Mars 2024 – Source Nicolas Bonnal
Le journal de Drieu publié courageusement par Gallimard avait fait scandale il y a trente ans lors de sa parution. C’est Jean Parvulesco qui me l’avait alors recommandé. Je l’ai relu récemment avec un intense intérêt tant les préoccupations de Drieu recoupent les nôtres : sensation de décadence terminale, désespoir (au sens strict) historique, incapacité de trouver des sauveurs (Hitler ? Staline ? Les chinois ?), et sinistre impression causée par la torpeur française – la même que ressent alors Bernanos, un de rares écrivains qu’estime alors Drieu (il admire aussi son départ pour l’Amérique du Sud, et avec quelle raison !).
Même en pleine guerre, Drieu observe cette torpeur (si vous voulez de l’émotion, revoyez Casablanca) :
Cette torpeur qui règne à Paris, qui s’est manifestée à l’occasion du bombardement n° 1. J’avais raison de dire il y a quelques années que les Français étaient devenus un peuple triste, qui n’aimait plus la vie. Ils aiment la pêche à la ligne, l’auto en famille, la cuisine, ce n’est pas la vie. Ils ne sont pas lâches, mais pires; ils sont ternes, mornes, indifférents. Ils souhaitent obscurément d’en finir, mais ne feront rien pour que ça aille plus vite. Cette 9e armée qui s’en va les mains dans les poches, sans fusils, sans officiers.
Une génération avant Debord, Drieu observe :
Où aimerais-je aller? Nulle part! Le monde entier est en décadence. Le « Moderne» est une catastrophe planétaire.
Debord dira lui : « dans un monde unifié on ne peut s’exiler » (son seul alexandrin !).
Il tape comme Céline sur la peu glorieuse patrie des années trente, celles des joueurs de boule et du front popu (j’oubliais : et des conspirateurs de la cagoule) :
La France meurt d’avarice, des sentiments et des pensées. Pays de petite ironie, de petit dénigrement, de petite critique, de petit ricanement, pays de petitesse… Tout y a été abaissé : les institutions et même leurs pauvres contraires. Si on a abattu la monarchie on n’a pas élevé le peuple avili l’aristocratie on n’a pas décanté la bourgeoisie, si on a ravalé le clergé on n’a pas défendu les professeurs contre l’insipide vanité et on les a loués dans leur inénarrable vacuité !
Il observe sur cette fameuse devise républicaine :
La fraternité n’a pas remplacé la charité, l’égalité n’a profité qu’à l’argent, quant à la liberté ce ne fut que la basse licence de dire tout de façon que rien ne tirât plus à conséquence.
Se reconnaissant lui-même catastrophiste, Drieu ajoute :
N’importe comment, je sais que ma vie est perdue. La littérature française est finie, de même que toute littérature en général dans le monde, tout art, toute création. L’humanité est vieille et a hâte d’organiser son sommeil dans un système de fourmilière ou de ruche. D’autre part, ma vie individuelle est finie. Finis les femmes, les plaisirs sensuels.
Le fascisme auquel on le rattache ne trouve pas grâce à ses yeux. Il l’expédie beaucoup mieux que Julius Evola, Savitri Devi ou Hans Gunther (qui en dénoncera le caractère « ochlocratique » quand la bise sera venue) :
J’ai écrit dans Socialisme Fasciste que le fascisme était l’expression de la décadence européenne. Ce n’est pas une restauration. Il n’y a pas de restauration. Consolidation, replâtrage des débris.
En réalité Drieu voit comme dans son livre sur la France préfacé par Halévy après la Grande Guerre (guerre qu’il n’admire pas plus) que le Français ne veut plus être français. François Furet fera la même observation dans son Passé d’une illusion : le froncé adore « internationaliser » sa vie politique pour compenser son vide. Voyez aujourd’hui avec la Russie, l’Europe, l’Amérique ou Israël.
A l’époque, on a déjà le bloc bourgeois : c’est le camp anglais (De Gaulle parle dans ses Mémoires du vertige qui nous saisit quand l’Angleterre ne décide pas à notre place – depuis 1815 ou 1870 ?) ; on aussi un camp fasciste (Allemagne-Italie même si l’Italie devient ce désastre bien décrit par AJP Taylor) et bien sûr un camp russe (déjà ! Déjà !). Sous sa plume peu enjouée cela donne :
Cet abandon de tout le peuple à la superstition russe est le signe le plus certain de notre abâtardissement à tous. Quand un peuple n’a plus de maîtres, il en demande à l’étranger.
Cependant que d’autres Français s’abandonnent à l’attente clandestine de l’Allemand. Quant à la masse, elle est vouée aux Anglais.
Il n’est plus de Français pour ainsi dire qui pense et qui veuille français. La velléité française est entièrement partagée entre le parti du centre ou anglais, le parti allemand d’extrême droite et le parti russe d’extrême gauche.
Enfin il a déjà ceux qui se foutent de tout comme aujourd’hui (Gaza, vaccin, reset, guerres, identité numérique, connais pas !) :
Il y a aussi tous ceux qui veulent qu’on leur foute la paix, c’est à dire qu’on les en recouvre comme d’une déjection.
Rappelons que Mbappé compte vingt-fois plus d’abonnés Twitter que Philippot ou Asselineau….
Drieu insiste sur la grande déception mussolinienne (Benito aurait dû prendre sa retraite bien avant, avant l’Ethiopie peut-être ?) :
Je croyais aussi que Mussolini avait vendu son âme à Hitler, qu’il était résigné à jouer le brillant second. Mais en tous cas on peut voir qu’à la longue l’Italie use Mussolini.
Et de conclure en rêvant à des orgies de sang romaines :
Comme tout cela est terne et crépusculaire. C’est bien la décadence de l’Europe. Les grandes tueries du temps de Galba et Othon! Les fils d’ouvriers Mussolini, Hitler, Staline ne sont pas bien éblouissants.
Je reprends sa si juste marotte : il n’y a plus de parti français (idem aujourd’hui : on est européen donc, ou russe, ou palestinien ou israélien, ou américain), et ceux qui se réclament du souverainisme font 1% des voix (le RN alias reniement national s’est brillamment rangé des voitures) :
Il y a toujours un parti russe et un parti allemand et un parti anglais, voire un parti italien.
Le parti anglais est si nombreux et maître des choses depuis si longtemps qu’il ne se voit pas et qu’on ne le voit guère. On a abandonné à Londres notre politique étrangère, toutes nos initiatives et toutes nos volontés et tous nos espoirs.
Le parti russe est fait de bourgeois qui joignent la chimère de Moscou à la branlante réalité de Londres, et d’ouvriers qui, incapables de faire la révolution, s’en remettent à Staline pour la leur offrir ou imposer. Le parti allemand masque d’anticommunisme sa lâcheté.
Belle observation :
Tous s’en remettent sur les étrangers pour les décharger de leurs devoirs et de la fatigue de penser, d’imaginer, de vouloir.
Et la conclusion logique de tout cela :
Ce parti que nous avons pris de ne pas nous battre au début est la conséquence de ces diverses démissions.
De Gaulle parti (n’en faites pas un héros référentiel non plus, Giscard et Pompidou étaient ses ministres) nous avons fait qu’aller de démission en démission.
Sources
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