Guerre de quatrième génération, la victoire du modèle du Hezbollah


Par William Lind – Le 10 novembre 2017 – Source Traditional Right via Le Nœud Gordien

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L’État islamique est sur le point d’être totalement vaincu dans son sanctuaire syro-irakien. Les entités de quatrième génération – c’est-à-dire, pour faire simple, l’anarchie armée proliférant sur les États faibles – est-elle donc défaite ? Non point, prévient le stratège William Lind : c’est simplement le modèle alternatif, celui du Hezbollah au Liban, qui a montré sa supériorité.

Quant à la menace de fond que représente l’anarchie armée, elle perdurera et prospérera – du moins tant que la légitimité des États continue d’être progressivement vidée de son contenu par le projet d’une « gouvernance » mondiale.

Quand nous pensons aux ennemis de l’État islamique [E.I. ou encore « Daech », NdT], nous viennent à l’esprit d’abord : les religions autres que l’islam, les musulmans qui rejettent le puritanisme sunnite, les États de la région, les États occidentaux et ainsi de suite. Mais du point de vue de la théorie de la guerre de quatrième génération le principal concurrent de l’E.I. pourrait bien être le Hezbollah 1. Ces deux entités islamiques de quatrième génération représentent deux modèles différents de G4G. Le modèle du Hezbollah consiste à vider l’État de son pouvoir, mais à le laisser en place là où il est. Le modèle de l’E.I. balaye l’État et lui crée un remplaçant sous la forme d’un califat, qui est une forme pré-étatique de gouvernement (ironiquement, l’E.I. ultra-puritain a proclamé un califat qui d’après la loi islamique est illégitime, parce que le calife légitime reste le chef de la maison d’Osman, le sultan ottoman était aussi un calife).

La compétition entre ces deux approches de la guerre de quatrième génération touche à sa fin, et le verdict est clair : le modèle du Hezbollah l’emporte. Ce n’est pas une bien grande surprise, sauf peut-être pour l’E.I. En s’emparant de territoires et en y proclamant un califat, l’E.I. s’est rendu vulnérable à la défaite par des forces armées étatiques. Ces forces pouvaient combattre de la manière dont elles ont été équipées et entraînées pour le faire, dans une guerre de feux et d’attrition dont l’objectif est de prendre et de garder le contrôle de territoires. A chaque fois que des forces G4G affrontent des forces étatiques dans ce genre de combat, il est probable qu’elles aient le dessous. Elles mettent leur faiblesse en face de la plus grande force de leur adversaire, qui est sur la case tactique / physique de la grille des niveaux de guerre. 2

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L’État islamique, un triomphe éphémère

Au contraire, le modèle du Hezbollah utilise un État vidé de sa force pour faire basculer le conflit de la case tactique / physique vers la plus grande force des entités G4G, la case stratégique / morale (selon le colonel John Boyd, il s’agit là de la case la plus puissante pour déterminer l’issue d’une guerre, la case tactique / physique étant la moins puissante). L’État du Liban protège stratégiquement et moralement le Hezbollah du simple fait qu’il est impossible d’attaquer la base du Hezbollah sans attaquer en même temps l’État au moins nominalement souverain du Liban. Étant donné que l’élite gouvernementale internationale regarde comme moralement mauvaises les attaques contre d’autres États, surtout les États faibles qui ne constituent par eux-mêmes aucune menace, l’attaquant se trouvera donc rapidement lui-même condamné et isolé. Voilà ce qui a fait que les tentatives de notre « plus grand allié » [Israël vu par les USA, NdSF] d’attaquer le Hezbollah sur le sol libanais se sont soldées par une défaite 3 même s’il est vrai aussi que le Hezbollah est bien meilleur, tactiquement parlant, que la plupart des autres entités G4G.

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Les différents niveaux de guerre tels que conceptualisés par John Boyd Une explication plus détaillée se trouve ici

L’E.I. pourrait tenter maintenant d’en revenir au modèle du Hezbollah, mais je crois qu’il a peu de chance de réussir. Ce modèle exige des années de préparation patiente et de service, plutôt que l’oppression de la population locale 4 et je doute que l’E.I. soit capable de patience comme de service. La chute de son califat illégitime diminuera sa capacité à recruter et à trouver des fonds, et comme al-Qaïda il sera réduit à l’ombre de ce qu’il était.

