 (officiellement connue sous le nom d’Opération Serval). En ce qui concerne la WACR, cela comprend le Niger et le Tchad, riches en uranium et en pétrole, respectivement. Pris ensemble dans toutes ses différentes itérations, la France se réfère à sa politique post-coloniale à l’égard de l’Afrique comme la « Françafrique ».
CEDEAO et le lac Tchad
Avec une telle influence exercée par la France sur ses anciennes colonies dans la région, le Nigeria a du mal à repousser son leadership dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). En ce qui concerne la WACR, elle comprend le Niger et le Bénin. L’appartenance de ce dernier état à la WACR est essentiellement une conséquence du fait que le Lagos dans les termes stratégiques actuels est l’unique voie de transit maritime actuelle de l’uranium du Niger extrait par la France. Le Nigeria est beaucoup trop affaibli intérieurement en ce moment pour avoir un impact positif sur l’un de ses voisins, sauf en termes économiques élargis. Il reste néanmoins une force sur laquelle compter, c’est pourquoi la CEDEAO est en effet une organisation d’intégration régionale à conserver à l’œil par les observateurs. La frontière orientale de ce bloc comprend la région du lac Tchad, riche en pétrole, qui amène ainsi le Cameroun et le Tchad à la même désignation géographique sous-régionale que le Niger et le Nigeria. En outre, la menace transnationale de Boko Haram a attelé ces quatre pays encore plus étroitement, car ils tentent multilatéralement de faire face à cette menace. Le groupe terroriste est exceptionnellement dangereux pour tous, car il se niche dans un territoire facilement traversable, intrinsèquement vulnérable à une capture soudaine par Daesh, ce qui signifie que les états de la coalition anti-Boko Haram doivent toujours rester sur leurs gardes pour empêcher ce type de blitzkrieg de se concrétiser.
Coopération anglophone-francophone au sein de ce cœur
La coalition anti-Boko Haram du Cameroun, du Tchad, du Niger et du Nigeria sert plus qu’à un simple mécanisme antiterroriste, puisqu’elle lie également certains membres de la CEDEAO avec ceux de la CEMAC dans le premier cadre opérationnel transrégional entre les deux. Sur un front plus symbolique, elle regroupe les pays anglophones et francophones de la WACR pour partager une vision concrète définie dans l’urgente plutôt que celle offerte par la CEDEAO. Poursuivant la tangente de la coopération anglophone-francophone dans le WACR, le discours précédent sur la construction d’un pipeline trans-saharien du Nigeria vers l’Europe occidentale au moyen du Niger et de l’Algérie suffit aussi comme exemple commun, mais il faut souligner que ce projet de gazoduc n’a jamais été retiré des limbes et pourrait probablement ne jamais exister, dû à l’avènement du GNL et à la réduction du prix concurrentiel entraîné par son prochain déploiement à grande échelle. Cela rendra ce moyen de vente aussi attrayant et peut-être encore plus stratégiquement sûr qu’un pipeline terrestre standard dans une région aussi volatile. Enfin, en ce qui concerne les questions qui relient le fossé anglophone-francophone dans la WACR, il faut mentionner que le Cameroun dans son existence actuelle est un exemple parfait en raison de l’incorporation démocratique en 1961 de l’ancienne colonie britannique du « Cameroun du Sud », qui a ensuite transformé le pays unifié en un point de rencontre pour ces deux langues, même si elles sont encore géographiquement distinctes.
Turbulence dans l’espace de pivotement trans-régional
Ce qui suit est l’essentiel des scénarios de la guerre hybride possibles dans la région de l’Afrique de l’Ouest, bien qu’il y ait aussi des détails beaucoup plus nuancés qui les concernent ainsi que plusieurs autres possibilités de déstabilisation connexes qui seront explorées dans les chapitres suivants :
Boko Haram
Le Nigeria est le centre géostratégique de la WACR, et il s’ensuit que sa déstabilisation interne se répercuterait vers l’extérieur dans le reste de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, tout comme la Libye vis-à-vis de l’Afrique du Nord et du Sahara. Le lecteur devrait se rappeler que le Nigeria relie la CEDEAO et la CEMAC, cette dernière étant liée à cause de l’adhésion active du Cameroun et du Tchad à la Coalition anti-Boko Haram. Le groupe terroriste contre lequel ils se battent est en fait la menace numéro un pour les quatre pays, car son emplacement autour du bassin du lac Tchad signifie qu’il pourrait facilement se propager d’une communauté musulmane à l’autre, non seulement en termes idéologiques, mais aussi au niveau d’une conquête militaire en raison du terrain facilement traversable qui, à bien des égards, reflète celui le long de la frontière « Syraq ». La différence, cependant, est que les voisins du Nigeria ont été assez forts pour repousser cette menace, car ils ont traversé leurs frontières et ont effectivement pris l’initiative de repousser Boko Haram au Nigeria, car Abuja n’a pas pu traiter correctement ce groupe. C’est un fait révélateur que le pays le plus grand et le plus riche en énergie de la WACR est le moins capable de défendre ses propres frontières et de rétablir sa souveraineté, ce qui témoigne du niveau de corruption qui a corrodé les forces armées nigérianes depuis des décennies.
