Existe-t-il des lignes rouges pour les États-Unis ?

Par Moon of Alabama – Le 2 janvier 2023

L’administration Biden s’est jusqu’à présent abstenue d’envoyer des missiles de plus longue portée en Ukraine. Elle craint une réaction russe sévère si elle changeait cette politique. Certains bellicistes n’apprécient pas cette raisonnable retenue.

Dans le New York Times d’aujourd’hui, un ancien diplomate britannique, qui travaille désormais pour un groupe de réflexion pro-guerre, plaide en faveur de la livraison d’armes à plus longue portée à l’Ukraine.

Poutine n’a pas de lignes rouges

« Quelles sont les lignes rouges de Poutine ? »

Cette question, posée avec une urgence croissante alors que la Russie perd sa guerre en Ukraine mais ne relâche pas ses agressions, est censée offrir une clarté analytique et orienter la politique. En réalité, c’est la mauvaise question, car la « ligne rouge » est une mauvaise métaphore. Les lignes rouges ne sont que des harengs rouges. Il existe de meilleures façons d’envisager une stratégie.

Selon l’auteur, les lignes rouges, qui consistent à menacer l’adversaire de conséquences lorsqu’il exécute un mouvement d’escalade spécifique, n’existent pas vraiment. Les lignes rouges sont mobiles, la réponse à une violation de ligne rouge a un coût pour celui qui a tracé la ligne et les lignes rouges invitent à la tromperie – dit l’auteur.

Après avoir consacré plusieurs centaines de mots à l’argument selon lequel les lignes rouges sont un concept inutile, l’auteur affirme que l' »Occident » devrait en tracer une grande :

Les préoccupations concernant les « lignes rouges » de la Russie sont motivées avant tout par la crainte que la Russie ne recoure à l’escalade nucléaire. L’Occident devrait éviter cela en dissuadant la Russie plutôt qu’en se retenant – ou en faisant pression sur l’Ukraine pour qu’elle se retienne aussi – de peur de la « provoquer« . Il peut le faire en communiquant la certitude de conséquences graves si la Russie utilisait des armes nucléaires.

Pour mémoire : La Russie n’a jamais menacé d’utiliser des armes nucléaires en Ukraine. C’est l’administration Biden qui prétend que la Russie l’a fait.

Communiquer que l' »Occident« , c’est-à-dire les États-Unis, exécutera une conséquence grave X si la Russie fait Y, c’est tracer une grosse ligne bien rouge.

Alors quel est l’objectif de cette ligne rouge ?

La Russie n’a pas de ligne rouge : Elle ne dispose, à chaque instant, que d’un éventail d’options et de perceptions de ses risques et avantages relatifs. L’Occident devrait continuellement chercher, par le biais de sa diplomatie, à façonner ces perceptions afin que la Russie choisisse les options que l’Occident préfère.

L’Amérique l’a déjà fait. Pendant la crise des missiles de Cuba, la confrontation nucléaire la plus dangereuse à ce jour, la position de l’Union soviétique a changé en quelques jours, pour finalement accepter une issue favorable à l’Occident.

L’ancien diplomate britannique manque manifestement d’une éducation décente en histoire. Les missiles soviétiques installés à Cuba l’ont été parce que les États-Unis avaient installé des missiles Juniper de moyenne portée à capacité nucléaire en Turquie et en Grèce. Ces missiles menaçaient Moscou. Les États-Unis avaient donc franchi une ligne rouge soviétique. L’installation de missiles à Cuba étaient une contre-mesure au fait que les États-Unis en avaient installé en Turquie. Lorsque l’administration Kennedy a reconnu ce fait, elle a négocié le retrait de ses missiles en Turquie et en Grèce en échange du retrait des missiles soviétiques à Cuba.

Ce sont les Soviétiques qui ont gagné ce round de la guerre froide, pas les États-Unis.

Comme il ne connaît pas l’histoire de la crise de Cuba, l’auteur en tire des conclusions erronées :

Si la Russie est plus investie dans la subordination de l’Ukraine qu’elle ne l’était dans le déploiement de missiles à Cuba, la logique est la même. En 1962, l’Amérique a persuadé le dirigeant soviétique, Nikita Khrouchtchev, que le retrait des armes nucléaires de Cuba était, aussi désagréable soit-il, un meilleur choix que leur déploiement. De même, l’Occident devrait maintenant chercher à persuader M. Poutine que le retrait de ses forces d’Ukraine est moins périlleux que de combattre.

Selon l’auteur, pour convaincre la Russie de battre en retraite, l’« Occident » ne devrait pas se contenter de livrer des armes à l’Ukraine. Il devrait renforcer les sanctions contre la Russie pour en augmenter les coûts. Il devrait faire savoir qu’un retrait de l’Ukraine signifierait qu’il n’y aurait pas de changement de régime à Moscou. (Même si c’est en fait la finalité évidente des États-Unis).

Poursuivies avec fermeté et détermination, ces « opérations de mise en forme » diplomatiques à l’appui de la campagne militaire ukrainienne peuvent faire en sorte que l’option la moins mauvaise de la Russie s’aligne sur ce que souhaite l’Occident, beaucoup plus puissant. Une telle stratégie est le contraire de l’acceptation de lignes rouges.

Poutine […] ne devrait pas être autorisé à définir les limites de la politique occidentale. cette stratégie nécessite une réflexion rigoureuse, pas des métaphores paresseuses.

Une métaphore paresseuse revient à s’opposer aux lignes rouges tout en en traçant de nouvelles. Une métaphore paresseuse, c’est réinventer l’histoire pour en tirer la conclusion voulue mais erronée. Cet éditorial n’est pas une pensée rigoureuse mais un charabia confus.

Dès qu’il deviendra évident pour tout le monde que l’Ukraine est en train de perdre la guerre, l’administration Biden livrera probablement davantage d’armes à longue portée à l’Ukraine en lui conseillant de les utiliser contre la Russie. La Russie répondra à cela. Très probablement pas en Ukraine, mais dans un endroit et à un moment où cela fera beaucoup plus mal aux États-Unis que tout ce qui peut leur être fait en Ukraine.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

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