Mais c’est en ce moment précis de victoire que l’incapacité de l’Occident à comprendre la guerre de quatrième génération préparera ses échecs futurs. Les gouvernements occidentaux tombent dans ce piège de définir leurs ennemis comme l’un ou l’autre de ces croquemitaines particuliers – al-Qaïda ou l’E.I., ou le Hamas ou peu importe quel autre. Ce faisant, ils s’attachent à des arbres qui leur cachent la forêt. Les entités G4G, islamiques ou autres, vont et viennent. Chaque entité particulière importe assez peu à elle seule. Ce qui est important, c’est qu’elles peuvent se générer indéfiniment tant que nous manquons la menace réelle, c’est-à-dire le terreau dont elles sont toutes issues 5 Et ce terreau, c’est la crise de légitimité de l’État. Comme me l’a dit Martin Van Creveld il y a de nombreuses années, tout le monde peut la voir, sauf les habitants des capitales.

L’origine de cette crise de légitimité, c’est le vidage de l’État de sa force et de son contenu, précisément ce qu’exige l’élite globaliste 6. Ce point de vue « internationaliste » est dominant dans l’élite mondiale depuis la fin de la Première Guerre Mondiale, et vous ne pouvez à la fois exprimer un désaccord sur ce sujet et rester membre de cette élite. Voilà pourquoi l’élite craint et méprise tant le président Trump, qui représente le retour de la souveraineté de l’État – et avec elle une légitimité ravivée pour l’État 7. Une telle résurgence est la seule chose qui puisse vaincre, non telle ou telle entité G4G, mais la guerre de quatrième génération en elle-même, au niveau stratégique / moral, qui est le seul décisif.

Est-ce que cela fait des entités G4G et de l’élite globaliste des alliés de fait ? À vous d’en tirer vos propres conclusions.

Traduction et notes – Alexis Toulet pour le Nœud Gordien

Notes

  1. Rappelons que le Hezbollah,« Parti de Dieu », est à la fois une milice et un parti politique chiite libanais, à l’influence directrice sur toute la vie politique libanaise, soutenu par l’Iran et allié au gouvernement syrien qu’il soutient militairement. Il a pu être décrit comme djihadiste chiite, étant à l’origine de la tactique des attentats suicide dans le monde musulman, notamment les attentats de Beyrouth de 1983 tuant 241 militaires américains et 58 parachutistes français
  2. Pour plus de détails, on peut se reporter au Manuel de la Guerre de quatrième génération écrit par Lind.
  3. Il s’agit d’Israël en guerre contre le Hezbollah au Liban en 2006 – Lind exprime ici un certain scepticisme sur l’intérêt pour les États-Unis de cette alliance. On peut encore évoquer en beaucoup plus actuel les fortes pressions de cet autre allié de l’Amérique qu’est l’Arabie saoudite contre le Liban, en fait essentiellement contre le Hezbollah et son allié iranien
  4. La puissance actuelle du Hezbollah ne s’est pas construite en un jour, mais bien au cours de l’occupation israélienne du Liban pendant près de vingt ans à partir de 1982
  5. Ce terreau est identifié expressément par les praticiens et théoriciens de la G4G islamiste, par exemple Abu Bakr Naji écrivant « Le Management de la Sauvagerie » pour définir la stratégie des mouvements djihadistes
  6. L’idéologie « globaliste », aussi puissante soit-elle, n’est cependant pas le seul facteur de délégitimation. La mondialisation de la production des biens de consommation, tout comme les inégalités criantes à l’intérieur d’États « compradores » sont d’autres puissants facteurs – quoique tous deux soient certes favorisés par le libre-échangisme et la financiarisation qui découlent de l’idéologie globaliste
  7. Il est toutefois difficile de ne pas ajouter que si le président Trump a clairement fait campagne sur les intérêts de l’Amérique en tant que telle, différents de ceux de son empire, sa volonté et son habileté à appliquer réellement une telle politique une fois élu sont pour le moins sujettes à caution
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