Par Charles Hugh Smith – Le 31 mars 2017 – Source washingtonsblog.com
J’ai présenté ce graphique de l’augmentation des inégalités de richesse à plusieurs reprises, au cours de la dernière année. Remarquez-vous quelque chose de particulier, sur les points d’inflexion dans les années 1980?
Le correspondant W.S. a noté que le point d’inflexion pour le 0,1% du haut (fin des années 1970) a précédé le point d’inflexion des 90% du bas (vers 1986) : les deux ont augmenté leur part de richesse des ménages de 1978 à 1986, puis la part du 0,1% du haut a décollé. Elle a même carrément triplé, passant de 8% à plus de 22%, alors que la part des 90% du bas a diminué de 36% à 23%.
(Notez que les données s’arrêtent à 2012; si nous étendons les tendances au présent, les lignes se sont certainement croisées et la part du 0,1% dépasse maintenant celle des 90% du bas).
Alors, qu’est-il arrivé entre 1978 et 1986? La première phase de la financiarisation de l’économie américaine.
Qu’est-ce que la finance? Dans une économie financiarisée, la spéculation avec une dette ayant un fort effet de levier et des instruments financiers exotiques est beaucoup plus profitable que la production de biens et de services.
La financiarisation évide les actifs productifs d’une économie en stimulant le levier, la dette, l’opacité, la spéculation, la fraude financière, la collusion et la perfection du capitalisme de copinage, c’est-à-dire la prise de contrôle par les élites financières des organes réglementaires et législatifs du gouvernement.
Voici une autre description, moins piquante, via Wikipedia : « L’effet de levier financier surpasse le capital (equity) et les marchés financiers dominent l’économie industrielle traditionnelle et l’économie agricole. »
Voici ma définition la plus formelle :
La financiarisation est la valorisation massive de la dette et des instruments financiers basés sur cette dette, le tout garanti par des actifs précédemment à faible risque, une pyramide de risques et de gains spéculatifs, qui ne sont possibles que dans une période d’expansion massive du crédit et des effets de levier à faible coût.
Une autre façon de décrire la même dynamique est que la financiarisation résulte des effets de levier et de l’asymétrie de l’information, qui remplacent l’innovation et l’investissement productif, en tant que source de création de richesse.
Je décris cette dynamique dans Quelle est la principale cause de l’inégalité de richesse? La financiarisation (24 mars 2014).
Le correspondant W.S. a soumis un commentaire et fait référence à ce livre de 2005, Financiarisation et l’économie mondiale :
Aux États-Unis, la dette totale du marché du crédit divisée par le PIB était d’environ 1,5 de 1961 à 1981. Elle s’est accélérée rapidement dans la décennie des années 1980 – de 1,6 en 1981 à 2,3 en 1989 – à mesure que le déficit budgétaire fédéral a grimpé et que les prises de contrôle hostiles et les rachats à effet de levier (LBO) par des corporations avec un usage massif de dette et aussi les emprunts des ménages ont augmenté. Les emprunts des entreprises et des ménages ont augmenté un peu plus l’endettement généralisé dans les années 1990. En 2001, le ratio dette / PIB était de 2,8, soit près du double du ratio de l’âge d’or. En outre, les taux d’intérêt réels moyens ont été beaucoup plus élevés dans l’ère néolibérale, qu’ils ne l’étaient dans les trois décennies qui l’ont précédé.
W.S. a également mentionné le rapport Financiarisation de l’économie et ajouté ce commentaire :
Bien que les conglomérats « boursouflés » aient été liés par certains à la lenteur de l’économie américaine dans les années 1970, pour les spécialistes en raids d’entreprise, ils ont présenté une opportunité d’enrichissement rapide via le «marché du contrôle d’entreprise» (Manne, 1965). Les étrangers pouvaient acheter l’entreprise à ses actionnaires existants, licencier ses gestionnaires et la vendre à la découpe pour un profit rapide.
Après l’élection de Ronald Reagan en 1980, c’est devenu possible à grande échelle, en raison du relâchement sur les directives antitrust, les changements dans les lois anti-prise de contrôle et des innovations financières qui ont permis aux « raiders » d’obtenir un financement à relativement court terme et à grande échelle (Davis & Stout 1992 ). Au cours de cette décennie, près d’un tiers des plus grandes entreprises industrielles de Fortune 500 ont été acquises ou fusionnées, entraînant souvent des retombées indirectes. En 1990, les sociétés américaines étaient beaucoup moins diversifiées qu’elles ne l’étaient une décennie plus tôt (Davis et al 1994).
L’autre chose qui s’est produite au milieu des années 1980, était que la technologie informatique est devenue assez bon marché et assez puissante pour commencer à remplacer le travail humain à plus grande échelle. Des logiciel de calcul tels que Excel sont devenues accessibles aux petites entreprises, et la combinaison de la publication assistée par ordinateur comme l’Apple de Macintosh et des imprimantes laser a révolutionné la structure des coûts du marketing.
La montée en puissance de l’Internet (couplée à la mémoire et au pouvoir de traitement peu coûteux) a encore alimenté l’expansion productive des technologies numériques. Comme je le décris dans mon livre Obtenez un emploi, construisez une carrière réelle et défiez une économie déconcertante, ces outils – qui sont maintenant omniprésents et peu coûteux – permettent à une personne d’aujourd’hui d’égaler la production de quatre personnes à la fin des années 1980.
En effet, le travail est entré dans une ère de sur-approvisionnement dynamique, tout comme les coûts des soins de santé ont commencé à augmenter, ce qui a rendu plus coûteux l’embauche des travailleurs. Certaines compétences et métiers restent rares et donc bien payés, mais, en général, il est devenu moins cher et plus efficace de remplacer un travail humain de plus en plus coûteux par des logiciels et des outils numériques de moins en moins coûteux, eux, malgré leur puissance croissante.
À moins que nous ne modifiions la structure fondamentale de l’économie pour que la production de biens et de services maximise les opportunités et soit plus profitable pour les gens, au lieu de jouer à des jeux financiers avec des actifs fantômes, la fin du jeu de la financiarisation est l’effondrement financier.
Charles Hugh Smith
Liens
insolentiae.com : Ces crises à venir
Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par nadine pour le Saker Francophone