Par Wayne Madsen – Le 10 février 2017 – Source Strategic Culture
L’administration de Donald Trump et la rupture du Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ont fait basculer, en un peu plus de six mois, du Nouvel ordre mondial post-guerre froide, basé sur la suprématie américaine, à un désordre global d’alliances nouvelles sur un échiquier géopolitique multipolaire. À bien des égards, le nouveau désordre mondial a également mis en péril différentes composantes de l’après-guerre, y compris l’OTAN, l’Organisation des États américains (OEA) et l’Alliance entre l’Australie et les États-Unis (ANZUS).
Tous les manuels de relations internationales et leurs règles du jeu peuvent être jetés à la poubelle avec l’avènement du nouveau désordre global. Trump avance sa politique étrangère en toute incohérence. D’une part, il affirme vouloir s’associer avec la Russie pour la guerre contre le « terrorisme islamiste radical », et pourtant, il a également indiqué, par son ambassadeur à l’ONU Nicky Haley et son secrétaire à la Défense James Mattis, qu’il est attaché à l’OTAN et veut que la Russie se retire de Crimée. Il est bien connu que le Super Bowl annuel de la National Football League coordonne ses événements militaires patriotiques avec le Pentagone. Ces dernières années, des troupes américaines servant dans des endroits comme l’Afghanistan et l’Irak ont été présentées pendant et après le match sur les écrans de télévision monumentaux du stade hôte.
Le Super Bowl 2017 à Houston était différent. Cette année, le reportage en direct de troupes américaines, avec l’équipe de combat de la 3e brigade blindée et la 4e division d’infanterie, provenait d’une base militaire à Zagan, en Pologne. Les spécialistes des opérations psychologiques du Pentagone voulaient transmettre le message selon lequel, sous Trump, les nouvelles lignes de front américaines n’étaient plus en Afghanistan et en Irak dans une guerre contre les insurgés radicaux musulmans, mais en Pologne avec la Russie comme « nouvel ennemi ». Les optiques ne correspondent tout simplement pas aux déclarations de Trump sur la recherche de liens plus étroits avec la Russie.
Trump a indiqué qu’il espérait augmenter le budget de la défense des États-Unis pour avoir 90 000 hommes de plus dans les rangs de l’armée ; une marine de 350 navires, y compris les nouveaux porte-avions à 12 milliards de dollars pièce ; une augmentation du nombre de bataillons du Corps des Marines passant de 23 à 36 ; et 100 autres avions de chasse avancés pour l’armée de l’air. Cela équivaut à une augmentation du budget militaire annuel de 500 milliards de dollars à 1 000 milliards de dollars sur une période de dix ans.
Essentiellement, l’équipe de sécurité nationale de Trump désire une armée qui peut combattre la Russie et la Chine et soit capable de faire face à tous les avions de combat, chars et navires de guerre russes et chinois, sur le champ de bataille
Trump et son équipe de sécurité nationale, le conseiller à la sécurité nationale Michael Flynn, Mattis, et d’autres faucons de guerre préparent également la confrontation militaire avec l’Iran. L’équipe Trump a contribué à intensifier les tensions avec l’Iran en autorisant la vente à l’Arabie saoudite, pour 300 millions de dollars, de missiles de précision guidés et, pour des milliards de dollars, de chasseurs F-16 dernier cri à l’état vassal de l’Arabie saoudite, le Bahreïn. Ces livraisons avaient été suspendues par l’administration Obama à cause des crimes de guerre saoudiens au Yémen et de la sanglante répression, par le Bahreïn, de sa majorité chiite. Trump laisse toujours le feu vert à l’agression génocidaire saoudienne dans la guerre civile au Yémen. Les Saoudiens et les Bahreïnis sont maintenant utilisés par Trump pour obtenir un avantage militaire sur l’Iran. L’ordonnance de Trump interdisant le territoire des États-Unis aux Irakiens avec des visas valides, des documents de réfugiés et, à l’origine, des cartes vertes permanentes, a irrité le gouvernement irakien, allié de l’Iran, au point de limiter les visas irakiens aux entrepreneurs et aux journalistes américains. Cela ne fera qu’encourager les combattants irréguliers d’État islamique et d’al-Qaïda contre les forces militaires américaines dans le pays. Tout ce qui menace le gouvernement de Bagdad est une bonne nouvelle pour le régime saoudien.
Trump, lors d’un appel téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, a souligné les étroites relations américano-turques. En juillet 2016, après une tentative de coup d’État contre Erdogan, Trump, dans un entretien avec le New York Times, avait loué la façon dont Erdogan avait géré l’insurrection. Depuis la tentative de coup d’État, Erdogan a ordonné l’arrestation et l’emprisonnement de centaines de journalistes, de militaires et de policiers, de professeurs, de fonctionnaires, d’hommes politiques et d’hommes d’affaires pour avoir prétendument appuyé la Fethullah Terrorist Organization (FETO), une façon péjorative de qualifier ceux qui sont affiliés au dirigeant turc en exil, et ancien allié d’Erdogan, Fethullah Gulen.