Les insuffisances de la coalition anti-terroriste
Bien qu’il puisse sembler que la coalition anti-Boko Haram puisse réussir à contenir la menace terroriste dans les frontières du Nigeria et se protéger ainsi de sa contagion, la réalité est beaucoup plus complexe, car l’implosion au ralenti de l’État nigérian les affecterait inévitablement tous avec le temps. Alors que Boko Haram reste plus un problème national nigérian et moins celui d’une région transnationale internationale entre la CEDEAO et la CEMAC, il risque de devenir trop écrasant pour les autorités nigérianes elles-mêmes à gérer et donc totalement hors de contrôle. Pour des raisons sensibles de souveraineté nationale, une offensive de la coalition au cœur du nord-est du Nigeria pourrait créer beaucoup de problèmes intérieurs dans le pays et peut-être augmenter les tensions entre lui et son voisin tchadien militairement ambitieux. Il est donc possible que N’Djamena ne s’engage pas plus loin au Nigeria que le strict nécessaire pour protéger directement sa propre sécurité et ses frontières. Boko Haram est très dangereux pour le Nigeria, non seulement en raison de ce qu’il fait physiquement dans ce coin isolé du pays dans lequel il est actif, mais en raison de ce qu’il représente, une forte identité religieuse-régionale (musulman-nord) soutenue par une action militante. Plus fort Boko Haram devient et plus longtemps Abuja doit lutter pour l’extirper complètement, et plus on verra s’engager des insurgés chrétiens-méridionaux tels que les MEND et les « Avengers » qui viennent d’une autre partie du pays autrefois appelé « Biafra ».
Contre-mesures des Chrétiens
Ceci est extrêmement problématique pour le Nigeria car, contrairement à Boko Haram, les MEND et les « Avengers » sont actifs dans la partie la plus active du pays qui représente la plupart des revenus du gouvernement, de sorte qu’une recrudescence de l’activité terroriste religieuse-régionale pourrait être dévastatrice pour les caisses nationales et multiplier ainsi le sentiment antigouvernemental avec le temps car la population déjà appauvrie serait forcée de subir d’autres compressions budgétaires et les difficultés socio-économiques résultantes. Les séparatistes du sud pourraient ensuite se débrouiller à travers la frontière pour recruter l’aide coordonnée de leurs homologues du Sud du Cameroun pour recréer le scénario de déstabilisation nigérian au Cameroun. Tout comme le nord du Nigeria est détruit par la violence de Boko Haram, il en est de même du nord du Cameroun, et on pourrait aussi avoir le même type de violences sécessionnistes au sud dans les anciens territoires britanniques dans lesquelles son voisin s’enfonce dans le delta du Niger, bien que pour des raisons différentes mais complémentaires. À son tour, si le Tchad ne peut pas accéder de manière fiable au Cameroun qui supporte 80% du commerce national qu’il mène dans le pays (y compris via le pipeline qui traverse son territoire), non seulement la Route de la Soie CCS à travers le Cameroun, le Tchad, et le Soudan sera perturbée, mais l’homme du milieu dans cet arrangement subirait des difficultés domestiques aggravées liées au manque de biens de consommation et aux prix élevés, ce qui pourrait naturellement créer de l’espace pour une révolte dans le Tchad méridional parmi la population chrétienne historiquement réactive qui se méfie déjà du gouvernement dirigé par les musulmans du nord.
Plan plus large
Le modèle plus large qui est établi ici est que le militantisme musulman dans le nord du Nigeria et du Cameroun encourage ses homologues chrétiens au sud, avec pour conséquences que ces deux déstabilisations interconnectées touchent le Tchad à un degré très élevé. Quant au Niger, il se contente de contenir Boko Haram pour l’heure, bien que Niamey se demande sans aucun doute ce qu’il faudrait faire si un Nigeria déstabilisé finissait par exporter ses problèmes vers le Bénin voisin, qui est la sortie principale vers la mer de ce pays enclavé. Si les banlieues internationales transfrontalières de Porto Novo et de Cotonou sont affectées de manière suffisamment grave pour que les exportations d’uranium nigériennes destinées à la France ne puissent plus se transporter de façon fable et / ou sûre à travers celle-ci (ce qui constitue essentiellement une excroissance de la capitale), une intervention militaire française pourrait être sur la table pour sécuriser la ligne de vie énergétique vitale de Paris à travers le pays.
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.
Traduit par Hervé, vérifié par Julie, relu par M pour le Saker Francophone
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