Gulen est actuellement exilé en Pennsylvanie et se trouve sous la protection de la CIA. Toutefois, Flynn et d’autres parties de l’appareil de sécurité Trump favorisent l’extradition de Gulen, un réfugié politique, vers la Turquie pour qu’il affronte un procès, un emprisonnement certain, la torture et, éventuellement, l’exécution.
La liaison de Trump avec Erdogan compromettra également la sécurité des forces kurdes en Syrie, qui ont été alliées avec les États-Unis contre État islamique, et le gouvernement régional kurde à Erbil en Irak. La Turquie considère les Kurdes syriens et irakiens comme des partisans du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et si Trump s’associe avec Erdogan contre le Kurdistan, ce sera un autre coup fourré de Washington contre cette nation assiégée et non reconnue. Le secrétaire d’État américain Henry Kissinger a abandonné les Kurdes dans les années 1970 quand il a sacrifié leurs intérêts au régime militaire irakien.
Le stratège principal de Trump, Stephen Bannon, aurait été impliqué dans une guerre civile interne au Vatican qui a vu une prise de contrôle virtuelle de l’Ordre souverain militaire de Malte (SMOM) à Rome par le Pape François. Bannon s’oppose à ce qu’il considère comme les voies socialistes du Pape. Le Vatican peut être un micro-État sans grande armée, mais une fracture dans les relations entre le Vatican et Washington ne peut avoir qu’un impact négatif sur l’UE, l’OTAN et d’autres alliances traditionnelles.
Le rejet du traité de commerce transpacifique (TPP) a mis la région Asie-Pacifique en situation de chaos contrôlé. Le premier voyage à l’étranger de Mattis en tant que secrétaire de la Défense a consisté à rassurer la Corée du Sud et le Japon sur l’engagement militaire de l’Amérique. Mais l’abandon du TPP par son plus grand supporter, les États-Unis, a donné un élan au bloc commercial alternatif de la Chine, le RCEP (Regional Comprehensive Economic Partnership). L’allié de longue date de l’Amérique, l’Australie, un partisan du PPT, est maintenant impatient de rejoindre le RCEP. L’appel téléphonique houleux de Trump avec le Premier ministre australien Malcolm Turnbull à propos d’un échange de réfugiés, a provoqué la furie australienne contre Trump. Alors qu’elle est un adversaire amical de l’Australie pour les questions de sport et de fierté nationale, la Nouvelle-Zélande est venue à la défense de l’Australie en crachant sur Trump.
D’autres échanges téléphoniques hargneux entre Trump et la chancelière allemande Angela Merkel, puis le président français François Hollande ont également secoué les liens euro-atlantiques avec Washington. Trump a tempêté contre Hollande disant que la France et les autres pays de l’OTAN devraient rembourser les États-Unis pour les dépenses de l’OTAN. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a qualifié Trump de menace pour l’Union européenne.
Après une réunion à la Maison Blanche avec le roi Abdullah de Jordanie, Trump a choqué le gouvernement israélien quand il a dit à Israël qu’il devrait cesser d’annoncer de nouvelles colonies en Cisjordanie. Alors que la rhétorique de Trump suggère qu’il est le président le plus pro-israélien à avoir jamais occupé la Maison Blanche, son attitude versatile envers Israël pousse certains observateurs du Moyen-Orient à se demander si la promesse de Trump de déplacer l’ambassade l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem est simplement un paravent pour une autre politique des États-Unis dans la région.
L’Organisation des États américains (OEA), institution vénérable mais relativement insipide et inutile, dont le siège est à Washington, ne survivra vraisemblablement pas à la promesse faite par Trump de construire un mur à la frontière entre le Mexique et les États-Unis, ni à ses rodomontades contre Cuba, qui vient de revenir dans l’OEA et le système politique inter-américain. L’Amérique latine et les Caraïbes ont des alternatives à l’OEA plus intéressantes, notamment l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, le Marché commun du Sud (MERCOSUR) et la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), toutes ces organisations étant à l’abri de l’influence des États-Unis.
C’est un nouveau désordre mondial, mais dans ce chaos, le retour à un monde multipolaire et la fin du statut de seule superpuissance des États-Unis peut être une bénédiction à long terme. À court terme, cependant, le chaos va sidérer tous les ministères des Affaires étrangères et la bureaucratie de l’organisation internationale sur tous les continents.
Wayne Madsen
Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone
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